Quelle place pour Haïti dans l’agenda économique du G7 et des BRICS ?

Dans la journée du jeudi 23 juin 2022, s’est tenu le sommet virtuel des dirigeants des BRICS, composés des pays suivants: Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. C’était l’occasion pour ces derniers, de marquer leur solidarité avec le président russe Vladimir Poutine, principal ennemi politique, adversaire économique et rival diplomatique des puissances occidentales, dans le contexte de la guerre que ce dernier mène en Ukraine depuis plusieurs mois.

Deux pays, non des moindres, la Chine et la Russie, ont une nouvelle fois affirmé la nécessité pour les pays membres du BRICS, d’élaborer une politique unificatrice, positive, visant à créer un système mondial multipolaire”, a rapporté le journal Le Monde.

Deux concepts clés sont à retenir dans le discours du numéro un de la Chine, Xi Jinping, qui sont "Marché émergent", et "Développement". Selon l'homme fort de Pékin: “Notre Sommet aujourd’hui arrive à un moment crucial pour choisir l’avenir de  l’humanité. En tant que marchés émergents clés et pays en développement, nous les pays des BRICS, devons assumer nos responsabilités.", a conclu le dirigeant.  

Devant un tel tableau géopolitique, il n’est pas interdit de chercher à comprendre les enjeux pour la République d’Haïti, dans une telle dynamique autour des marchés émergents et des actions à mener pour se développer. 

Diplomatiquement, Haïti n'entretient pas des relations soutenues avec tous ces pays qui composent les BRICS. Avec le Brésil, les relations ont connu des moments importants au lendemain de 2004, avec la présence des contingents militaires brésiliens et le leadership assumé par le Brésil au sein de la mission onusienne MINUSTHA. 

Dans le cadre des relations entre Haïti et la Russie, en dehors de la communauté des étudiants haïtiens qui séjournent depuis quelque temps sur le territoire russe, on retient la remise des lettres de créance de l'ambassadeur de la Russie au président Jovenel Moïse, quelques jours avant son assassinat. 

Dans le cas des relations entre Haïti et l'Inde, ce sont pratiquement des  échanges sur le plan culturel, particulièrement avec les bourses d'études octroyées par l'Inde à un nombre réduit de jeunes et des cadres haïtiens. Dans le cas de la Chine, c’est la République dominicaine qui dispose d’une ambassade de la Chine sur son territoire, tandis que Port-au-Prince se limite à travers une simple  représentation d’un bureau commercial pour ne pas trahir Taïwan. 

Dans la dynamique des relations entre Haïti et l'Afrique du Sud, c’est pratiquement en 2004, lors de la commémoration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti que le régime (Lavalas) du président Jean Bertrand Aristide, au cours de son deuxième mandat,  avait développé des relations plus importantes et bénéficié de l’assistance militaire entre autres, de ce membre important des BRICS établi sur le continent  Afrique.

Dans l’état actuel de la situation critique en Haïti, et devant les crises majeures et multiples qui affectent le monde, où l'Europe en particulier,  avec la guerre en Ukraine et les sanctions imposées par les occidentaux contre la Russie, on pourrait se demander, quelles sont les possibilités pour Haïtide s'inscrire dans la liste des pays qui pourraient bénéficier de certaines opportunités qui sortiront dans le nouvel agenda 2022 du sommet des BRICS ? 

Des lignes rouges sont certainement à prendre en compte, par rapport aux principes et engagements imposés par les gardiens de la doctrine de Monroe  dans une telle démarche ? À l'école diplomatique de la République dominicaine, les Haïtiens devraient se questionner ou se demander comment ce pays, notre plus proche voisin, arrive-t-il à renforcer ses relations avec la Chine, tout en accueillant des clients, des fortunes et des  touristes originaires de la Russie. Quelles sont les pistes de renforcement de la  venant de la Russie ? 

Défendre les intérêts d'Haïti avant toute chose, en utilisant la stratégie diplomatique de Toussaint Louverture et l'intelligence politique de Jean-Jacques Dessalines, sans tomber dans l'amateurisme de Jovenel Moïse, il nous faut repenser et évaluer les politiques, pour mieux rationaliser la   coopération bilatérale respective entre Haïti, avec les principaux pays comme le Brésil, la Russie, l’Inde et l’Afrique du Sud, sans nous inscrire dans une quelconque alliance géostratégique  symbolique, stérile ou même suicidaire ?  

De la République dominicaine, les diplomates haïtiens et les élites économiques ont certainement beaucoup à apprendre, pour mieux comprendre les enjeux et les défis autour de ces alliances et adversités géopolitiques, pour trier les meilleures cartes et tirer le plus d’avantages, sans fragiliser le pays, l'avenir de la nation, ou les membres de la diaspora. 

Dans une autre partie du monde, s’est tenu quelques jours après, soit à partir du 27 juin 2022,  un autre sommet aussi important, qui réunissait le G7. Le groupe important et influent qui a  réuni  les dirigeants des sept pays les plus industrialisés de la planète qui sont: l'Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l'Italie, le Japon et le Royaume-Uni.

Durant ce sommet du G7, les dirigeants de ces pays les plus industrialisés parmi les plus riches du monde  promettent à travers le G7 d’investir 600 milliards de dollars dans les pays en développement. 

De quoi certainement faire rêver un pays aussi vulnérable et assoiffé d’investissement comme  Haïti, qui traine pourtant,  depuis plusieurs décennies dans la catégorie des pays du Sud ou des  pays en voie de développement. (Si seulement...). 

Détrompez-vous les Haïtiens, ces annonces du G7, ont pour objectif avant tout, de contrer l’influence et les ambitions de la Chine, qui investit massivement dans près de 100 pays pour ses nouvelles routes de la soie.  À défaut, que l’ile d’Haïti se trouve directement sur cette fameuse route géostratégique et économique, ce sont pratiquement des pays comme la République dominicaine, qui, en plus de bénéficier des investissements significatifs des multinationales et financiers des États-Unis, développe parallèlement des relations privilégiées, donc bénéficie des investissements significatifs parallèlement de la Chine.

Deux économistes importants, aussi sensibles à la cause des pays du Sud,  Dipak Dasguta et Jean-Charles Hourcade, n’ont pas manqué l’occasion pour  plaider dans une tribune publiée dans le journal “Monde”, pour une garantie multilatérale du Nord aux investissements dont a besoin le Sud.

Dans cet article, ils rappellent que : “La majeure partie de l'épargne mondiale et des marchés de capitaux se trouvent dans le Nord, et l’essentiel des besoins d’investissement dans un Sud confronté à des urgences pressantes en matière de développement. Il est donc logique que le G7 travaille avec les pays du Sud sur des mécanismes financiers susceptibles d'être testés ou étendus au monde entier. Que pourraient être ces mécanismes ? “ concluent les deux experts.

Deux alliances économiques, politiques et géostratégiques se disputent les zones d’influence dans le monde, plus que jamais multipolaire dans le contexte de la guerre en Ukraine, pris entre l’agression d’une Russie déterminée à repousser les avancées de l’OTAN à sa frontière, et la motivation manifeste des pays occidentaux, représentés  par les membres influents de l’Union européenne, de l’Angleterre, sous le leadership des États-Unis, et complétés par le Japon et l’Australie, entre autres. Quelle place pour  Haïti sur la carte des négociations, des alliances et des confrontations pour la gestion des ressources stratégiques, l’accumulation des richesses et l'affirmation d'un leadership planétaire ?

Des deux côtés pratiquement, le mal d’investissement d’Haïti est infini. Avec les pays qui composent les BRICS, Haïti n'entretient pas d’une part, de véritables relations diplomatiques dynamiques des plus solides et effectives. 

D’autre part, avec les pays qui composent le G7, les mêmes pratiquement qui constituent le Core Group, cette entité aussi présente et influente dans la gouvernance nationale, ne sont certainement pas des étrangers aux problèmes réels et basiques de la République d'Haïti depuis plusieurs siècles et des décennies. 

Des réunions internationales au sommet qui se suivent au cours de ce mois de juin 2022, et se ressemblent presque toutes, avec la liste des promesses de mobilisations de fonds, des alliances stratégiques à renforcer et des ennemis communs à isoler, comme ce fut le cas durant le dernier Sommet des Amériques, dont Haïti avait pu bénéficier d'un ticket.   

Devant ces trois  tableaux affichant des agendas particulièrement politiques et économiques, la République d'Haïti, en se basant sur les expériences antérieures,  devrait à tout prix consolider ses relations traditionnelles avec certains pays partenaires des pays du Sud, notamment ses plus proches voisins situés dans la Caraïbe et en Amérique du Sud.

Dans un autre sens, il parait plus qu'urgent pour Port-au-Prince de réfléchir et de renforcer de nouvelles alliances stratégiques, géopolitiques, transversales ou culturelles avec des États,  issus du continent africain, qui pourraient dans une logique de panafricanisme revisé, et sur la base  des héritages symboliques et historiques communs offrir plus d'opportunités, en dehors des bourses d'études octroyées depuis plusieurs années par le Maroc.

Port-au-Prince n'a pratiquement rien à perdre dans une telle stratégie, en composant un nouveau refrain diplomatique Sud-Sud, en formulant un nouveau discours géoculturel, en élaborant un nouvel agenda entre Haïti et l'Afrique, et en renforçant  les liens économiques et scientifiques  avec d'autres pays frères de sang.

 

Dominique Domerçant

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