Sommes-nous en pleine crise humanitaire en Haïti ?

Depuis une semaine, un certain nombre d’appels de détresse venant de divers secteurs se font entendre dans le pays, que ce soit de la part des services hospitaliers ou de services de base qui se trouvent au bord de l’incapacité de fonctionner, notamment pour cause de manque de carburant et de difficultés de circulation dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. Ajouter à cela le blocus du terminal Varreux depuis plus d’une semaine, les difficultés de ravitaillement qu’éprouvent des résidents de certaines parties de la capitale en raison du confinement imposé par la densité des barricades qui y ont été érigées ou encore en raison des problèmes de circulation entre la capitale et le reste du pays et enfin en raison des pillages opérés çà et là au cours des trois dernières semaines.

 

Pourtant, la plus grande partie des acteurs et de la population ne semble pas avoir pris la mesure de la gravité de la situation sociopolitique du pays qui, si elle ne connaît pas rapidement un dénouement, peut déboucher sur une véritable catastrophe humanitaire.

 

Les pages qui suivent se proposent de fournir des éléments d’appréciation de la gravité de la situation actuelle afin d’inciter les acteurs à prendre conscience de la situation et d’éviter le pire.

Nous commencerons par expliquer les origines de ce qui pourrait être à très brève échéance une grave crise humanitaire avant d’essayer de décrypter ses caractéristiques.

 

1. Les origines de l’éventuelle crise humanitaire en Haïti

 

Bien que les choses aient explosé depuis la décision du gouvernement d’augmenter les prix des produits pétroliers, il existe des causes diverses de la situation qui est en train de déboucher sur une grave crise humanitaire.

 

1.1  La question de l’augmentation des prix locaux des produits pétroliers

 

Alors que le pays faisait face depuis trois mois à une crise de distribution de produits pétroliers sans précédent qui était caractérisée par une extrême difficulté de se ravitailler en carburant, le Premier ministre Ariel Henry avait annoncé dans la soirée du dimanche 11 septembre 2022 l’augmentation imminente des prix du prix du carburant sur le marché national. Une première réponse lui a été donnée dès le lendemain, se traduisant par des blocages de rue, des scènes de pillage et des manifestations de protestations dans les quartiers centraux de Port-au-Prince qui visaient à le dissuader.

 

Malgré tout, le gouvernement était passé de la parole aux actes deux jours après, dévoilant dans l’après-midi du mardi 13 septembre un ajustement des prix des produits pétroliers, qui était considéré par plusieurs secteurs comme anormalement élevé. Dans le détail, les nouveaux prix étaient suivants : 570 gourdes pour le gallon de gazoline contre 250 gourdes auparavant,  670 gourdes pour le gasoil contre 353  gourdes auparavant et enfin 665 gourdes pour le gallon de kérosène contre 352 gourdes auparavant.

 

La mesure était rejetée violemment par l’ensemble de la population qui avait dénoncé la virulence de l’augmentation de 100% des prix des produits pétroliers en l’espace de neuf mois et qui n’allait pas lésiner par les moyens de riposter dans l’ensemble du pays. On sait ce qui s’en est suivi : manifestations, grèves générales à répétition, scènes de pillages et de vandalisme sur l’ensemble du territoire, non seulement aux dépens des biens du secteur privé, mais également de ceux de l’État et de plusieurs ONG, dont des ONG à vocation humanitaire.

 

Cette question de l’augmentation des prix locaux des produits pétroliers apparait comme une cause occasionnelle, puisque de nombreux autres facteurs ont également contribué à l’explosion qu’a connue le pays depuis mi-septembre 2022.

 

En fait ce qu’on peut appeler la crise de septembre 2022 n’est autre qu’un pic d’une crise multiforme qui frappe le pays depuis près d’une quinzaine d’années et dont un autre pic s’était  manifesté à travers les émeutes de la faim d’avril 2008 qui avaient provoqué la chute du gouvernement de l’ancien Premier ministre Jacques Édouard Alexis. Citons-en quelques aspects.

