La difficile réforme de la justice en Haïti

Depuis des années, on se plaint quotidiennement du fonctionnement de la justice en Haïti qui avait motivé des tentatives de réformes ayant toutes presque toutes échoué. On parle de justice corrompue, de justice faible, de justice inefficace, de justice à la solde des hommes politiques et même de justice à la tête du client.  À travers toute son histoire, on s’aperçoit que le système de justice n’a jamais bien fonctionné ou n’a jamais vraiment fonctionné de manière conforme par rapport aux normes qui doivent régir la vie des habitants d’un pays.

 

Il est intéressant d’analyser d’abord l’histoire de cette institution et des tentatives de réforme qui ont été entreprises au cours des soixante dernières années pour comprendre la situation actuelle, avant d’aborder les défis de la gouvernance judiciaire dans le pays.

 

1- Les premiers pas de la justice haïtienne

 

Des textes d’une portée limitée pour répondre à l’urgence de l’heure ont été adoptés depuis le gouvernement de Jean-Jacques Dessalines dans la perspective de doter notre territoire d’un système d’arbitrage des conflits, de règlementer et de contrôler quelques domaines de la vie sociale de la nouvelle république, en particulier les problèmes fonciers qui se posaient très tôt dans le pays pour le partage des anciennes propriétés coloniales.

De toute façon, pendant le peu de temps qu’il avait gouverné le pays, l’Empereur était plus  préoccupé par les questions de défense du territoire pour prévenir toute attaque de la part de l’ancienne métropole que pour organiser juridiquement le pays, d’autant que la nouvelle république ne disposait pas de cadres à cet effet.

Comme l’a montré avec beaucoup de minutie Louis Naud Pierre, on avait pu noter, à partir de Jean-Pierre Boyer, deux tentatives significatives pour judiciariser la vie sociopolitique et économique du pays.

1.1 La première tentative de judiciarisation de la vie socio-politique haïtienne

« La toute première tentative remonte à la période 1804-1843, dans le contexte d’édification de l’État et de construction de la société au lendemain de l’indépendance et sur de fonds de conflits opposant les groupes sociaux de l’ancienne colonie (anciens libres, noirs et mulâtres, et nouveaux libres) « qui se disputaient ouvertement et violemment les maigres ressources disponibles » et auxquels il fallait « permettre à l’autorité nationale de s’imposer à tous, en imposant certaines limites aux prétentions et stratégies ».

On doit à Jean-Pierre Boyer, après les périodes particulièrement agitées de la présidence d’Alexandre Pétion et du royaume d’Henri Christophe,  la première tentative relativement solide de créer de mettre en place un arsenal juridique répondant à de nombreux défis de la vie nationale. Son ambition était « d’instaurer un espace de légalité dans lequel les acteurs privés et publics se doivent de concevoir les modalités de leur coexistence, sous peine de sanction ».

Cependant, cette tentative de contrôler tous les domaines de la vie sociale au moyen du droit légal avait piteusement échoué. Le nouvel ordre juridique légal qui était le dessein de Jean-Pierre Boyer se voyait supplanté par un ensemble d’institutions traditionnelles qui s’étaient développées dans le pays en dehors duquel les mesures comme le Code rural de 1826 qui coupait le pays en deux avait largement contribué. Dans plusieurs domaines, la forme coutumière avait pris le dessus sur la forme légale, comme « la prédominance du plaçage ou mariage coutumier » qui était plus répandu que « le mariage civil reposant sur la signature d’un contrat conforme à la loi ».

 

Pour ce qui concernait les « transactions sociopolitiques et économiques, les normes légales avaient fait place, au sein des communautés lignagères et translignagères locales, aux normes d’entraide, de loyauté et de confiance réciproque, pour générer la pratique du combite, actuellement en voie de disparition parce qu’il est de plus de plus supplanté par le paiement d’une main d’œuvre occasionnelle.

