La guerre de basse intensité des gangs continue. La commune de Kenscoff est toujours à portée de fusils d’hommes lourdement armés. Des attaques contre les vies et les maisonnettes de paysans se poursuivent dans l’Artibonite. Un nouveau piège vient de se refermer sur les habitants de la vallée : des actions de destruction des rizières menacent la prochaine récolte de riz. Les « cibles molles », qui n’ont rien de « militaire », sont systématiquement sabordées par cette furia incendiaire. On brûle tout : hôpitaux, écoles, commissariats — rares symboles d’une république fantomatique, d’un État qui feint encore d’exister.
L’attaque contre la grande ferme écologique de Kenscoff est révélatrice d’une guerre sale contre la nature.
L’insécurité a forcé le gouvernement à reculer, de reculade en reculade : projet de réforme constitutionnelle, référendum sur une « nouvelle république », conférence nationale — tous passés à la trappe sous la pression implacable de groupes armés jouissant d’une grande mobilité tactique.
Il faut à notre pays un réel soutien de nations qui veulent sincèrement aider. Mais surtout, il a besoin d’offres politiques valables. Pas de politiciens qui se contentent de guetter les vides au sommet de l’exécutif pour espérer tirer leurs marrons du feu. Pas non plus « d’intellectuels aux mains fines », comme dirait Anthony Phelps, versés dans l’art du discours manipulateur au service d’intérêts éphémères.
On attend de ceux qui se préparent à se bousculer aux portes du pouvoir, à la veille d’éventuelles joutes, des indications claires et nettes sur la manière de refonder ce pays, grand malade de la sous-région. Car le temps des illusions est passé. Refonder Haïti ne se fera ni par la magie des slogans, ni par le recyclage des mêmes visages usés. Il faudra du courage, de la cohérence et une vision collective. Ce sursaut national doit naître de la base, de ceux qui refusent de s’habituer au désastre.
Chaque citoyen, chaque paysan, chaque enseignant, chaque jeune doit comprendre qu’il détient une parcelle de la solution. Le salut ne viendra pas d’en haut, mais d’une volonté partagée de remettre debout cette terre épuisée. Haïti ne se sauvera pas seule — mais personne ne la sauvera sans elle.
Roody Edmé