Dans les débats de société, particulièrement lors des périodes électorales au sein des pays industrialisés, la migration a toujours été un sujet récurrent et controversé qui fait couler beaucoup d’encre. Lors des dernières présidentielles françaises, le xénophobe Éric Zemmour en faisait son cheval de bataille en vue de courtiser une niche spécifique de l’électorat français. Aujourd’hui, la migration constitue l’une des pommes de discordes, sinon la principale, entre Kamala Harris et Donald Trump qui s’affronteront dans les urnes le 5 novembre prochain.
Une perspective préconise que les pays en développement, pourvoyeurs de migrants aux sociétés industrialisées, en sont les principaux bénéficiaires notamment à travers les transferts de fonds reçus de leurs diasporas (Opiniano & Castro, 2006 ; Mountford, 1995). Les politiques d'immigration qui encouragent la mobilité du travail, en particulier pour les travailleurs de faible habilité, procurent des résultats probants dans la lutte contre la pauvreté (Chura, 2019 ; Clemens et Pritchett, 2008). En revanche, un autre courant perçoit la migration comme du pain béni pour les sociétés capitalistes. D’une part à cause du rajeunissement démographique et de l’autre en raison de l’implication de la force de travail des immigrants dans les sphères socioéconomiques (Dickson, 2003 ; Wong & Yip, 1999).
Les Objectifs de Développement Durable (ODD), en particulier l'ODD 10, mettent l'accent sur la question de la migration à l'échelle mondiale. Cet objectif fait la promotion d’une mobilité ordonnée, sans danger et responsable, par la mise en œuvre de politiques de migration planifiées. Un aspect qualitatif de la migration, qui serait fondamental pour préserver les ressources humaines des pays en développement, semble avoir été éludé dans les ODD. Ceteris Paribus, l’injustice consistant par exemple à arracher des médecins à un pays en développement en panne de système sanitaire paraîtrait plus grave que celle de dérober financièrement ce pays.
Qui sont véritablement les principaux bénéficiaires des flux migratoires : les pays d’origine ou ceux d’accueil ? Une réponse adéquate devrait intégrer les coûts et bénéfices démographiques, économiques et sociaux induits par la mobilité géographique des humains d'un pays à un autre. À travers le prisme d’une littérature assez vaste, cet article met en lumière différentes perspectives de la migration dans le monde et en examine les retombées. Il aborde les impacts économiques et sociaux des flux migratoires tout en tenant compte des opportunités et des défis tant pour les pays d’accueil que ceux d’origine.
Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), en 2022, le nombre de migrants internationaux dans le monde s'élevait à 281 millions, dont 48 % de femmes (Rapport OIM, 2024). Une forte proportion des migrants sont des gens à la recherche d’opportunités d’emplois. Par exemple, en 2019, l’on recensait 169 millions de migrants travailleurs dans le monde. La majorité des 35.3 millions de réfugiés parmi les migrants de 2022 proviennent surtout des pays en conflit ou en état de guerre. La Syrie, l’Ukraine, la République Démocratique du Congo, le Soudan et la Somalie sont les pays qui comptent le plus grand nombre d’émigrés. La migration vient aussi avec un risque élevé ; 8500 migrants étaient morts ou portés disparus, en 2022. À la fin de la même année, la Syrie et l’Ukraine ont enregistré respectivement 6.9 millions et 5.9 millions de déplacés. En termes de proportion de la population de déplacés, la Syrie maintient la tête de liste (32%) suivie de la Somalie (22%). Le Soudan, le Yémen et l’Ukraine en dénombrent environ 13% chacun. Ce sont tous des pays où règnent des situations de conflits, de guerres et de violences intenses.