 

L’essentiel des textes en vigueur dans le pays depuis l’indépendance qui s’était matérialisé par  le Code civil haïtien de 1825-1826, calqué sur le modèle français. Ce qui était naturel en l’absence de juristes pouvant mettre au point l’arsenal juridique dont le pays avait besoin de toute urgence. Il n’est pas étonnant que cette tentative de créer un système juridique se ressentait d’un « mimétisme juridique tout à fait inadapté aux réalités du pays » et qui avait longtemps valu des critiques de la part des nationalistes qui eux-mêmes n’avaient rien à proposer pendant près de deux siècles. La conséquence, c’est qu’il existe parallèlement au système officiel un système coutumier à plusieurs vitesses dont tout le monde parle avec beaucoup de fierté pour cause de nationalisme, mais qui, à ce jour, n’a jamais été présenté de manière solide même dans les études les plus savantes. Sous Jean-Pierre Boyer, les bases de l’organisation juridique du pays étaient clairement posées, avec l’adoption de plusieurs autres codes en l’espace de deux années : le Code civil, le 4 mars 1825 mai 1825 ; le Code de commerce le 28 mars 1826 ; le Code d’instruction criminelle, le 12 avril 1826 ; le Code rural, le 6 mai 1826 ; le Code pénal, le 19 mai 1826. Cependant, le Code civil de Jean-Pierre n’a jamais pu prévaloir sur les problèmes pris en main par le droit coutumier. Comme le droit successoral et des propriétés immobilières, notamment la matérialisation de ces dernières, comme l’a montré Gélin Colot.

 

Malgré les critiques empreintes de nationalisme, peu de modifications ont été apportées à la situation judiciaire du pays depuis Jean-Pierre Boyer. Il est unanimement admis que le Code civil est dépassé et elliptique sur bien des aspects de la vie juridique. Comme le dit Gelin Colot, « soumis à l’épreuve du temps, le monument est érodé beaucoup moins par l’usure que par la cassure du présent d’avec le passé. La pratique … révèle son insuffisance et son inadéquation par rapport aux réalités haïtiennes. À l’heure actuelle, ce code présente un double visage d’inflation et de déflation du positivisme juridique étatique »

1.2 La demande de réforme de la justice au cours des soixante dernières années

 

1.2.1 Les premières tentatives ou velléités de réforme de la justice haïtienne sous  François Duvalier et sous son fils

 

Sous la dictature de François Duvalier, il existait une commission de refonte des codes dont l’objectif déclaré était de « dépasser la désuétude des normes en vigueur ». Il avait publié le 14 mai 1962 le Code rural François Duvalier (64 pages), pour réglementer le monde paysan et dont l’un des meilleurs souvenirs était la distinction entre acte de naissance paysan et acte de naissance citadin. Également la publication en 1963 d’un Code douanier (188 pages) pour faire entrer davantage de taxes dans un pays qui tirait beaucoup de ses recettes douanières tant à l’importation qu’à l’exportation. Également, la publication le 12 septembre 1961 du Code du travail François Duvalier  (170 pages). Mais, « il a fallu 18 années, soit le 3 septembre 1979, pour créer officiellement un tribunal social pour trancher les éventuels conflits à naitre et trancher suivant les normes de l’Organisation du travail ».

 

Il faut noter que sous cette dictature, la plupart des décisions de l’Etat étaient prises sous forme de décrets ou de décrets-lois comme l'a fait René Préval toute l’année 1999..

 

Sous Jean-Claude Duvalier, quelques lois ont été également prises pour gérer certains aspects de la vie sociopolitique en Haïti, comme une loi adoptée le 30 juillet 1975 « faisant injonction à tout propriétaire foncier de mettre en valeur toute étendue de territoire cultivable ».

 

1.2.2 La demande de réforme de la justice en Haïti après les Duvalier

 

Selon Louis Naud Pierre, la deuxième tentative de judiciarisation de la vie sociale est contemporaine a été entamée à partir de 1994, sous l’influence des institutions supranationales, à l’instigation des autorités américaines et canadiennes engagées dans la construction d’une « zone de libre-échange des Amériques » (ZLEA), voulant contribuer à l’instauration de la démocratie qui a toujours été en proie avec les dictatures. Cela avait coûté beaucoup d’argent dont la plus grande partie a été jetée par la fenêtre, faute de volonté politique. Puisqu’à ce jour, après environ une trentaine d’années, on n’a pas encore abouti à la production de nouveaux textes qui aient pu remplacer les textes adoptés depuis la présidence de Jean-Pierre Boyer, malgré les critiques faciles de mimétisme à l’encontre des textes d’origine  qui ne sont pas adaptés à la réalité haïtienne, dont le Code civil en vigueur depuis 1825.