1.2 Le problème monétaire

 

Quand on parle de problème monétaire, il s’agit de la question de la dévaluation permanente de la gourde qui se poursuit depuis plusieurs années à un rythme accéléré bien qu’il y ait eu de courtes périodes de remontée ou de relative stabilisation. Sans remonter aux temps fastes où  cinq gourdes s’échangeaient contre un dollar conformément à une convention signée entre Haïti et les États-Unis en 1919 qui était valable pour 50 ans, c’est-à-dire jusqu’en 1969. Pendant plus d’une vingtaine d’années, la tendance à la baisse se confirmait.

 

À partir des années 1980, comme l’a dit Riphard Serent, professeur à l’Université Quisqueya, il y avait des cas de plus en plus nombreux où le dollar s’échangeait contre 6 à 7 gourdes.

C’est en septembre 1991 « que la décision a été prise de ne plus avoir un taux de change fixe », comme l’a dit Jameson Francisque dans un article publié le 27 août 2020 dans Ayibopost.

Au 31 octobre 1991, le dollar américain s’échangeait à 7,81 gourdes pour un dollar américain. Et depuis, la gourde n’a cessé de se déprécier surtout en raison de l’instabilité politique qu’a toujours connue le pays.

Sous le gouvernement de Raoul Cédras, la dégringolade de notre monnaie qui avait chuté en raison de l’embargo décrété par le gouvernement américain avait atteint son plus bas niveau avec 23 gourdes 38 pour un dollar le 28 août 1994. La monnaie locale était ensuite remontée à la faveur de la reprise de l’aide internationale au retour de Jean-Bertrand Aristide, pour osciller autour de 16 à 17 gourdes contre un dollar jusqu’à 1999-2000. Puis, la descente aux enfers avait recommencé sous la nouvelle présidence de Jean-Bertrand Aristide où l’on avait flirté avec le cap de 50 gourdes avant sa chute le 29 février 2004 pour remonter à 38 gourdes en 2007.

En septembre 2011, il fallait 40 gourdes pour un dollar. Et sept ans plus tard, soit en mars 2018, un dollar s’échangeait contre 66 gourdes en passant par 45 gourdes en 2014 et 56 gourdes en décembre 2015.

Malgré de nombreuses mesures qui ont été prises comme la création des bons BRH en 2010, les autorités monétaires n’ont jamais pu stopper la dégringolade historique de la gourde.

Au 5 février 2016, le taux de change était de 59,77 gourdes pour un du dollar pour passer à 64,05 gourdes au 16 juillet 2016, soit une perte de 4,28 points en 5 mois.

On avait observé une remontée spectaculaire qui avait duré trois mois entre septembre 2020 et mars 2021, le meilleur jour de la période 2020-2021 ayant été le 19.octobre 2020 avec 62 gourdes pour un dollar américain.

 

Le taux de référence de la Banque de la République d’Haïti pour baisser à 110,59 gourdes pour un dollar américain le samedi 28 mai 2022 et à 117 gourdes 67 le 27 septembre 2022. Mais, il avait culminé à 121,79 gourdes le 6 août 2022. Ce qui avait poussé la Banque centrale à prendre la décision d’injecter environ un peu plus de 15 millions de gourdes sur le marché des changes pour calmer le glissement de la monnaie nationale alors que sur le marché informel on échangeait le dollar aux environs de 150 gourdes.

 

En l’espace d’une trentaine d’années, c’est-à-dire entre 1990 et 2020, la monnaie nationale avait perdu 40 fois la valeur qu’elle avait conservée durant sa longue période de sa stabilité. Et depuis, le redressement que tout le monde souhaite ne s’est jamais produit.

 

1.3. Le problème de l’inflation

 

Le niveau de l’inflation est de plus en plus élevé en Haïti non seulement en raison de l’aggravation permanente et accélérée de la monnaie nationale, mais également de l’instabilité politique qui est souvent à l’ origine de la rareté des produits de consommation courante. Le pays a connu depuis l’administration de Jovenel Moise de nombreuses périodes de blocage de la vie économique liées à des raisons politiques, que l’on désigne sous le terme de « lock ». Pendant ces périodes, les produits du milieu rural ne peuvent pas alimenter l’important marché de Port-au-Prince. Il s’ensuit donc automatiquement une hausse des prix préjudiciable aux consommateurs qui sont confrontés a une précarité de plus en plus affligeante.

