FOOTBALL

Éliminatoires de la Coupe du monde 2026 ; retour vers le « Futur »

Du rêve américain au cauchemar dominicain

Adrien Filidor Louis, né en Haïti, vingt-deux ans plus tôt, brise le rêve des Grenadiers de participer à la Coupe du monde 2026 en terres américaines, au terme d’une fin de match complètement folle, entre explosion de joie et déchirements.

Le temps d’une soirée au Stade olympique Félix Sánchez, le présent et l’avenir du jeune Adrien Filidor Louis, émigré avec ses parents qui fuyaient les vicissitudes d’un quotidien n’autorisant que peu d’espoir d’amélioration pérenne, vont se croiser de manière irréaliste. Détecté au hasard d’un championnat du quartier d’Arroyo Hondo, en République dominicaine, où quelques persiennes des voisins ont volé en éclats après s’être inopportunément trouvées sur la trajectoire de frappes mal négociées, le jeune haïtien – il l’était encore à ce moment – accueilli par l’Académie de football de CIBAO, où il gravit tous les échelons jusqu’à se faire recruter dans l’équipe première qui dominait outrageusement le championnat national dominicain, ne s’attendait pas à ce que sa modeste vie prenne pareille trajectoire ascensionnelle. Auréolé du titre de meilleur buteur dudit championnat dès le premier exercice, il se voit offrir la naturalisation dominicaine et une place dans la sélection U-20 qu’il qualifiera, du haut de ses dix-neuf ans et de ses exploits à répétition, successivement – une première dans l’histoire du football de ce pays – pour la phase finale de la Coupe du monde de 2023 en Indonésie et les Jeux olympiques de 2024 à Paris.

Le jeune Filidor n’a pas conscience que ces deux compétitions vont le propulser sur le toit du football dominicain, moins de deux ans plus tard, avec l’équipe première, dont il devient un rouage indispensable, aux côtés d’un autre dont il est le parfait complément. Pouvons-nous qualifier de compatriotes, celui qu’on appelle Raphael Abinader Sampeur, né en République voisine d’un père syro-libanais et d’une mère haïtienne ?  Ironie du sort ou clin d’œil de l’histoire, les voilà au sein du tandem qu’ils forment sur le front de l’attaque des « Quisqueyanos » idéalement appuyé de l’expérimenté Mariano Díaz Mejía évoluant au Real de Madrid. Ce trident atypique et redoutable a réussi, le tour de force, d’emmener la République dominicaine dans le tournoi hexagonal final d’où sortiront les trois (3) équipes qui accompagneront le Canada, les États-Unis et le Mexique, heureux qualifiés d’office en tant qu’organisateurs de cette 23e Coupe du monde.

En cet après-midi de mai 2025, le Stade olympique était bondé d’Haïtiens ayant élu domicile en terre voisine unissant leurs voix aux dizaines de milliers  de compatriotes qui ont fait le déplacement pour ce match dont ils n’avaient aucun doute sur l’issue victorieuse pour nos compatriotes, qui ne s’envisagent pas vulnérables ; convaincus d’être à un match d’une qualification historique au mondial « UNITED 2026 », 52 ans plus tard. Encouragés par les bruyantes bandes de rara aux couleurs bleu et rouge, la sélection nationale, nantie des Placide, Bazile, Nazon, Arcus, Lambèse, Alceus, Etienne, Adé, Pierrot et autres, se présente plus que jamais en favori de ce match couperet malgré cette victoire étriquée au match aller (3-2), que d’aucuns qualifient naïvement d’accident de parcours. Mais de l’excès de confiance naît la faiblesse d’une fatale certitude, d’autant que pour les Dominicains, une défaite, doublée d’une élimination, à domicile, est inenvisageable.

Dans le cadre tumultueux et incandescent du stade choisi pour cette rencontre à enjeu majuscule, ils sont plus de 48000 personnes à s’être massées, partagées entre l’inénarrable espoir d’assister à une victoire et la peur d’une douloureuse élimination. Et pourtant, il plane sur cette soirée humide du samedi 3 mai, tout au long des quatre-vingt-dix (90) minutes du temps règlementaire, le sentiment étrange que les Dominicains sont paradoxalement mieux préparés au frisson du combat que des Haïtiens étrangement incapables de relever le défi d’engagement proposé par le rival voisin. En effet, la supériorité du collectif dominicain saute aux yeux. Et pour cause, celui-ci mène par un but à zéro à quelques poignées de secondes de la fin du temps additionnel de onze (11) minutes interminables octroyées par l’arbitre mexicain, Luis Alberto Trujito. Les Haïtiens commencent alors maladroitement à jouer contre nature, en "gérant" ce résultat pour aller aux prolongations, et même aux tirs au but plutôt que de s’exposer aux contres assassins souvent orchestrés par le rapide et virevoltant Mariano Diaz. Mus par l’instinct de survie lié à l’imminence d’une probable élimination, ils se replient dans leur moitié de terrain afin de tenter de retarder l’échéance, sinon le spectre d’une déroute qui ferait tache d’huile.