L’on ne saurait aborder la migration sans braquer le projecteur sur ses corollaires, parmi lesquels les envois de fonds qui en occupent une place centrale. Les transferts financiers ou en nature émanés des vagues de migrations ont été estimés à 831 milliards de dollars en 2022, une nette augmentation par rapport aux 791 milliards en 2021 et 717 milliards en 2020. Les cinq principaux bénéficiaires des transferts de fonds (en dollars) sont l'Inde (11,22 milliards), le Mexique (61,10 milliards), la Chine (51 milliards), les Philippines (38,05 milliards) et la France (30,04 milliards). D’un montant de 79.15 milliards de dollars, les États-Unis occupent la tête du peloton des principaux pays d’où proviennent ces fonds. Viennent ensuite l’Arabie-Saoudite (39.35 milliards), la Suisse (31.91 milliards), l’Allemagne (25.6 milliards) et la Chine (18.26 milliards). En 2022, les frais moyens pour les transferts d'argent étaient les plus bas en Asie du Sud (4,6 %), suivis par l'Asie de l'Est et le Pacifique, ainsi que par l'Amérique latine et les Caraïbes (5,8 %). L'Afrique subsaharienne affichait constamment les coûts moyens les plus élevés, atteignant en 2022 plus de 8 %, loin de la cible de l’ODD 10. Lequel objectif vise à réduire les coûts de transaction des envois de fonds effectués par les migrants en les faisant descendre en dessous de 3 %.
Les pays à revenus faibles et intermédiaires ont reçu la part du lion de ces rapatriements de fonds, soit 647 milliards de dollars en 2022. Les transferts sans contrepartie sont supérieurs aux investissements directs étrangers (IDE) ainsi qu’aux aides internationales conçues pour promouvoir le développement économique et le bien-être des pays en développement. Pour certains pays, les transferts représentent une importante proportion par rapport au PIB. C'est le cas du Tadjikistan (51 %), suivi du Tonga (44 %), du Liban (36 %), des Samoa (34 %) et du Kirghizistan (31 %). Selon les données de la Banque mondiale, cet indicateur était de seulement 18.8% en 2022 pour Haïti. L’idée de croire que les transferts peuvent soutenir le développement d’un pays est amplement débattue dans la littérature (Catrinescu et al., 2009). Les transferts traduisent surtout une forte culture de dépendance ; ce qui pourrait réduire la participation de la main-d'œuvre et ralentir la croissance économique. En effet, l’essentiel n’est pas tant les montants des transferts reçus, mais surtout la politique économique qui les accompagne. Par exemple, Dodani & LaPorte (2005) suggère que les transferts serviraient mieux le pays récipiendaire si une partie de ces fonds étaient utilisés par la recherche et le développement.
La migration, un levier stratégique
Dès l’aube du deuxième millénaire, plusieurs pays industrialisés tels que le Canada, l’Australie, les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont établi des conditions favorables pour renforcer l’attraction des « Best & Brightest » en provenance des pays en développement (Kapur & Mchale, 2005 ; Docquier et al., 2007). À travers les âges, les individus ont toujours quitté leurs lieux d'origine dans l'espoir d'améliorer leur existence, d'échapper aux conflits et à la violence, ou simplement de saisir de nouvelles opportunités. Par la vertu de la globalisation, les émigrants accèdent à une meilleure qualité de vie ; parallèlement les pays d'accueil bénéficient amplement de leur main-d'œuvre. Haïti a un statut d’un pays à teinte migratoire unidirectionnelle qui se renforce progressivement. Le citoyen haïtien se sent presque comme un passager clandestin dans son propre pays, ce qui nuit à son identité, sa motivation et son énergie créatrice pour améliorer son environnement authentique. Yates (2021) estime à 1.77 million le nombre de migrants haïtiens en 2020 pour dix principales destinations de résidence. Les USA viennent en tête de liste avec 705 mille émigrés, suivis de la République dominicaine (496 mille), du Chili (237 mille), du Brazil (143 mille) et du Canada (101 mille).