 

On ne peut oublier non plus les perturbations dues aux manques de carburant qui entravent les déplacements de biens et de personnes sur le territoire. Il en résulte donc les mêmes conséquences pour les prix qui peuvent parfois doubler pour certains produits, notamment ceux des produits pétroliers sur le marché noir. À preuve, pendant la longue période allant de juillet à septembre 2022, qui s’inscrit comme une crise sans précédent en termes de distribution de carburant, le prix du gallon de gazoline a connu un pic incomparable, ayant atteint jusqu’à 5 000 gourdes en province, alors que le prix normal avant la crise était de 250 gourdes.

D’après la Banque de la République d’Haïti, le taux d’inflation atteignait 30,5% en rythme annuel au mois de juillet. Un niveau difficile à supporter par les ménages et qui explique la grande colère généralisée que l’on constate dans le pays. Il n’est pas impossible que d’ici la fin de l’année 2022, le taux d’inflation atteigne ou dépasse le cap de 40% avec un taux de change de 200 gourdes pour un dollar. L’une des premières conséquences de ce niveau d’inflation élevé est l’aggravation de l’insécurité alimentaire dont on disait officiellement qu’il concernait 4,1 millions de personnes en 2020 (42% de la population) et qui, selon les derniers chiffres officiels, serait de 5,6 millions de nos compatriotes au mois d’août 2022. Chiffre que nous estimons être  en deçà de la réalité. Actuellement, fin septembre 2022, on doit en être au moins sept millions de personnes victimes de l’insécurité alimentaire, en raison de l’aggravation de la situation générale du pays, soit près de 60% de la population totale.

 

Il fait noter que, cumulée avec la dégradation permanente de la monnaie nationale et du niveau d'inflation, la situation économique des Haïtiens fait de plus en plus pitié, se traduisant par une paupérisation de plus en plus insupportable que nous n’analyserons pas dans le détail.

1.4 Le problème sécuritaire

Depuis l’année 2020, la situation sécuritaire au pays s’est sérieusement dégradée au point qu’aujourd’hui elle est devenue le problème central du pays, dépassant les capacités de la Police nationale pour laquelle on a commandé des armes « performantes » qui peinent à arriver et dont l’arrivée ne changera pas grand-chose parce qu’elles arriveront trop tard face à l’urgence de la situation, parce qu’aussi il faudra du temps pour que les policiers apprennent à s’en servir. Il faudra aussi qu’on apprenne à les gérer pour qu’elles ne disparaissent pas dans la nature dans un pays où l’on a perdu le sens de la gestion des biens de l’État.

 

L’un des aspects majeurs de la question de la sécurité en Haïti est que s’est installée dans le pays au cours de la période récente une culture de la violence que l’on ressent partout à travers les discours, à travers les menaces proférées gratuitement dans les rues. Ainsi, les mouvements de protestation sont de plus en plus ponctués de scènes de jets de pierres et de bouteilles sur les passants et sur les véhicules et de l’interdiction de franchir les barricades dressées dans les rues et sur les routes sous peine d’être victimes. Dans les cas les plus anodins, on exige un péage de la part des usagers. Dans d’autres cas, il faut mieux rebrousser chemin pour ne pas déclencher la colère de ceux qui veillent à l’inviolabilité des barricades.

 

D’autre part, et c’est le plus dur, on se heurte à l’action des membres des groupes armés qui sont devenus la source principale de panique chez les populations au cours des trois dernières années. Le nombre de groupes armés a considérablement augmenté au cours des trois des dernières années, avoisinant ou dépassant, selon les estimations de la Commission nationale de désarmement, démobilisation et réinsertion (la CNDDR) le cap des 200 unités dont la moitié se concentre dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. On sait d’ailleurs, selon les estimations des organisations internationales que vers juillet 2022, le tiers de l’espace de la zone de Port-au-Prince relevait de l’emprise des zones contrôlées par les gangs. Au cours des deux derniers mois, on a dû dépasser les 50% du fait de la mainmise de ces groupes sur de nouvelles parties de La Plaine du Cul-de-Sac et des quartiers de Tabarre et de Pernier.

 

Les formes les plus graves de cette insécurité se manifestent surtout par des pertes de vies humaines sous des formes différentes. Tantôt des massacres dans certains quartiers, dont l’origine n’a jamais été élucidée. Tantôt des tueries pour cause de rivalités entre les gangs. Tantôt, des affrontements entre la Police nationale et les groupes armés dont on connait la force de frappe. Tantôt aussi des assassinats d’individus ou de groupes de personnes innocentes dans leur traversée des zones de non-droits. Tantôt, enfin des gens qui sont tués parce qu’ils tentent d’échapper à une capture de la part des membres de gangs armés.

 

On ne saurait oublier les divers enlèvements qui se produisent actuellement. Selon le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (le CARDH), 191 enlèvements ont été déclarés entre juillet et septembre 2022, soit un peu plus de deux par jour, contre 326 pour la période d’avril à juin 2022, soit près de 4 par jour. Parfois, c’est un ensemble de passagers d’un bus qui se trouvent kidnappés, souvent plus d’une quarantaine de personnes. Il faut compter aussi les incendies de résidences comme il arrive de temps en temps dans le quartier de Bel-Air et de Cité Soleil ou encore des incendies de véhicules, de biens privés ou des biens de l’État même après des actes de pillage. Il faut compter également les détournements de marchandises qui sont prélevés par les membres des groupes armes. Parfois, il s’agit de camions-citernes assurant le transport de produits pétroliers. Et dans ce cas, il faut payer une double rançon : d’une part, pour la libération du chauffeur et de son aide, et d’autre part pour récupérer le véhicule.

 

En conclusion, tous ces problèmes s’interpénètrent, aboutissant à l’aggravation de la misère de la population. Par exemple, le contrôle de certaines zones ou de certaines artères de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, comme dans le cas de Martissant, gêne fortement la circulation entre la capitale et trois autres départements géographiques du pays, entrainant la di munition de la circulation de produits de base et la paupérisation de certaines zones du pays. Il en est de même lors des blocages de routes qui expliquent que des vivres pourrissent sur place ou en cours de transport.

 

Selon madame Pamela White, ancienne ambassadrice des États-Unis en Haïti, il est urgent que soit résolu le problème de l’insécurité par une intervention armée. Elle avait déclaré ceci en effet le 28 septembre : « Mais pourquoi ne pas admettre que ce dont on a besoin maintenant, ce n'est pas d'un plan quinquennal compliqué pour résoudre tous les défis d'Haïti, mais de bottes sur le terrain dès maintenant ».

 

1.4 Un problème politique également

 

En Haïti, le pays est toujours en crise politique depuis le départ de Jean-Claude Duvalier du pouvoir. On a connu des coups d’État à répétition, des affrontements entre des factions des anciennes forces armées d’Haïti. Et puis, surtout des luttes permanentes pour le pouvoir entre les oppositions et les gouvernements. Sans oublier les nombreuses contestations interminables des résultats des élections.

Ces différends permanents se caractérisent souvent par de grandes manifestations dans les rues pouvant mobiliser des centaines de milliers de personnes. On a connu aussi des protestations des membres de la Police nationale qui avaient pris des formes violentes, comme dans le cas de Fantôme 509 en 2019-2020.

 

Ce ne sont pas des tentatives de conciliation qui ont pourtant manqué, soit de la part de médiateurs locaux comme Religions pour la Paix sous Martelly ou de la Conférence des Évêques d’Haïti.

 

Parfois, on appelle un leader politique reconnu pour tenter de résoudre le problème, comme il en a été du cas d’Evans Paul qui a pu assurer la réussite de la dernière année du quinquennat de Michel Martelly à une époque où la gestion de l’ancien Premier ministre Laurent Lamothe était sévèrement contestée.

 

Parfois aussi, il fait déplorer l’échec des tentatives de médiation comme il en faut quand la Conférence des Évêques d’Haïti était impliquée  entre décembre 2020 et avril 2021 pour trancher le grand différend entre Jovenel Moise et les partis de l’opposition.

 

Les instances étrangères ont toujours souhaité voir une entente entre les acteurs haïtiens. Ce qui n’a jamais pu se concrétiser malgré les appels entre autres des émissaires du gouvernement américain.  On sait qu’un dernier appel sous forme d’ultimatum expirant le 17 octobre 2022 a été lancé par les Américains pour que le gouvernement et les partis et groupes de l’opposition trouvent enfin un accord. Bien malin celui qui à l’heure actuelle peut présumer de l’avenir de cet ultimatum.

 

Pour revenir à la crise actuelle, il est facile de deviner qu’elle est entretenue aussi par les rivalités politiques qui se greffent au problème du prix des produits pétroliers dans le pays et qui ont amplifié la demande de démission du Premier ministre actuel mise en avant par ses opposants les plus farouches.

2. Les aspects du début de la crise humanitaire actuelle

 

Tout donne l’impression que c’est pour la première fois que tous les ingrédients sont réunis pour une crise humanitaire généralisée en Haïti, si on ne veut pas remonter aux 19e et 20e siècles, sachant qu’au cours des siècles passés les moments de grande famine étaient contrebalancés par le fait que le pays a longtemps disposé d’un bon niveau de sécurité alimentaire. Tandis que de nos jours, une très bonne partie de la population se concentre dans les bidonvilles des principales localités ne pouvant compter sur l’autosuffisance alimentaire.

 

Actuellement, tous les secteurs de la vie nationale sont touchés, allant des acteurs de la distribution des produits pétroliers au secteur industriel en passant par les hôpitaux et les entreprises de ventes de produits alimentaires et les secteurs fournissant les services de base.

2.1 Le blocage de la distribution des produits pétroliers

On sait que le pays n’en menait pas large depuis des années, assistant passivement à l’expansion de la faim, à la dégradation de la sécurité civile, à des crises politiques récurrentes, à la dépréciation permanente de la monnaie nationale. Mais, le coup de grâce qui le menace actuellement est le blocage du terminal de Varreux par le groupe de G9 dont le chef avait annoncé le mercredi 21 septembre l’interdiction de l’accès aux camions-citernes. On sait que ce site est concentre 70% des stocks de produits pétroliers du pays. La menace a été effectivement mise à exécution depuis plus d’une semaine et aucun camion-citerne n’a pu ni entrer ni sortir de cette zone dont les cuves contiendraient 265 000 barils de carburant, toutes catégories confondues. À l’appui de cette décision, des tranchées ont été creusées et des barricades érigées pour rendre le site inaccessible. Deux tentatives des agents de la PNH, le samedi 24 et le jeudi 29 septembre 2022, répondant à l’appel de l’Association des professionnels du pétrole qui avait demandé l’intervention de l’État pour ouvrir l’accès du terminal n’ont pas été couronnées de succès et le pays entier se trouve depuis près de dix jours dans l’impossibilité de se ravitailler en produits pétroliers.

Il faut souligner que malgré l’existence d’un autre terminal, celui de Thor, il n’existe pas d’autre alternative pour la desserte de la population puisqu’il est impossible de franchir le barrage de Martissant également contrôlé par un autre groupe armé.

Étant donné que le pétrole est un produit transversal, la situation créée par le blocage du terminal de Varreux est à l’origine du début de crise humanitaire où plongent de plus en plus les différents secteurs d’activité du pays sur lesquels nous allons nous pencher.

 

2.2 L’aggravation de la situation alimentaire de la population

 

Le pays est en mode paralysie depuis une vingtaine de jours, suite à l’annonce de l’ajustement des prix des produits pétroliers qui a été décidé par le gouvernement le mardi 13 septembre dernier. Une annonce à laquelle on avait répondu par l’érection de barricades et de diverses manifestations de colère un peu partout à travers le territoire national et dont plusieurs n’ont toujours pas encore été démantelées. Tout s’est trouvé compliqué par le blocage du terminal de Varreux et la grève lancée par les syndicalistes la semaine du 26 septembre au 1er septembre. Les conséquences sont sans doute sévères pour les populations, surtout celles vivant dans les quartiers populaires parce qu’elles dépendent des activités du secteur informel pour leur survie. La faim s’est sans doute aggravée en cette période dans le pays qui se trouve dans un vrai cercle vicieux marqué à la fois par le désœuvrement et l’impossibilité de satisfaire ses besoins essentiels. Il n’est pas étonnant que les pillages n’aient cessé de se multiplier depuis le début des protestations contre l’ajustement des prix des produits pétroliers dans le pays d’autant que les prix des produits de base ont grimpé entre-temps.

 

 

2.3 La situation difficile des services de base dans le pays

 

On n’a cessé depuis la fin de la semaine du 19 au 25 septembre 2022 d’entendre des appels venant de certains services marchands et de formations sanitaires qui se disent menacées d’être obligés de suspendre leurs activités pour cause de pénuries de carburant. Les tout premiers étaient les hôpitaux suivants : l’Hôpital Immaculée Conception de Port-de-Paix, l’Hôpital Providence de Gonaïves, les Hôpitaux Saint-Damien et Saint-Luc, et le centre de Physiothérapie Sainte Germaine qui avaient averti par une note de presse le 23 septembre leurs difficultés de pouvoir continuer à fonctionner. Puis, ce furent des SOS issus de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, et de l’Hôpital Bernard Mews depuis le 27 septembre qui a fait part de la réduction de son personnel et de ses services.

L’un des aspects les plus graves de cette crise humanitaire est le problème du manque d’eau potable pour la population. Déjà, le directeur de la DINEPA avait déclaré ceci le mardi 27 septembre : « Nous fonctionnons grâce à des réserves stratégiques. Elles sont presque épuisées ». Pour sa part, le directeur de la compagnie privée de fourniture d’eau traitée, Culligan avait indiqué faire face à des « difficultés » de l'entreprise qui risque également de se trouver sous peu en rupture de stock de carburant et aussi parce que « les employés de la compagnie ne peuvent pas venir travailler » et qu’il est difficile « aussi de circuler en toute sécurité pour livrer l’eau en bouteille… dans les markets et boutiques à cause de la grève »

Il faut signaler aussi que, du fait de l’indisponibilité de produits pétroliers dans les différentes régions du pays, la fourniture d’électricité n’a pas pu être assurée parfois pendant des mois hors de la capitale. Ce qui est une cause supplémentaire de mécontentement des populations de l’arrière-pays.

Autre signe de la crise humanitaire qui prend de plus en plus forme, dans plusieurs quartiers de la zone métropolitaine les ordures ne sont plus ramassées et des piles d’immondices sont de plus en plus brûlées un peu partout.

Enfin, comme l’a souligné Roberson Alphonse le 27 septembre 2022 dans un article du Nouvelliste « de nombreuses institutions qui fournissent des services ont déjà baissé leurs rideaux ou assistent à l'assèchement de leurs stocks de carburant, plombant encore plus les activités économiques ».

Si dans la fin de la semaine actuelle, aucune issue n’est trouvée pour la reprise de l’alimentation du pays en carburant, la crise humanitaire risque de prendre une nouvelle dimension.

Ce qui vient d’être développé dans la seconde partie de cet article est une démonstration de la véracité de la crise humanitaire qui sévit en Haïti depuis deux semaines et dont beaucoup d’observateurs ne semblent pas avoir pris la mesure. Selon madame Pamela White, il existe la possibilité que de nombreux Haïtiens soient victimes de cette crise humanitaire : « Si l'administration Biden ne parvient pas à trouver un moyen de sécuriser les rues et de fournir au minimum une aide humanitaire, 1,3 million d'Haïtiens risquent de mourir de faim »,

Conclusion

La crise humanitaire qui vient de débuter en Haïti est la résultante d’un ensemble de facteurs dont nous avons souligné les principaux, mais dont l’élément déclencheur a été l’augmentation des prix locaux du carburant qui a été décidée par le gouvernement d’Ariel Henri le 13 septembre dernier. On sait que cette augmentation a soulevé la colère de la population qui n’a cessé de protester depuis et qu’elle s’est greffée aussi sur les luttes politiques traditionnelles dans le pays. Il est indispensable que les acteurs prennent conscience de la gravité de la situation afin d’y apporter une solution dans l’intérêt des Haïtiens. Cela demande un dépassement qui ne fait pas partie de la culture politique haïtienne et qu’il faut néanmoins appeler des vœux de tous pour éviter que l’on soit amené à compter des centaines de milliers de morts. Des gens qui mourront de faim, qui mourront de maladies en consommant de l’eau impropre à la consommation. Des gens qui ne pourront pas être soignés ni en cas de maladies graves ni en cas d’accidents. Enfin, des enfants qui ne pourront rentrer la semaine prochaine à l’école. Beaucoup d’acteurs pensent que si le gouvernement faisait un premier pas en révisant à la baisse l’ajustement des prix du carburant, par exemple augmenter l’ancien prix de 100 gourdes au lieu de 220 gourdes, on pourrait espérer une décantation de la situation.

 

                                                                                                                                                           

Jean SAINT-VIL

jeanssaint_vil@yahoo,fr

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