Refus de célébrer ! À l’occasion de 215e anniversaire du Pont-Rouge

Suite à maintes interventions à des stations de radio, j’ai  cru bon pour l’histoire et la vérité, de publier une note écrite relative à cette bien triste et fâcheuse journée de réflexion consacrée à l’Empereur et qui  concerne cette prétendue date de naissance.

Depuis quelque temps, plus d’une trentaine d’années pratiquement, des esprits inquiets et profondément préoccupés  du devenir de notre Haïti, observent, désarmés, l’évolution de plus en plus dramatique de notre société. De nombreuses décisions, arrêtées au niveau des plus hautes instances de l’État, n’ont pas réellement contribué à l’avancement du peuple haïtien, notamment dans sa partie la plus fragile. Je note seulement, sur le plan matrimonial, parce que l’État s’occupe peu de l’espace social, le délabrement de nos monuments, de nos cimetières. La destruction de celui de Pétion-Ville qui s’est effectuée sans échange avec les secteurs généralement préposés à leur fonctionnement ou qui ont toujours manifesté un certain intérêt quant à leur existence, a transformé très vite cette zone de Pétion-Ville en un véritable espace lunaire. L’image serait totale, n’était ce monde informe, grouillant  dans le plus grand désordre. Le mal s’amplifie tandis que le monde urbain grandit démesurément et de façon confuse, tant à Port-au-Prince que dans les provinces, sans aucune discipline sociale et éloigné de tous les principes de base. L’imaginaire populaire faiblit et ne parvient plus à inspirer nos comportements, nos actes et nos pratiques artistiques. Haïti semble être confrontée à un profond malaise narratif. Cette communauté parait de plus en incapable de se dire ou mieux de construire sur soi une parole tant soit peu cohérente jusqu’à parvenir  à cette crise de nomination de la chose sociale haïtienne. Heidegger, un philosophe allemand du début du siècle dernier, veillait scrupuleusement à ne pas trivialiser le mot, afin de ne pas affecter la démarche et par ricochet le réel. Ce décret du 20 septembre 2020  semble être l’aboutissement de cette bien triste situation.

Pourquoi le 20 septembre ?

Comme pour tout fait, cette detăte a une histoire. En 1902, le Dr Rosemond, dans une conférence, déclare que le 20 septembre 1758, naissait à Cormiers Jn Jacques Dessalines. Colbert Bonhomme dans son avant-propos du livre St Victor Jn Baptiste « Le Fondateur devant l’histoire » a eu toutefois le soin de signaler que le « Docteur » n’avait pas donné ses sources. En 1965 le débat, autour de cette bien curieuse date, ressurgit avec l’ouvrage publié par un arrière-neveu de Dessalines, M Georges P. Jean Augustin Michel, « Le Culte A Jean Jacques Dessalines » s’il n’arrivait pas réellement à trancher dans son analyse il recommandait fortement de faire de cette date, une fête nationale. Comme on peut bien le présumer, cette initiative n’a pas été suivie d’effets. En 1938, Jn Price-Mars publiait dans la revue de la Société haïtienne d’Histoire un article, « Jean Jacques Dessalines. Les origines. Le milieu physique et le milieu humain » (Vol 9No 28, jan 1938) où il se montrait assez circonspect autour d’une prétendue date de naissance relative à l’Empereur. Il avance n’avoir relevé dans aucune quelconque archive dérivant de certaines recherches une pièce authentifiant une telle assertion. De plus, il avait jugé bon de rappeler qu’un esclave, même baptisé, était toujours confondu avec le cheptel sur l’habitation. Et ce grand sage invitait ses lecteurs à se référer à la tradition qui se perpétuait de génération en génération depuis la nuit des temps. De plus, pensait-il, parler ici de généalogie  serait d’un anachronisme ahurissant » (8).

Comme nous ne sommes pas des hommes sans légendes, un mythe aussi intéressant que persistant entretenu dans le milieu des vodouisants voudrait lier la mort du célèbre marron, Mackandal, à cette date de naissance, objet de tant de controverses. Ce grand combattant de l’ombre est mort (et on est assez certain de cette date !), le 20 janvier 1758. L’âme, l’esprit se seraient échappé, sur le bûcher,  du corps du supplicié. Cette année, là cet esprit se serait logé dans un ventre d’esclave pour donner la vie, quelques mois plus tard, le 20 septembre 1758, à notre cher fondateur. C’est beau, tellement beau que cela passerait pour vrai ! La légende, nous le savons nourrit la vérité absolue, mais point la vérité scientifique. Nos devanciers  et les responsables de l’Etat de l’époque, du fait d’une certaine connaissance historique, doublée d’une profonde expérience de grandes affaires de l’État ne s’étaient jamais avisés d’arrêter une décision aussi farfelue à  propos de cette naissance. Nord Alexis qui aurait eu toutes les motivations pour une mesure de cette nature, tenant compte de l’ambiance du 1er centenaire de notre indépendance, s’en était abstenu. De Vincent à Magloire et on peut encore citer  les Duvalier, ce problème n’a jamais été aussi ouvertement posé qu’aujourd’hui  et tous ces chefs d’État, question sans doute de génération ou d’époque, étaient pratiquement des dessaliniens.

Pourquoi alors une initiative aussi déconcertante que maladroite et qui doit porter Dessalines à rugir dans sa tombe ? Lui qui s’est toujours montré aussi intraitable que radical par rapport au système colonial esclavagiste, ne saurait accepter un tel honneur. L’honneur de bénéficier des miettes sous forme de vulgaire acte d’état civil sorti d’un système qu’il abhorrait par-dessus tout .Un esclave n’a pas d’acte d’état civil ! Le code noir qu’on peut objectivement considérer comme une constitution coloniale déclare en son article 44 ( ?) : que l’esclave est un « bien meuble » ! De quel 20 septembre ose-t-on alors parler jusqu’à contraindre un pouvoir à publier ce malencontreux arrêté faisant de ce prétendu 20 septembre, une date officielle, affublée d’un jour Ferrié ? Qu’on s’entende on ne peut interdire à quiconque, à n’importe quel secteur, ou à un quelconque gourou du coin, de se livrer à des élucubrations. Il ya beaucoup de bonheur dans la maison de mon père. Le travail de mémoire non académique surtout, reste traversé par plusieurs courants nécessaires pour  forger les âmes citoyennes et de les inviter au rêve, à toutes sortes de rêves. Ils ne doivent pas pour autant frapper aussi ouvertement aux portes de l’État que nous supposons occuper par des esprits sérieux. Cette initiative n’aurait pas dû venir de l’État même si les gouvernements qui se sont succédé depuis ces trente à quarante dernières années,- pas tous quand même -! Se sont surtout adonnés, à défaut de haute  stratégie, à davantage de manœuvres de quatre sous enfonçant davantage le pays dans ce trou sans  fond dans lequel il est plongé aujourd’hui.

Dessalines a vu le jour durant cette fameuse nuit du 22 aout 1791 quand ces frères et sœurs ont franchi au Haut-du-Cap, le Grand Pont afin de répandre la terreur  chez leurs tortionnaires, sur les habitations les plus riches de La Plaine du Nord. Cette nuit-là ils et elles étaient devenu (e) s des personnes humaines en mettant du même coup fin au code noir. Voilà le véritable acte d’état civil de ces infortunés, établi durant cette nuit d’enfer !

Cette regrettable décision semble participer à ce désarroi narratif auxquels sont confrontés et cet État et cette société totalement abandonnée à elle-même. Fort de ce désarroi, les uns et les autres s’enlisent de plus en plus dans des slogans trompeurs sans contenu réel  et qui souvent font boule de neige  dans leurs effets désastreux. L’un d’eux, qu’on répète à l’unisson, pourrait être à l’origine de cette si déconcertante mesure qui proclame haut et fort le 20 septembre jour national férié et le 17 octobre 1806 jour de deuil ! On perd absolument son latin dans ce qui parait être un  véritable labyrinthe à caractère discursif. « Célébrons les vivants plutôt que les morts » ! Faut pas attendre une disparition pour encenser l’être appelé à être fauché à tout moment. Un traitement assez superficiel de la complexe dualité de la vie et de la mort. Dans cet Imbroglio, la date la mieux indiquée serait celle du 25 juillet, charriant une plus grande charge symbolique. Elle correspond encore à ce jour  de naissance prêtée Dessalines et dont parle Madiou, un témoin d’époque qu’il convient de ne jamais négliger. Le 25 juillet 1805, tous les généraux s’étaient retrouvés, raconte notre historien, dans la ville du Cap pour célébrer l’anniversaire de l’empereur Jacques 1er   ( Fardin, 1985, Vol 3 p 206).