Et pourtant à la (90’+11’), l’inéluctable arrive. Filidor, à la réception d’un centre millimétré de Sampeur, ridiculise la défense en mettant dans le vent deux (2) Haïtiens d’un contrôle orienté parfait dans la surface, et ajuste d’un plat du pied droit le portier qui, malgré un plongeon extraordinaire, n’arrive pas à détourner le ballon qui part fouetter ses filets. (2-0). L’haïtiano-dominicain n’exulte pas juste un doigt en l’air et la tête baissée avec élégance et respect – mais il est envahi par ses coéquipiers qui l’étreignent chaleureusement. Le coup de sifflet final de l’arbitre retentit comme un coup de tonnerre qui vient de s’abattre sur le stade, consacrant l’élimination d’Haïti. Scènes de liesse : la République dominicaine est de l’aventure nord-américaine l’été prochain, et les joueurs du banc ayant envahi le terrain célèbrent leur triomphe inespéré en courant dans tous les sens. Les Haïtiens s’effondrent en larmes sur la pelouse, inconsolables ; le ciel leur est tombé sur la tête. Leurs excès de confiance de la veille couplés à leur naïveté se seront avérés fatals. Aux quatre coins du pays et sur les places publiques, où des écrans géants retransmettent le match, ce sont des patriotes stupéfaits et consternés qui se mettent eux aussi à pleurer, traversés par une peine collective indicible.

Les ultimes secondes des arrêts de jeu de ce match mémorable demeurent en République dominicaine une page de gloire n’ayant que peu d’égal dans une soirée de rêve qui vient sacraliser pour l’éternité ce gamin de vingt-deux (22) ans comme l’un des héros de l’histoire du foot de son pays d’adoption; alors que son nom, ancré dorénavant dans les mémoires des passionnés du ballon rond en Haïti, est synonyme d’un cauchemar des plus traumatisants. Ce natif de Martissant dont les circonstances existentielles ont hâté la naturalisation n’a pas seulement gagné sa place au Panthéon du sport dominicain, mais il a changé pour toujours la face de son jeune football.

Permettez, à présent, que nous nous détournions de cette « allégorie métaphorique » retraçant le destin fictif de Filidor – que nous ne souhaitons nullement prémonitoire – pour, tristement, nous rendre à l’évidence qu’une page semble avoir vraiment tourné en matière de football en Haïti ; et qu’aujourd’hui plus qu’hier, le déclin de notre sport national est avéré. Que ce récit de campagne éliminatoire imaginaire serve de sonnette d’alarme pour les dirigeants de football d’un pays qui vit, depuis plus d’un demi-siècle, une ténébreuse traversée du désert rythmée de déconvenues, sans un espoir d’éclaircie relativement à une éventuelle qualification en phase finale de Coupe du monde de football ! Ce triste constat nous amène à nous interroger sur les facteurs qui sont à l’origine de cette descente aux enfers du « Sport-Roi », et sur d’éventuelles, disons plutôt, indispensables stratégies à mettre en place pour son renouveau. 

Près de cinquante (50) ans après l’été de Munich, cette référence continuelle au terme « GRENADIERS » pour nos footballeurs soulève des préoccupations équivoques, contrastant avec les certitudes qui ont entretenu la légende impénétrable de ceux qui ont été les premiers à porter ce nom - les héros de l’indépendance - les seuls à mériter cette appellation avec les valeureux footballeurs de 1974 et ceux de la sélection nationale des amputés, avant que le terme ne se galvaude. Ont-ils disposé de potions magiques, bénéficié de la mansuétude des dieux tutélaires de la nation ou forcé le destin par leur préparation, leur travail acharné et leur abnégation ? Notre football peut-il prendre des raccourcis là où le travail en profondeur et l’organisation rationnelle sur la durée s’imposent ? Ces éliminations à répétition n’ont-elles pas instauré une culture de la défaite qui, à force de s’installer, inoculera une attitude de renonciation marquée de pitoyables excuses ? Comment faire pour conjurer ce sort d’autant que le football haïtien regorge de talents innés ? Quels acteurs pour matérialiser la relance du football haïtien au bord du gouffre où il se trouve ? Faudra-t-il qu’on en arrive à une chirurgie pour extraire du « corps footballistique » haïtien le cancer du PRO-DADOU / ANTI-DADOU et le « syndrome de la grenouille » qui le ronge ?

Ne voulant nullement avoir la prétention d’une quelconque expertise, être pris pour un voyant ou au pire, pour un prophète de mauvais augure, tout semble indiquer qu’il revient plutôt aux dirigeants du football, s’ils veulent cesser de faire semblant d’agir, de proposer des solutions dont les plus idoines imposeront certainement de laisser de côté les pratiques de gestion approximative et querelles intestines qui volent les plus beaux rêves de nos talentueux footballeurs et des amants du Sport que nous sommes.

Encore faudrait-il que ces décideurs se souviennent que la réalité de leur rôle n’est pas de se mettre en scène, mais de faire en sorte que nos joueurs-ses soient placé-es dans des conditions optimales de performance tout en intériorisant que :

  • Le travail vaut mieux que le talent quand le talent ne travaille pas ;
  • Les grands exploits se construisent dans la sueur, le sang et les sacrifices et n’acceptent d’adouber que des athlètes prêts à s’élever au-dessus de la mêlée ;
  • Les vrais « GRENADIERS » ont été les acteurs d’une des gestes les plus héroïques dans l’Histoire récente de l’humanité.
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Mickelson Thomas

Amant du sport

Société des amis du sport (SAS)

Décembre 2022

P.S. Au moment de finaliser cet article, nous apprenons qu’Edson Arantes Do Nascimiento, mieux connu sous le nom de Pelé, considéré, à juste titre, comme le plus grand footballeur de l’histoire, a tiré sa révérence ce 29 décembre. À quelques jours du 219e anniversaire de notre indépendance qui a démantelé, de manière irrémédiable, les assises de l’esclavage et du colonialisme, comment ne pas s’incliner, à la veille de la commémoration du jour des Aïeux, devant la dépouille de ce, osons dire, « GRENADIER » brésilien dont le parcours de vie a été ponctué de rejets, de discriminations, voire de racisme; et suggérer à la FIFA que la Coupe du monde de football soit, dorénavant, appelée de manière honorifique: « COUPE DU ROI PELE » au vu, notamment, de ses exploits sportifs inégalés ? 

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