 

De nombreuses études et propositions ont été réalisées en ce sens aboutissant à la création d’institutions comme le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, communément appelé CSPJ dans lequel on avait placé beaucoup d’espoir pour changer le visage de la justice haïtienne et dont le fonctionnement n’est pas la hauteur des attentes des uns et des autres et dont plus d’un disent qu’elle n’est qu’une institution boiteuse de plus.

 

2 Les tentatives ou velléités de réformes à partir de 1986

 

À partir de 1986 où tous les espoirs d’un aller-mieux étaient permis, avec « les demandes citoyennes axées sur le justice sociale et sur le respect des droits et libertés fondamentales ont forcé le discours politique officiel à s’infléchir en intégrant la problématique de la réforme de la justice » (Louis Naud Pierre) .

 

 Pendant quelques années, le discours officiel, par opportunisme politique, se donnera comme une simple paraphrase de ce discours revendicatif. Pour faire vite, on pourrait dire que ces demandes se sont articulées autour de deux axes dont le premier se fonde sur la justice sociale et dont l’autre est de nature exclusivement politique, renvoyant notamment à la nécessité de la mise en place d’un État respectueux des droits et libertés fondamentales.

 

2.1 Les tentatives de réforme de la justice en 1994 sous Jean-Bertrand Aristide

 

C’est à cette fin qu’a été créée en 1994 une Commission préparatoire à la réforme du droit et de la justice, suivie à partir de 1997 de la Commission préparatoire à la réforme du droit et de la justice (CPRDJ) qui devaient induire « une conception de la réforme articulée en termes structurels ».

 

Patrick Pierre-Louis avait critiqué sévèrement l’action néfaste du Ministère de la Justice en ce sens qu’il n’avait pas repris le diagnostic des commissions, indiquant que l’entité gouvernementale s’était cantonnée « dans une approche somme toute traditionnelle » sans  engager des actions de nature à « permettre de saisir la globalité de l’entreprise de réforme ni « opérer de rupture avec les pratiques traditionnelles. Il attendait plutôt de voir le ministère « concevoir et formuler une politique en la matière qui serait susceptible de canaliser les différentes interventions sur le terrain ». Il avait aussi déploré que  le ministère se soit embarqué dans une série d’actions qui s’étaient inscrites fondamentalement, « soit dans un cadre exclusivement normatif (proposition d’un ensemble de lois sur la magistrature où l’assemblée des participants s’est révélée une chambre d’entérinement des projets élaborés sans implication des acteurs judiciaires), soit dans un cadre fonctionnel (relèvement des salaires des magistrats, distribution de motocyclettes aux juges de paix...etc.).

 

Sa plus grande critique contre les travaux de la Commission était qu’elle était profitait à « certains acteurs du système en leur accordant une plus-value politique ».

 

Il avait également pointé du doigt « l’absence d’une politique publique en matière de justice qui avait conduit le Ministère à ne pas avoir de prise sur les différentes interventions en cours sur le terrain, faute de les intégrer dans une démarche d’ensemble définie en termes de politique ». Une carence qui selon lui, « a autorisé la production d’une série de diagnostics du système juridico judiciaire- haïtien qui n’ont pas peu contribué à parasiter le processus même de réforme »

 

Tous les efforts récents qui ont coûté beaucoup d’argent n’ont pas été couronnés de succès comme l’a montré deux ans après, le rapport « Justices » du PNUD qui avait confirmé l’échec des différentes interventions de la communauté internationale en matière de justice. De même, le gouvernement Préval/Alexis en février 2001 avait reconnu l’échec de ses interventions dans ce secteur.

 

Comme le dit Louis Naud Pierre, l’histoire de la justice en Haïti est essentiellement celle de son instrumentalisation qui conduit à sa dénégation et à sa totale absorption » par une série d’acteurs politiques et économiques.

Selon lui, « la réforme de la justice risque de durer longtemps et les novateurs feraient bien d’avoir la mémoire longue ».

2.2 Les tentatives de réforme de la justice sous René Préval

Tentative de réforme de la justice sous René Préval qui avait installé le 19 février 2009 à son retour au pouvoir une Commission présidentielle de réforme de la justice ainsi qu’un secrétaire d’État à la réforme judiciaire.

