Ecrit par Mickelson Thomas
Date: 31 Octobre 2025
Temps de lecture: environ cinq (5) minutes
Quand la FIFA a confié, en février 2021, la gouvernance de la Fédération haïtienne de football (FHF) à un Comité de normalisation (CN) après la suspension de son président, Yves Jean-Bart, c’était pour remettre d’équerre une institution minée par une défiance généralisée, des scandales à répétition et une crise de gestion résultant de la non-application des réformes suggérées maintes fois par l’instance faîtière.
Trois (3) missions, simples en apparence mais décisives en réalité : assainir les finances, réviser les statuts, conduire à des élections. Initialement mandaté pour six (6) mois, le CN est actuellement composé de Monique André, Gally Amazan et Yvon Sévère. Leur profil cumule une expérience approuvée en gestion des affaires, droit privé, comptabilité et audit, finance et conduite de projets sportifs : un socle de compétences diversifiées qui sied autant à une fédération moderne qu’à une instance régionale (CONCACAF) et internationale (FIFA), devenue sourcilleuse. Il voit son mandat prorogé en 2022 puis en 2024, jusqu’au 30 novembre 2025. Un bail exceptionnellement long qui souligne tant l’ampleur de la crise que la « pleine confiance » des instances suprêmes (CONCACAF et FIFA) envers ce triumvirat aux compétences diverses.
La mission première du CN peut se résumer en un message clair : « Sans transparence, plus de subsides. Et pour cause, il s’agit désormais d’audits externes annuels, de redditions de comptes systématiques via des plateformes numériques (de type “FIFA Connect”) et de procédures de passation rigoureuses, qui forment un filet d’obligations sans lequel la FIFA gèle ou coupe des fonds nécessaires à la gestion de certains projets spécifiques, notamment liés au maintien en vie des sélections nationales. En bon élève, le CN a su tirer son épingle du jeu, laissant dorénavant un legs institutionnel à la nouvelle équipe qui sortira des élections.
L'autre chantier colossal fut la révision des statuts. L'objectif : décentraliser le pouvoir, intégrer formellement le football féminin et verrouiller les procédures pour garantir des élections transparentes. Le texte final, fruit – officiellement – d'une concertation avec les ligues et les clubs, est soumis à l’appréciation de la FIFA, qui a également confié au CN le rôle de commission électorale, avec une règle d’or : la neutralité. Ses membres sont, en théorie, inéligibles.
Cependant, en pratique, l'histoire récente du football offre un précédent où cette règle a été aménagée. En effet, au Honduras, le président du comité de normalisation, Jorge Salomón, a été élu à la tête de la Fenafuth en mars 2019, au terme d’une transition menée sous la supervision de la FIFA ; il a ensuite été réélu en 2023. Ce cas peut être perçu, de facto, comme une dérogation à la règle d’inéligibilité généralement opposée aux membres des CN. Cette dérogation, validée par la FIFA, alimenterait les spéculations sur l'avenir des membres du CN haïtien une fois leur mission achevée.
L’action du CN ne se limite pas à une bonne gestion financière et comptable. Dans un pays en proie à une instabilité sécuritaire chronique, le simple maintien de la pratique du football constitue un défi. Le comité peut se targuer d'avoir préservé trois (3) saisons de championnat de D1 masculine sur quatre (4) ans, tout en soutenant logistiquement et financièrement les clubs. Cette continuité autant que cette stabilité ont porté leurs fruits sur la scène internationale, créant un élan inédit se matérialisant par :
- La participation des U20 féminines à un Mondial de leur catégorie. À noter que cette qualification, acquise en 2018 sous l’ancienne équipe fédérale présidée par Yves Jean-Bart, qui avait fait du football féminin son domaine réservé, sinon sa chasse gardée.
- La qualification historique des Grenadières pour la Coupe du monde 2023.
- La qualification des U17 pour la Coupe du monde 2025. Et actuellement,
- La participation à la campagne de qualification pour la Coupe du monde United 2026, où la sélection senior des Grenadiers demeure mathématiquement en course, avec ses chances de qualification intactes.
Ces accomplissements notables sont le fruit d'un terreau entretenu et d’une continuité qu’il convient de saluer dans un pays où ceux qui reprennent le flambeau ont trop souvent tendance à faire table rase des acquis de leurs prédécesseurs.
Aussi, le mérite ne revient-il pas au CN d’avoir su entretenir un écosystème — formation, sélection, conditions d’entraînement, matchs amicaux internationaux — garantissant aux équipes nationales l’exposition internationale indispensable et offrant une vitrine inespérée aux talents prometteurs ? Citons, entre autres :
- Melchie Daëlle “Corventina” Dumornay — chouchou du peuple haïtien, incarne la pointe avancée de ce prolongement — s’est engagée avec l’Olympique Lyonnais en 2023 et a prolongé son contrat jusqu’en 2025, tout en étant sacrée Jeune joueuse de la saison en Ligue des champions 2023-24.
- La jeune pépite, Lourdjina Étienne, 18 ans, désignée meilleure joueuse U17 de la CONCACAF en 2024, a rejoint une douzaine de joueuses haïtiennes évoluant en « Première Ligue » française (D1 Arkema), en signant son premier contrat professionnel avec le FC Fleury 91 en juillet 2025.
- Batcheba Louis, un autre talent indéniable, a rejoint Birmingham City en août 2025 (Women’s Super League).
Le 30 novembre 2025, c’est demain. À l'approche des élections, l'enjeu sera de pérenniser. Le verdict des urnes devra doter la FHF d'une gouvernance capable de préserver l'héritage du CN.
Aussi, est-il compréhensible que certaines voix plaident pour une transition apaisée en intégrant au futur Comité exécutif de la FHF des compétences issues du CN, sur le modèle du Honduras. Cette hypothèse, si elle bénéficie de l’aval de la FIFA, permettrait d’institutionnaliser la rigueur et la transparence réintroduites.
Dans un Haïti en quête de repères, le Comité de normalisation a, il faut l’admettre, été au-delà de son cahier des charges : réforme financière engagée, statuts modernisés, continuité des compétitions, représentativité à l’international maintenue.
Reste l’essentiel : transformer — par la validation finale des statuts et l’organisation des élections — cette parenthèse vertueuse en une norme durable, afin que la discipline, la transparence, la redevabilité et la stabilité acquises ne soient pas un accident de l’histoire du football haïtien, mais le tremplin d’une véritable renaissance.
Mickelson THOMAS