Si d’une part les incitations offertes via les « Pull Factors » de l’extérieur font éblouir les esprits compétitifs indépendamment de l’origine, d’autre part des politiques de rétention de la matière grise au sein des sociétés du Sud font défaut. La chute du niveau du capital humain émanant de la migration massive des professionnels des pays moins avancés constitue un facteur d’inhibition à leur développement (Stark & Wang, 2002). (Grubel, 1966) souligne parallèlement des effets de baisse du revenu national à long terme. Les pays victimes d’une importante émigration de leurs ressources humaines ne disposent donc pas de l’atout majeur pour la mise en œuvre des politiques publiques qui convoitent de meilleurs niveaux de vie (Docquier et al., 2007 ; Wong & Yip, 1999). Parallèlement, les pays industrialisés en font leur beurre ; ils s’enrichissent en intégrant dans leurs activités socioéconomiques les meilleurs talents en provenance des pays sous-développés. Tandis que dans une xénophobie ouverte, Donald Trump et son colistier fustigent les Haïtiens migrés au Springfield, les autorités officielles ainsi que les représentants des entreprises de cette communauté reconnaissent un apport considérable de la force de travail haïtienne dans leurs industries.
En témoigne la prospérité économique des technopoles qui capitalisent sur la technologie et l’innovation, la création de la richesse moderne repose davantage sur des ressources humaines hautement qualifiées. À travers les diverses compagnies licornes et les emplois de qualité qu’elle a créés, la Silicon Valley représente un exemple éloquent d’une prospérité économique qui met le savoir au premier plan. La fameuse triple hélice adoptée favorise une meilleure connectivité entre les professionnels et les entreprises, facilitant ainsi des investissements massifs dans l'innovation et la recherche et développement (Viale & Etzkowitz, 2010). Au début du millénaire, plus d’un tiers des ingénieurs embauchés à la Silicon Valley étaient de souche asiatique. La cartographie démographique des employés qualifiés et des chefs d’entreprises de cet écosystème entrepreneurial florissant n’a pas changé.
Saxenian (2005) dénote des externalités positives pour l’Inde et la Chine puisque les connaissances et techniques d’innovations acquises par ces cadres ont contribué à accélérer le développement des industries de technologies de l'information dans leurs pays d'origine. Il ressort que la migration peut devenir un jeu gagnant-gagnant quand les connaissances et expériences acquises circulent au pays d’origine (Tharenou & Seet, 2014). Il n’est plus à démontrer combien les États-Unis ont gagné à mobiliser des talents étrangers dans les activités culturelles, artistiques et athlétiques. En témoignent la Hollywood, la NBA et bien d’autres cercles qui enrichissent l’économie américaine tout en rehaussant son image sur le plan culturel.
Viscéralement attachés à la doctrine de Monroe, tout programme de migration, voire de coopération internationale entrepris par les pays de l’Occident, particulièrement les États-Unis, ne satisfait que les intérêts des géants du capitalisme. Ces pays à faible taux de natalité rajeunissent leurs populations et améliorent leurs systèmes économiques en y faisant venir des migrants. C’est de bonne guerre tant qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des stratagèmes de destruction, comme l’illustrent les injustices décrites dans le paradoxe de la malédiction des ressources naturelles (Auty, 2007). Dommage, les démons occidentaux exhibent toujours de façon subtile ou manifeste la cruauté dont ils sont capables quand il faut ravir les richesses des pays du Sud. La destruction des vies innocentes serait le cadet de leur souci. Tandis qu’ils ont pris des engagements pour atténuer les impacts des avancées biologiques et nucléaires sur les sociétés, les individus et l’environnement, dans la pratique ils se fichent pas mal de la bioéthique.
Les États-Unis, le Canada, la France et de nombreux pays d'Europe sont des exemples notoires de populations recomposées qui ont largement assuré leur croissance et prospérité grâce à des vagues successives de migrations. En plus de résoudre le vieillissement de la population (Moore, & McGuinness, 1999), ces migrations ont apporté des compétences, une diversité culturelle et une main-d'œuvre précieuse. Elles contribuent au développement économique et à la vitalité sociale de ces nations. D’un autre côté, les pays moins avancés croupissent dans une trappe de sous-développement due en grande partie à la précarité de leur capital humain qu’ils offrent gracieusement aux pays riches.