 

Le Président avait alors indiqué que même les lois qui sont correctes n’arrivent pas à être mises en application. « La justice est corrompue, les magistrats accusent un manque de
formation et ne sont pas bien rémunérés, les tribunaux ne sont pas équipés, il n’y a pas une coordination efficace entre la police et la justice ».Il avait ajouté que « les prisons sont remplies de détenus qui devraient être libérés, les rues bondées de délinquants qui devraient être incarcérés ».

 

Des travaux étaient également tenus pour la réforme du Code pénal et du code d’instruction criminelle, visant entre autres à se pencher sur « le statut des juges, l’accès à la justice, la détention préventive prolongée, la vulgarisation des instruments et mécanismes juridiques et judiciaires »

2.3 Les tentatives de réforme de la justice haïtienne sous Michel Martelly

Une nouvelle tentative de réforme de la justice haïtienne a vu le jour sous Michel Martelly à la date du 16 janvier 2012 qui avait institué par arrêté une commission chargée de réfléchir sur les changements nécessaires dans l’appareil judiciaire.

Cette commission baptisée « Groupe de travail sur la réforme de la justice » s’était vu confier la mission « d’étudier et de proposer les mesures appropriées pour la mise en œuvre de la réforme de la Justice ».

La commission avait travaillé plusieurs années pour livrer son rapport en 2015.

La même année, en juillet 2012, Michel Martelly avait institué le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (Cspj) qui est un organe prévu depuis  par la Constitution amendée.

Le Cspj dans lequel on avait placé beaucoup d’espoir pour arriver à gagner la confiance des justiciables, garantir l’indépendance de la justice et « appliquer la politique judiciaire de l’Etat » devait être  « l’organe d’administration, de contrôle, de surveillance, de discipline et de délibération du pouvoir judiciaire ».

Cependant, onze années après la création du CSPJ, la réalité a montré qu’au lieu de faire les progrès qu’on espérait, la justice haïtienne a continué à s’enfoncer.

 

2.4 Une tentative de réforme de la justice sous Jocelerme  Privert

 

Sous la présidence provisoire de Jocelerme Privert, on a également enregistré une tentative de réforme de la justice. C’est ainsi qu’en octobre 2016, Camille Édouard Jr., le ministre de la Justice avait procédé à l’installation d’une Commission présidentielle sur la réforme du droit pénal, pour prendre la relève de la Commission qui avait été formée en 2012 sous le gouvernement Martelly, laquelle avait procédé à l’élaboration de l’avant-projet de Code pénal et à l’avant-projet du Code de procédure pénale.

 

2.5 Les tentatives difficiles de réforme de la justice sous Jovenel Moise

 

Sous Jovenel Moise, avaient abouti les travaux des commissions créées par les anciens gouvernements depuis René Préval en 2009, qui avaient délivré en 2015 deux textes majeurs pour la justice haïtienne : le projet de Code pénal (1036 articles et 345 pages) et le projet de Code de procédure criminelle (1364 articles et 437 pages)  .

Ces deux textes n’ayant jamais eu l’aval du Parlement qui les avait reçus en 2018 furent publiés sous forme de décrets en 2020 par Jovenel Moise.

 

La publication du Code pénal avait provoqué un immense tollé immense dans le pays, notamment dans la société civile qui l’avait accusé d’immoral en raison d’un certain nombre d’articles qui étaient trop innovants, de l’aveu même d’un conseiller de Jovenel Moise, Reynold Georges, qui l’avait déclaré publiquement mort-né parce qu’il était en avance sur la société haïtienne. Plus d’un disait que c’était un code de la débauche.

 

Selon le clergé de l’Église catholique haïtienne, « ce projet de loi était une atteinte particulièrement grave à l’essence même de notre humanité. Il implique les difficiles et complexes questions de la vie humaine : de la majorité sexuelle, de l’inceste, des orientations sexuelles, du changement de sexe ». Il était également décrié pour l’un de ses articles phares qui légalisait l’avortement.

 

À sa publication le 24 juin 2020, il était prévu que nouveau Code pénal devait entrer en vigueur 24 mois après, soit le 14 juin 2022, est devenu caduc sous le gouvernement d’Ariel Henry qui l’a laissé aux oubliettes.

Depuis la mort de Jovenel Moïse, on ne parle plus de réforme de la justice, la mission du nouveau gouvernement étant davantage centré sur le rétablissement de la sécurité et l’organisation hypothétique des élections.

