Le métier d’informer: une profession à sauver en Haïti

Depuis un certain temps, la pratique du journalisme en Haïti laisse à désirer. Beaucoup sont ceux qui se questionnent sur la manière dont on doit procéder pour redorer le blason de ce secteur qui est, tout de même, important pour la bonne marche de la société. « Comment le journaliste peut-il contribuer à la valorisation de son métier d’informer ? », des journalistes professionnels partagent leur avis sur cette question.

La valorisation du journalisme en Haïti est un pilier essentiel pour une société démocratique. Le journalisme occupe une place cruciale dans une société démocratique en tant que gardien de l'information, de la transparence et de la responsabilité. En Haïti, les journalistes jouent un rôle essentiel dans la diffusion des informations et la promotion d'une société avisée. Cependant, ils doivent faire face à de nombreux défis qui entravent la valorisation de leur métier.  « Comme c’est le cas à l'échelle mondiale, le journalisme a connu des évolutions significatives en Haïti en raison des avancées technologiques, de l'essor des médias en ligne et des défis liés à la désinformation. À ce niveau, le paysage médiatique haïtien a connu un boom exponentiel avec la multiplication galopante du « phénomène des médias en ligne », constate le consultant en communication Jhonny CélicourtSelon l’ancien animateur de radio, « la majorité [des médias en ligne] se lance à fond dans le sensationnalisme voire dans la propagation de fausses informations sur les réseaux sociaux ». Ce qui, poursuit Célicourt, peut constituer un véritable danger pour l’avenir du métier qui risque d’être totalement décrédibilisé aux yeux de la population.

L'intégrité, l'éthique et la formation : fer de lance de la valorisation du journalisme. D’aucuns estiment qu’il est urgent de redorer le blason du métier de journaliste en Haïti. Cela doit passer, inévitablement, par l’application des principes déontologiques dans la professionnalisation du journalisme, selon le journaliste de carrière Hérold Jean-François, également directeur général de la radio Ibo. « La vérification des faits, la fiabilité de l’information et la transparence » constituent, pour ce professionnel de plus de 40 ans dans la presse haïtienne, l’âme du métier. « En agissant avec intégrité, les professionnels de la presse peuvent gagner la confiance du public et renforcer la crédibilité de leur métier », croit le directeur général de la radio Ibo.

Ce n’est pas l’institut PANOS qui ira à contre-sens. « Afin de lutter contre la désinformation et de promouvoir la professionnalisation du secteur des médias, la formation continue des journalistes locaux et nationaux sur les méthodes de vérification de l'information est essentielle », a recommandé l’institut PANOS dans une étude publiée en juillet 2023, de concert avec Policité, sur l’écosystème de l’information en Haïti. Une approche appuyée par Jhonny Célicourt qui a l’habitude de présenter des formations à l’intention des journalistes. Pour lui, la formation continue est un passage obligé pour les journalistes haïtiens afin d’améliorer leurs compétences, s’adapter aux nouvelles tendances dans l’information, comprendre les nouveaux paradigmes et mieux développer leur sens critique.

C’est vrai que l’écosystème de l’information évolue constamment : de nouveaux outils et de nouvelles techniques de cueillette et de traitement d’information ont vu le jour. Mais, l’une des lauréates de la 6e édition du concours te texte et de reportage de l’OPC Rove Jeantuse Jean Michel constate que certains médias continuent d’effectuer des travaux de manière archaïque jusqu’à présent, retardant ainsi le développement du secteur par rapport aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. La journaliste de la radio Vision 2000 plaide en faveur d’une « mise à jour » dans les méthodes de cueillette et de traitement de l’information. Le journalisme étant, pour elle, un métier à part entière. Cette mise à jour doit se faire par des recherches approfondies sur des sujets variés pour une meilleure diffusion, croit-elle.

Outre les problèmes liés aux acteurs mêmes de la profession, l’environnement dans lequel les journalistes exercent en Haïti servent parfois d’obstacle à l’exercice du métier. En effet, la rétention d’informations est monnaie courante en Haïti surtout dans les milieux étatiques, en dépit de la législation relative à la question, alors qu’il n’y a pas de journalisme sans information. Autrement dit, la disponibilité des informations pour les journalistes est un élément crucial pour le métier d'informer. « C’est vrai que les journalistes doivent se former pour mieux former leur public cible. Cependant, les informations ou du moins les sources officielles ne sont pas, tout à fait, à la portée des travailleurs de la presse malgré l’adoption d’une loi sur l'accès à l'information en 2011, s’insurge Rove Jeantuse. Cela peut affecter leur capacité à fournir une couverture journalistique approfondie et équilibrée », poursuit-elle. Pourtant, cette loi garantit le droit des citoyens à l'accès à l'information détenue par les organismes publics. Les journalistes peuvent l’utiliser pour demander des informations aux autorités publiques et ainsi enrichir leurs reportages.

Malgré ces défis, les journalistes haïtiens ont la responsabilité de poursuivre leur quête d'informations précises et équilibrées pour informer le public et contribuer à la valorisation de leur métier, ajoute le lauréat du Prix Jeune Journaliste en Haïti de l’OIF, Marx Stanley Leveillé.