Les écarts s’accentuent davantage alors que le monde devrait s’atteler à converger vers le codéveloppement en réduisant les inégalités. En dehors de l’intégration des ressources humaines qualifiées au sein de ses axes stratégiques, aucune société ne saurait garantir les fondations structurantes pour favoriser la création et la gestion efficace de sa richesse (Schultz, 1960 ; Cañibano & Woolley, 2015). Il ressort de la dynamique de la mobilité géographique induite par la globalisation que la fuite de cerveaux creuse davantage les écarts économiques et sociaux entre pays riches et pays pauvres. Les pratiques géopolitiques sont définitivement à repenser, sinon l’atteinte des ODD sera un vœu pieux.
Circulation des compétences, la voie de la compensation
Les modèles théoriques et les résultats empiriques ne peuvent suffisamment accentuer l’importance de l’éducation et de la maîtrise de la technologie dans le développement moderne (Acemoglu & Autor, 2011). À propos, les « success stories » des tigres asiatiques et bien d’autres pays émergents de l’Afrique et de l’Amérique latine sont des sources d’inspiration. Sur le plan individuel, les professionnels qualifiés laissant les pays pauvres pour s’établir dans les sociétés industrialisées en tirent des avantages personnels. Par contre, sur le plan sociétal, le pays d’origine encourt des pertes énormes dans la mesure où son système social y est généralement affaibli (Brock & Blake, 2014). Sous plusieurs aspects, le bénéfice sociétal paraît pourtant évident pour les pays de destination qui accueillent les meilleurs individus en provenance des pays sous-développés.
À titre d’effet compensatoire, la fuite inversée des cerveaux paraît un projet idéal pour soutenir les axes de développement internes à travers la circulation de professionnels d’origine qui ont été formés à l’étranger (Dickson, 2003 ; Wong & Yip, 1999). Cependant, en référence à la rationalité de l’agent économique, les multiples incitations à offrir aux experts et scientifiques formés ailleurs rendent difficile tout projet de retour de ces professionnels pour se mettre au service de leurs pays d’origine. Ceux-ci étant fort souvent bien installés en terre étrangère - dans de bonnes conditions de sécurité sociale et de production optimale couplées de promesse de carrière prometteuse. Les convaincre à retourner à leurs terres de naissance demeure un pari difficile.
Il convient toutefois de souligner que l’engament des migrants les mieux qualifiés n’est pas uniquement perceptible dans des déplacements physiques de professionnels de la société industrialisée vers leurs pays d’origine. À défaut de pouvoir enclencher le retour permanent de ses meilleurs experts et scientifiques expatriés, il est dans l’intérêt du pays de naissance de signer des contrats temporaires avec ses spécialistes disponibles à l’étranger. Selon les vœux des ODD, les sociétés industrialisées sont également interpellées à encourager pareilles dynamiques susceptibles de réduire les inégalités inter-pays. Les mesures correctives vis-à-vis des torts causés par la fuite de cerveaux incluent également des scientifiques et experts résidés à l’étranger qui choisissent de collaborer à distance dans plusieurs initiatives conçues au profit de leurs communautés d’origine. Ce sont par exemple des types de coopérations fructueuses d’un ensemble de scientifiques asiatiques envers leurs pays d’origine à l’instar du Balik alors qu’ils vivent aux États-Unis (Opiniano & Castro, 2006).
L’université, la principale victime
L'enseignement supérieur est essentiel à la création, à la diffusion et à l'application des connaissances ; les pays en développement et en transition risquent d'être davantage marginalisés en raison de systèmes d'enseignement supérieur inadaptés (World Bank, 2002). Pourtant, sans ignorer les effets néfastes de la fuite de cerveaux sur toutes les structures de la société, l’entité la plus désenchantée par ce phénomène de la migration internationale serait l’université. Non seulement la formation et la recherche jouent un rôle clé pour améliorer et influencer les contenus des politiques publiques, l’université détient aussi le personnel humain le plus apte à remplir les critères des programmes de migration sélective conçus par les pays industrialisés. Des perspectives font l’éloge des transferts financiers, particulièrement des programmes de bonds de la diaspora pour améliorer les conditions de vie dans le pays d’origine (Gevorkyan, 2021). Cependant, ces ressources ne peuvent pas compenser la perte résultant de la migration sélective qui accaparent les meilleurs professionnels des pays en développement (De Haas, 2005).
Par exemple, un seul professeur contraint de quitter subitement le système académique sans des ajustements préalables pour le remplacer, notamment dans des domaines spécifiques, aurait un impact négatif majeur, accélérant ainsi un dénivellement de la formation tertiaire. Une importante déperdition du professorat peut priver les étudiants de leurs sessions de cours réguliers et de la possibilité d’arriver au terme de leurs projets d’études. Pourtant, c’est en des nombres effarants que l’université en Haïti perd ses précieuses ressources humaines, étudiants et professeurs. Le déficit est d’autant plus criant quand des étudiants en plein milieu du parcours académique ferment leurs dossiers pour se jeter à des pays de la région Amérique-latine et Caraïbes ou en Amérique du Nord sans aucune perspective de poursuivre leurs formations.
Les récents programmes de migration tels que le « Humanitarian Parole » ont enfoncé le clou dans la plaie. Comme des passagers clandestins, professeurs et étudiants n’expriment aucun attachement à leurs attributions, car au courriel miséricordieux, ils seraient prêts à tout liquider, y compris les livres. Par la dictature des priorités, à peine si les plus résilients reprendront le chemin de l’école. Ainsi, seront vaines les deux ou trois années d’études déjà passées à la faculté des sciences humaines, de médecine, de droit, des sciences, de l’économie, etc. Soulignons qu’il est encore plus choquant que des professionnels déjà au service des hôpitaux, de l’université et des bureaux publics au sein de leurs communautés d’origine soient contraints d’assurer leur subsistance dans des emplois à l’étranger qui ne requièrent aucun niveau d’études.
Tant au sein des facultés de l’université d’État d’Haïti que celles du secteur privé, le risque d’une pénurie de professeurs est imminent. Combiné aux retombées néfastes de l’insécurité qui leur affecte dans leur proximité géographique, de multiples établissements d’enseignement supérieur en Haïti seraient menacés de fermer leurs portes sine die. Le faible nombre d’inscriptions à l’UEH cette année exprime un désintérêt et un signe précurseur de la baisse de la qualité de la formation. Par exemple, la Faculté des Sciences (FDS) qui savait accueillir cinq mille jusqu’à six milles candidats, desquels elle sélectionnera une centaine sur une base méritocratique, n’accueillera pas mille candidats cette année. Même constat pour la FDSE qui doit recevoir 500 étudiants alors qu’elle n’inscrira pas 2500. À l’exception de l’Université de Limonade, sans conteste moins affectée par la violence des gangs, le tableau est sombre pour les autres entités de l’UEH. Ce désintérêt des jeunes pour poursuivre leurs études universitaires s’expliquerait par le climat d’insécurité qui prévaut, couplé d’une impatiente attente de laisser le pays au courriel d’une Parole de grâce qui chasse au pays l’esprit de créativité et d’entrepreneuriat.
L’érosion de la matière grise pour saisir de meilleures opportunités à l’étranger prive les institutions locales du capital humain nécessaire, à même de gérer les institutions, particulièrement l’université. Cela entraîne que la durabilité du bien-être collectif, incarnée dans les programmes de développement, sera compromise. Tel que soutenu dans le Rapport 2001 du PNUD, il est essentiel de prendre des mesures politiques judicieuses en vue de contrecarrer les effets nocifs de la fuite des meilleurs talents des pays en développement. Parmi les mesures de correction, il faudrait également penser à des suivis efficaces quant aux programmes d’échanges culturels entre les gouvernements. Les domaines des bourses d’études mériteraient d’être canalisés en fonction des atouts du pays récipiendaire. À cet effet, les coopérations culturelles devraient être orientées vers la maîtrise de l’économie bleue ainsi que des mines, domaines dans lesquels Haïti détiendrait d’importants avantages compétitifs.
Conclusion
En cette ère d’une permacrise exacerbée qui s’exprime en des conflits, des guerres et le réchauffement climatique, la migration s’accentue à travers le monde. Tant pour les sociétés industrialisées que celles en développement, ce phénomène représente une opportunité qui vient aussi avec de nombreux défis. Question de manque de planification, les pays sous-développés sont affaiblis par les programmes de migration sélective conçus par les sociétés industrialisées (Beine et al, 2008). Par exemple, la littérature empirique récente montre que l’émigration de personnes hautement qualifiées ne réduit pas nécessairement le stock de capital humain d’un pays et peut générer des externalités positives (Docquier & Rapoport, 2012). Un ensemble de pays asiatiques prouvent cet argument en profitant des réseaux de talents et d’experts au niveau de leurs diasporas.
Les sociétés industrialisées profitent généralement de la migration, car celle-ci répond aux objectifs politiques qu'elles se fixent (Hollifield, 2004). Tout en privilégiant des techniques de régularisation des mouvements migratoires, elles ont accru la disponibilité de la main d’œuvre et compensé leurs faibles taux de natalité autochtone. Par contre, les pays moins avancés constatent souvent les dégâts des fuites massives de leurs ressources humaines les mieux formées vers des cieux plus cléments. Tandis que l’obtention de résultats probants requiert de mobiliser de telles ressources expatriées via des mesures politiques accompagnatrices, la plupart des pays du Sud n’en tirent pas profit parce qu’ils n’y appliquent aucune politique sociodémographique cohérente.
L’agent économique étant rationnel, en plus des incitations globales telles que la garantie d’un climat social non risqué, il faudra offrir aux talents et experts de la diaspora des incitations personnelles pour les attirer et les fidéliser dans les activités de développement du pays (Iravani, 2011). Par exemple, dans une analyse chronologique de la migration d’environ 1.21 million de Chinois de 1978 et 2007, Cao (2008) a étalé les motifs courants du manque d’incitation des Chinois à revenir au pays d’origine malgré l’orientation de cette société vers l'innovation. L’auteur en avait noté les bas salaires, les problèmes d'éducation pour les enfants et d'emploi pour les conjoints ainsi que les difficultés de séparation. Ce sont des expériences desquelles Haïti devrait s’inspirer pour élaborer un document cadre pour attirer sa diaspora compétente dans les projets innovants du pays.
Dans le cas de notre pays dont plus de 80% des professionnels qualifiés résident à l’étranger, les méfaits de la migration décontrôlée pèse lourd dans l’inefficience des structures sociales. Les flux migratoires resteront défavorables tant que les politiques publiques n’incorporent l’intégration de la diaspora instruite dans ses projets socioéconomiques. Une combinaison intelligible des compétences du terroir avec celles de la diaspora serait un moyen efficace pour mettre Haïti sur les rails du développement.
Plus qu’une volonté à la discrétion des émigrants de compétences internationales de renvoyer l’ascenseur à l’origine, les sociétés du Sud devraient appliquer des politiques publiques qui visent à compenser les pertes des compétences. Le rétablissement de l’équilibre passera par un transfert du savoir et du savoir-faire en vue de garantir au sein des structures un stock de capital humain suffisant et compétitif. Une combinaison harmonieuse de l’expertise internationale avec les compétences locales contribuerait à rehausser la qualité des services au sein de tous les secteurs. À travers une juste circulation des savoirs acquis aux systèmes compétitifs internationaux, il y a donc possibilité de faire en sorte que les mouvements migratoires se soldent en un « Win Win Game ».
Carly Dollin
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Références
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