 

3. Les problèmes et défis du système judiciaire haïtien

 

Les problèmes et défis du système judiciaire haïtien se révèlent extrêmement complexes expliquant les nombreux dysfonctionnements d’un système que tout le monde considère à bout de souffle.

Nous nous bornerons à en aborder dans ce texte ceux qui nous paraissent les plus importants et en même temps les plus urgents.

 

3.1 Les dysfonctionnements du système judiciaire haïtien

 

L’un des défauts majeurs qui minent le système judiciaire est son dysfonctionnement qui se caractérise par les grèves à répétition de ses agents ((juges, magistrats, greffiers, parquetiers, avocats, etc.). Depuis 2010, il ne se passe jamais une année où l’on n’enregistre pas un arrêt de travail des membres de ce système. Parfois même, des grèves illimitées. Ce qui est d’autant plus facile qu’en Haïti, on n’effectue pas de prélèvement sur les salaires des personnels en période de grève.

Début mars 2021, un arrêt de travail des magistrats était lancé dans le cadre d’une grève illimitée, pour protester contre la décision de l'exécutif qui avait pris des arrêtés mettant à la retraite puis remplaçant trois juges à la Cour de cassation. En ce sens, Jean Wilner Morin avait exhorté tous les magistrats assis et debout à continuer d'observer le mot d'ordre de la grève. 

 

Le juge Wilner Morin avait clairement signifié qu’ « on ne peut envoyer à la retraite ni nommer des magistrats en dehors de loi; on ne peut pas mettre en disponibilité un greffier dans l'exercice de ses fonctions", et exigeait en même temps  «  la réintégration dans le système judiciaire d’un greffier, Christopher L'espérance, qui a avait siégé lors de l'ordonnance de libération du juge Yvickel Dabrésil qui avait été accusé de fomenter un coup d’État contre Jovenel Moïse.

 

En juin 2020, on avait noté aussi une longue grève des magistrats qui réclamaient de meilleures conditions de travail, dont des matériels de travail nécessaires et appropriés à cette période pandémique; le renouvellement, sans délai, des mandats des juges des tribunaux de première instance et de ceux des Cours d’appel.

 

Ils exigeaient aussi « le transfert de compétence du personnel judiciaire (greffiers, huissiers audienciers) au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, conformément aux engagements pris à cet effet par le Pouvoir exécutif à travers le Protocole d’accord conclu avec le Conseil en date du 20 octobre 2017; le transfert du budget d’investissement du Pouvoir judiciaire au CSPJ; le paiement des arriérés de salaire des magistrats du parquet et de meilleurs traitements face à la montée galopante de l’inflation ».

 

Dysfonctionnement aussi, en raison des carences dans la formation des greffiers, des juges et des magistrats qui ont reçu au cours des trente dernières années de nombreuses séances d’apprentissage. Le directeur de l'École de la magistrature (EMA), Lionel Bourgoin, avait reconnu la faiblesse du niveau de compétence des magistrats avouant aussi que les greffiers qui prêtent leur service au système sont formés sur le tas, parce qu’il  « n'existe pas d'école dans le pays où l'on peut apprendre la profession de greffiers ».

 

Les rapports signalent aussi que le niveau est encore plus bas dans le cas des huissiers qui, pour certains, savent à peine lire et écrire et qui « se contentent de séminaires organisés par des partenaires de l’État tels que le PNUD et la Minustah jusqu’en 2018.

 

3.2 Le problème de la corruption du système judiciaire haïtien

On accuse le système judiciaire haïtien d’être corrompu à tous les niveaux.

D’abord, entre les avocats qui se seraient souvent entendus pour faire pencher la balance en faveur de tel ou tel client avant le jugement. Et dans ces cas, c’est toujours celui qui offrirait le plus d’argent à son collègue de la partie adverse qui gagne la bataille. En plus, les gens les plus fortunés ne perdent jamais un procès.

 

Des organisations de la société civile haïtienne et des acteurs du système judiciaire considèrent aussi comme l'une des sources de la corruption le fait que la nomination des juges est une prérogative de l’Exécutif et du Parlement, parce qu’entretemps des tractations ont eu lieu sur fond de favoritisme et de trafic d’influence pour soudoyer les autorités qui doivent prendre la décision à soumettre au Président de la République à partir d’une liste que le Sénat lui soumet quand le système législatif fonctionne.

 

Il est aussi avéré que la lenteur de l’administration haïtienne est un autre facteur favorisant la corruption, car quand les juges restent deux ou trois années sans recevoir leur salaire, c’est la porte ouverte aux pots-de-vin et aux combines avec des avocats pour entretenir l’injustice au détriment des justiciables.

De même, on a plus d’une fois déploré des formes de corruption passive, qui consistent « au fait pour l’Exécutif ne traite pas les magistrats de même rang sur un même pied d’égalité. Certains reçoivent parfois des voitures de fonction, tandis que d’autres n’en disposent pas.

On sait aussi que malgré la situation actuelle, les bandits qui devraient être derrière les barreaux circulent en toute quiétude, parce que certains d’entre eux ont été libérés par des juges corrompus. Inversement, comme l’avait dit Rigaud Duplan ,« des innocents arrêtés injustement ou par erreur sont écroués depuis trop longtemps parce qu’ils n’ont pas les moyens d’accéder à la justice. Rigaud Duplan avait préconisé que selon lui, toute « réforme judiciaire en Haïti devrait avoir comme objectif premier de faciliter l’accès à la justice à tous les Haïtiens indistinctement ».

De même, il est notoirement connu que des fonctionnaires corrompus qui ont volé des millions à l’État ne sont jamais poursuivis, malgré les simulacres de certaines institutions qui les convoquent certaines fois sans donner de suite à leurs premières démarches.

Enfin, on connait le tollé qui a été soulevé  lors des dernières opérations de certification des magistrats du CSPJ pour épurer le système. Sur une liste de 59 dossiers traités, 31 magistrats ont été certifiés et 28 autres n’ont pas reçu un avis favorable.

 

3.3 La question de la détention préventive prolongée

 

En raison du manque de place dans les établissements pénitentiaires et aussi du laxisme d’un système judiciaire ainsi que de ses problèmes divers de fonctionnement, le pays fait face depuis plus d’une trentaine d’années à une surpopulation carcérale. On parle depuis des années comme un refrain de la nécessité de mettre fin à la détention préventive prolongée qui explique que plusieurs prisonniers y compris des mineurs restent incarcérés parfois une dizaine d’années sans être passées devant un juge. La presse haïtienne signalait en octobre 2010 que, « sur une population carcérale forte de 5.163 détenus, 3437, soit 66,6 %, sont en détention préventive et que parmi eux on comptait 116 mineurs, dont 24 filles.

Les conséquences immédiates de la détention préventive sont nombreuses, en premier lieu la saturation des prisons. Selon un rapport du BINUH publié le 10 août 2022, « le taux d’occupation dans les quatre prisons principales du pays est de 401%, soit quatre fois leur capacité maximale. En conséquence, les détenus ne disposent que de 0,24 m2 pour survivre, guère plus que la surface d’une chaise ».

En 2010, le Pénitencier national, principal centre carcéral de la capitale, abritait le plus grand nombre de personnes en détention préventive, soit 1.348 pour une population totale de 1.469. Il en était de même, à la prison pour femmes, à Pétion-Ville où, sur les 284 pensionnaires, 247 se trouvaient  en détention préventive. Même situation aux Cayes, dans le Sud du pays, où le nombre de personnes en détention préventive s’élevait à 326 sur un effectif de 433.

 

Toujours, selon le rapport du BINUH, les personnes en situation de détention préventive « font aussi face à une pénurie majeure de nourriture et de produits et matériels médicaux. C’est à peine si un repas leur est servi par jour et ceux qui le peuvent doivent compter sur la solidarité de leurs proches pour manger. Dans telles conditions, le nombre de décès au sein des prisons augmente de manière alarmante : Depuis le début de l’année, il y en a eu 97 dont 20 au cours du mois de juin, et la santé de l’ensemble des détenus est à risque. 20 morts au cours du mois de juin. La malnutrition était un facteur déterminant pour cinq d’entre eux. À titre d'exemple, à la prison de Cap-Haïtien, 84 détenus sont en état de malnutrition avancé. Ils sont apparus sur une vidéo choquante diffusée début juillet sur les réseaux sociaux et chacun a pu constater avec horreur les conditions insalubres dans lesquels ils sont maintenus.

 

Toujours selon le rapport du BINUH, « de telles conditions de détention sont inacceptables et soulèvent de vives inquiétudes du point de vue des droits humains. En plus du manque criant de nourriture au sein des prisons, l’accès des détenus aux soins médicaux est quasi-inexistant. Il n’y a qu’un médecin pour 1 016 détenus et les livraisons de médicaments sont rares et limitées. Les détenus dépendent entièrement des soins offerts par les organisations caritatives. Dans ces circonstances, les conditions de détention sont en elles-mêmes considérées comme actes des mauvais traitements, voire de la torture ».

Beaucoup d’efforts restent à faire pour résoudre le problème de la détention préventive. Non seulement permettre que les personnes qui ont été arrêtées soient jugées dans les délais raisonnables, mais également que les budgets des prisons soient révisés à la hausse et que les prisons non fonctionnelles comme celles de Jérémie, d’Anse-à-Veau et de Petit-Goâve soient réhabilitées avec l’appui de fonds américains et canadiens, qui permettront d’offrir de meilleures conditions de détention et de mieux tenir compte de la problématique homme-femme dans la gestion des prisons haïtiennes.

3.4 Le problème de l’indépendance du système judiciaire haïtien

 

Nous ne saurions laisser sous silence un dernier aspect très important des problèmes de la justice haïtienne : celui de son indépendance.

La justice haïtienne a toujours été largement influencée par certains hommes politiques et aussi par certains hommes d’affaires puissants. Non seulement, les chefs d’État, mais également par certains barons des régimes qui exercent des menaces sur les juges pour orienter les décisions en leur faveur ou en faveur de leurs partisans.

Des bandits peuvent aussi empêcher à la justice d’entendre des justiciables, le jour où ils sont convoqués au tribunal. 

Gina Bourgeot a souligné dans son mémoire  « Le système judiciaire en Haïti et les obstacles qui paralysent son développement » que  les magistrats du parquet ne sont pas totalement indépendants du pouvoir exécutif dont ils sont les agents. »

L’une des initiatives qui ont été prises depuis 2012 a été d’ailleurs la création du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire dont le fonctionnement devait pouvoir  faire échapper les décisions de justice à l’influence et à l’autorité du ministre de la Justice.

Cette création était d’ailleurs conforme à l’article 184.2 de la Constitution amendée qui stipulait que « l’Administration et le contrôle du pouvoir judiciaire sont confiés à un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire qui exerce sur les magistrats un droit de surveillance et de discipline, et qui dispose d’un pouvoir général d’information et de recommandation sur l’état de la magistrature. Les conditions d’organisation et de fonctionnement du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire sont fixées par la loi. »

Cependant, malgré la mise en place du CSPJ, la situation de la justice haïtienne s’est empirée, notamment des conditions générales de travail du personnel judiciaire, de l’absence d’éthique des acteurs. Le RNDDH avait dénoncé dans son 38e Congrès « les allégations de transgression des règles déontologiques par les huissiers et les greffiers qui se font passer pour des avocats et fournissent assistance aux justiciables, avec souvent la complicité des parquetiers qui pourrissent la situation et sapent les efforts du CSPJ de redorer le blason de la Justice et gagner la confiance de la population.

 

Conclusion

 

Le système judiciaire haïtien constitue un poids lourd pour le pays. Puisque d’une part, les lignes n’ont pas vraiment bougé depuis les efforts de Jean-Pierre Boyer en 1825 et 1826 et, d’autre part, des millions ont été dépensés pour préparer des réformes qui sont passées pour la plupart  à côté. Pendant près de deux cents ans, on s’est contenté de critiquer les documents disponibles pour cause de mimétisme sans entreprendre les efforts véritablement nécessaires pour rectifier les contenus de l’arsenal existant. Des petites retouches ont été apportées au Code civil et un projet de Code pénal est désormais disponible ainsi qu’un Code de procédure criminelle. Malgré le blocage et le tollé auquel il a dû faire face en 2020 sous Jovenel Moïse. Ce Code pénal est le fruit d’un travail sérieux qui avait mobilisé plusieurs commissions ainsi que ses rédacteurs pendant des années, il ne reste plus qu’à en extirper, au-delà du contexte de passion qui avait sévi à la fin du mandat du Président assassiné, les articles les plus controversés et à le compléter éventuellement par un Code de procédure pénale pour disposer enfin officiellement d’un premier Code pénal « natif natal » haïtien.

                                                                    

 

Jean SAINT-VIL

jeanssaint_vil@yahoo.fr

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