Tout monarque à droit, même conventionnellement, à un jour de naissance. Il faut bien l’admettre et on lui en a trouvé une comme le souligne d’ailleurs Jean Ledan dans sa chronique dans le Nouvelliste. Il demeure entendu, que cette date nettement plus sérieuse que ce déconcertant 20 septembre, se réfère, dans le monde respectable des vodouisants, a la fête de St jacques Majeur, célébrée dans toute la Plaine du Nord. C’est le jour consacré au grand papa Ogou qui, à ce qu’on prétend aurait guidé le grand guerrier Jn Jacques Dessalines durant la guerre de l’Indépendance jusqu’à la victoire finale.

Quelle date retenir enfin pour célébrer le grand Dessalines ? Entre la vie et la mort, quoi choisir pour cette célébration ? Pour éviter d’être la risée des esprits responsables et prudents du secteur académique, il importe de choisir le jour de sa mort. Cette dernière, nous le savons, est toujours fort mal accueillie, mais elle revêt une certaine solennité. Et s’agissant de la mort de l’empereur, le 17 octobre 1806, ce jour, ainsi que le qualifie  le monde des historiens, s’impose  comme une date épaisse. Elle constitue, une pièce fondamentale dans l’inconscient collectif des Haïtiens. Pourquoi faut-il comparer la naissance et la mort ? Deux phénomènes fortement liés, mais point de même nature. Les morts illuminent et guident la vie des peuples, de tout peuple, et pour nous autres les haïtiens, celle de Dessalines n’arrêtera  jamais de nous nimber de sa dense  et si bienfaisante lumière !

Plus sérieusement, dans une vision proprement sartrienne des choses qu’est-ce qui contribue  à véritablement construire un destin d’une vie ? La doctrine existentialiste prônée par Jean Paul Sarthe s’est toujours ouvertement opposée à la philosophie classique qui entendait détermine la vie des hommes par une sorte de fatum qui devait précéder  leur naissance. Contrant farouchement ces présupposés idéalistes ce philosophe a toujours soutenu que l’existence des hommes précède plutôt leur essence. Dans bien des cas les faits ordinaires des individus historiques se chargeaient d’apporter  vérification à une telle hypothèse. Une vie en effet, dans son cours, dans sa course  vers la mort est souvent confrontée à des événements inattendus qui bouleversent toute l’existence d’un être jusqu'à dévoiler ses limites. Un phénomène survenant souvent après les hommages dont on les entoure et qui provoque bien de déceptions. Le peuple de France, du temps de la révolution, a été victime d’une pareille déconvenue.

Le 22 avril 1791, meurt en pleine gloire pour son action tout au début de cette grande commotion, le comte de  Mirabeau. Le peuple décide de le placer au Panthéon une Institution toute récente logée dans l’ancienne église vouée à Sainte-Genevieve, pour exprimer  la reconnaissance de la France a ses  enfants les plus méritants. Tout juste après cette louable initiative populaire à l’endroit  de ce formidable tribun le brave peuple de Paris découvre que son action  n’était pas  tout à fait aussi nette qu’on le pensait. Pendant tous ces grands événements que ce dernier éclairait de son verbe éblouissant notre comte ne cessait de s’aboucher avec la cour qui lui monnayait ses services. Le peuple de Paris, furieux procède dans la plus grande violence, à sa dé-panthéonisation. Son essence s’était trouvée attachée dans les tous derniers moments de son existence par cette scandaleuse conduite qui était celle d’un traitre !,

Vive l’Empereur et que survive le 17 octobre 1806 !

 

Pierre Buteau

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