Les journalistes doivent être libres de mener des enquêtes de manière indépendante, sans crainte et intimidations. Mais, la situation sociopolitique fragile du pays rend difficile le travail de ces professionnels dont certains craignent d’être victimes d’assassinat comme bien d’autres avant. Et surtout, n’ayant aucune garantie que la justice agira en conséquence. « Les autorités haïtiennes ont l’obligation de garantir la liberté de la presse conformément à la constitution de 1987 amendée ainsi que des mécanismes de protection pour les journalistes qui sont intimidés ou menacés », déclare Me Arnel Rémy, porte-parole du collectif des avocats  pour la défense des droits de l’homme (CADDOH).

Quid de la situation économique des médias/journalistes ? Les radios et télévisions connaissent une précarité financière. Elles dépendent, en majeure partie, des spots publicitaires qui leur sont offerts de moins en moins ces temps-ci. Beaucoup de patrons de médias se plaignent de la diminution de ce moyen de subsistance au niveau du secteur. Un facteur lié à l’instabilité socio-politique et l’insécurité grandissante, ce qui affecte le bon fonctionnement des médias. Le rapport de 2022 de Reporters sans Frontières l’a mentionné: « Le journalisme est l’un des métiers les plus mal rémunérés en Haïti. À l'exception des employés des médias publics et de quelques rares médias privésles reporters peinent à satisfaire leurs besoins alimentaires de base ». Face à ce phénomène, des journalistes s’adonnent à des pratiques malsaines comme recevoir des pots-de-vin de la part des politiciens ou hommes d’affaires dans le but de faire circuler de fausses informations.

En ce sens, l’aide financière est essentielle pour les médias en général et aux journalistes en particulier afin de mener des enquêtes approfondies et de bonne qualité. Ce qui participera à la valorisation du métier.

Outre les dérives, les NTIC peuvent être utiles à l’exercice du journalisme. Grâce aux avancées technologiques, les médias sociaux offrent aux journalistes une opportunité unique de diffuser des articles, reportages audio et/ou audiovisuels. Cependant, ces canaux (les médias sociaux) sont souvent utilisés comme un vecteur de diffusion de fausses informations vu l’accès facile de cet outil à des citoyens lambda qui peuvent publier n’importe quoi sans utiliser la règle des trois passoires, critique Lovelie Stanley Numa, PDG du journal en ligne, Impulse Web Media. Cela ne veut pas dire que ce phénomène de médias en ligne soit complètement inutile. Au contraire, certains médias traditionnels ont même fait une transition quasi-totale vers le virtuel, mais reste quand même crédible, a nuancé Jhonny Célicourt.

Hérold Jean François, de son côté, relate des exemples de ce qu’il appelle « des citoyens journalistes » qui sont, quelquefois, témoins de plusieurs scènes de violence comme c’était le cas lors de la bastonnade de Rodney King, le 3 mars 1991, et celui de Georges Floyd, le 25 mai 2020. Tous deux filmés par des citoyens aux États-Unis. Cependant, il est essentiel de respecter les principes éthiques lors de l'utilisation des médias sociaux ou avant de partager un contenu, de veiller à la véracité et l’utilité des informations partagées. C’est à ce moment qu’on va pouvoir faire la différence entre un journaliste professionnel et un utilisateur d’un téléphone intelligent qui publie n’importe quel contenu, souligne le membre de l’association nationale des médias haïtiens ANMH.

Il est essentiel de sensibiliser le public à l'utilité du journalisme dans une société démocratique. Pour le présentateur à Radio Télévision Caraïbes, Marx Stanley Léveillé, un journaliste doit rendre son travail utile au développement de sa communauté grâce à la pertinence des sujets qu’ils traitent dans le cadre de son métier. D’un autre côté, les journalistes peuvent organiser des événements, des conférences et des débats pour éduquer le public sur le rôle vital du journalisme dans la recherche de la vérité, la protection des droits de l'homme et la lutte contre la corruption afin de renforcer leur légitimité auprès de la communauté.

La censure et l’autocensure. C’est vrai que la constitution garantit la liberté de la presse. Cependant, le journaliste doit respecter le code déontologique du métier, élaboré en 2011 par des experts dans le domaine avec l’appui de l’UNESCO. C’est un outil méthodologique qui explique au journaliste quel chemin il doit prendre. Toutefois, ce document ne prévoit pas de sanctions en cas de bavure, selon les explications de Marie Raphaëlle Pierre, membre de l’association des Journalistes haïtiens (AJH) qui dit croire que cette responsabilité est léguée au média auquel appartient le journaliste en question. « Si c’est un journaliste indépendant, cela revient à lui de faire l’autocensure en se basant sur sa moralitéC’est à ce moment-là que le journaliste pourra effectuer un travail de qualité pour bien informer son public », conclut la journaliste à Radio Ibo.

En fin de compte, la valorisation du journalisme est très importante dans le renforcement de la démocratie que nous tentons de construire en Haïti depuis plus de trente ans. Les journalistes ont un rôle crucial à jouer dans cette démarche et doivent être soutenus dans leur quête de vérité et de responsabilité. En faisant preuve d'intégrité, en se formant continuellement, en utilisant les médias sociaux de manière responsable, en sensibilisant le public et en défendant la liberté de la presse, les journalistes haïtiens peuvent valoriser leur métier et contribuer à une société plus avisée et démocratique.

 

Woodline SAINT-DIQUE

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES