Budget 2021 – 2022 : posture de la politique monétaire

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Au cours des cinq dernières années, la politique monétaire a été conduite dans un contexte constamment marqué par des chocs de différents ordres, alimentant les déficits jumeaux qui semblent caractériser notre économie, tout en nous éloignant de notre potentiel de croissance. En termes de chocs naturels, la vulnérabilité d’Haïti s’est accrue, ce qui s’est traduit par les pertes importantes en PIB à la suite de différents ouragans et autres chocs naturels. Parallèlement, des chocs liés à la conjoncture sociopolitique, accompagnés de ceux liés à la pandémie ont contribué à une croissance économique négative, empreinte des séquelles de la paralysie des activités du 1er trimestre 2019-2020.

 

En 2021, bien que le contexte macroéconomique soit différent à l’échelle internationale par rapport à l’année 2020, l’économie haïtienne n’a pas su en bénéficier. Une fois de plus, la projection de croissance est bien en-deçà de celle attendue au niveau du budget initial pour l’exercice. En effet, durant l’exercice 2020 – 2021, la mise en œuvre de la politique budgétaire de l’État s’est déroulée dans un environnement empreint d’incertitudes et un climat sécuritaire délétère. Les dépenses d’investissement qui avaient augmenté au début de l’exercice ont stagné dès le deuxième trimestre, pour laisser place aux dépenses liées à la crise sanitaire dans un contexte de remontée des cas de Covid-19. Les débours liés à la vaccination de la population et à l’arrivée des nouvelles variantes du coronavirus ont porté les dépenses de l’État à s’approcher des 100 % de leurs niveaux de réalisation dès le début du quatrième trimestre.

 

Parallèlement, à la même période, les recettes atteignaient à peine 60 % de leur niveau prévu. La reprise de l’activité économique à laquelle on s’attendait et qui devrait se traduire en une augmentation des recettes internes et douanières, a plutôt laissé la place à une relative stagnation de plusieurs branches d’activité, dont le commerce. Toujours en ce qui a trait aux ressources de l’État, la hausse des prix de l’énergie et des matières premières sur le marché international (de 88,9 % du Brent par exemple) a augmenté la perte des recettes, dans un contexte qui n’a pas été favorable à la mise en place de nouvelles mesures administratives. Toutefois, il faudrait tirer la sonnette d’alarme en ce qui a trait aux efforts de collecte des organismes de perception très fortement perturbés par la crise sociopolitique, dans la mesure où les recettes douanières n’ont pas suivi la progression des importations, de 22.5 % mais allait plutôt jusqu’à enregistrer un recul de près de 4 % sur l’exercice.

Parallèlement, l’État doit faire face aux dépenses engagées, notamment celles liées à la Covid-19 et aux différents chocs climatiques. Ainsi, charriant une perte de recettes liée à la hausse des prix des produits pétroliers, des effets prolongés de la dégradation du climat sécuritaire et de la crise sanitaire, le déséquilibre budgétaire s’est accentué, donnant lieu à un financement monétaire sans précédent, de 43,6 MG, dans un contexte de raréfaction des supports externes. Ce financement monétaire élevé constitue une préoccupation pour la Banque Centrale depuis tantôt deux exercices, puisqu’il représente une contrainte importante pour la garantie de la stabilité monétaire. Au niveau du budget rectificatif, les modifications au niveau des recettes et de la structure de financement des dépenses montrent plutôt que le financement monétaire qui doit être de dernier recours, s’apparente plutôt à une ressource de l’État. La révision des recettes à la baisse s’est vue accompagnée d’une hausse de 27 % du financement de la BRH, du a la restitution de 50% des SDR dans le cadre du budget rectifié.

 

De tels signaux ne laissent indifférents ni les acteurs de la vie nationale ni nos partenaires techniques et financiers vu leurs conséquences négatives. Toutefois, le MEF et la BRH étant conscients de la conjoncture, ont travaillé au cours de l’exercice 2021 pour une harmonisation de la politique budgétaire et la politique monétaire, en renouvelant le pacte de gouvernance, qui engage les deux institutions. Un engagement important dans le contrôle du financement monétaire afin d’éviter les conséquences néfastes sur la stabilité des prix. La BRH a dû parallèlement renforcer sa politique de reprise de la liquidité excédentaire du système à travers les bons BRH et les interventions sur le marché des changes. Une démarche qui s’inscrit dans le cadre de sa politique monétaire pour l’exercice 2021 – 2022, dans un contexte de raréfaction de l’aide externe et de reprise post-covid et post-séisme.

 

Toujours en vue de maintenir la stabilité des prix, la Banque Centrale a été très active sur le marché des changes, en l’alimentant de la remise des 30% des maisons de transfert, et prenant le soin de ne pas induire une baisse trop importante des réserves internationales nettes. À 568 millions de dollars EU, ce montant résulte également de l’effet des paiements extérieurs réalisés par la BRH pour le compte de l’État Haïtien, dont l’acquisition des produits pétroliers.

 

En dépit de ce contexte difficile, la BRH continue à jouer son rôle de régulateur, à travers la poursuite de la mise en œuvre de mesures règlementaires et administratives déjà en place, visant à contrer l’accentuation des imperfections de marché. Aussi a-t-elle modifié les normes relatives aux transferts de fonds internationaux sans contrepartie à travers la circulaire 114-2, afin d’adresser la problématique liée 3 à la rareté du numéraire en dollars et protéger les bénéficiaires de transfert. Un nouveau décret d’agrément des bureaux de change a été publié plaçant ces derniers sous la supervision de la Banque Centrale.

En tenant compte de la morosité de l’activité économique et de la crise sanitaire, la Banque Centrale a pris de nombreuses mesures afin d’accompagner à la fois les consommateurs et les institutions financières au cours de l’exercice. En vue d’aider les débiteurs du système financier à faire face aux différents chocs, la BRH a décidé de reconduire les mesures autorisant l’octroi d’un moratoire sur le remboursement du capital des prêts classés ‘’courants’’, déjà pris en 2020, pour la période allant du 1er août 2021 au 31 janvier 2022. Cette décision vise également à accompagner certains débiteurs qui doivent payer leurs taxes à l’État, et contribuer ainsi à une amélioration de la perception fiscale.

En tant que caissière de l’État et garante du système de paiement, la Banque Centrale a eu à prendre des mesures additionnelles visant la disponibilité des billets de banque sur l’étendue du territoire en vue d’accompagner le Gouvernement dans ses démarches visant la reprise économique dans un contexte de Covid-19. Dans l’optique de dynamiser l’économie dont le ralentissement impacte négativement les ressources de l’État, la BRH a accéléré les travaux ayant abouti à l’interconnexion entre les cartes de débit à travers le processeur national de paiement (PRONAP) à compter du 1er octobre 2020.

Posture de la BRH par rapport à l’exercice 2021 – 2022

Les perspectives de l’économie haïtienne pour l’exercice 2021-2022 restent quand même mitigées, en raison des incertitudes entourant le climat des affaires et des effets rémanents de différents chocs qu’a subi l’économie au cours des trois derniers exercices.

 

Les indicateurs macroéconomiques ont fait état d’une économie en récession (suite aux trois années consécutives de croissance négative). Face à cette situation difficile, une reprise économique s’impose pour que l’économie soit définitivement sur un sentier de croissance soutenue et éviter ainsi que les situations socio-économiques ne deviennent plus compliquées. Pour cela, des efforts en matière des interventions publiques seront nécessaires pour aider à redresser le cadre macroéconomique pour l’exercice 2021-2022. Pour cela une démarche importante en vue d’une meilleure harmonisation des politique monétaire et budgétaire est nécessaire pour garantir une stabilité macroéconomique propice à 4 la croissance, laquelle est conditionnée par une meilleure performance des finances publiques pour l’exercice 2021-2022.

Dans le contexte de la persistance du climat sociopolitique incertain, les implications pour l’économie, en particulier pour le budget 2021 – 2022 seront néfastes. Cela aura encore plus d’incidences sur les circuits de commercialisation et l’activité économique en général, ce qui risquerait d’aggraver la situation des finances publiques, notamment au niveau de la collecte des ressources, avec des impacts négatifs sur les conditions monétaires.

Parallèlement, ce cadre incertain ne nous a pas permis de reprendre les négociations avec nos principaux partenaires techniques et financiers, dont l’absence des appuis a lourdement pesé sur le bilan de la Banque Centrale et sur la dette publique interne.

 

Au niveau de la Banque Centrale, nous poursuivrons nos différentes stratégies mises en place pour aider à renouer avec la croissance à travers les divers programmes incitatifs en faveur des secteurs porteurs de croissance et de création d’emploi. L’élargissement de ces programmes aux institutions de microfinance et différents mécanismes de financement ont été mis sur pied afin d’accompagner les entrepreneurs des petites et moyennes entreprises, particulièrement du Grand Sud afin de relancer les activités économiques. En plus des mesures visant à soutenir une reprise économique, la Banque Centrale en tant que garante de la stabilité du système financier et de paiements, envisage de moduler sa posture monétaire pour contrer les effets rémanents des épisodes de chocs liés aux crises sociopolitiques au cours des trois exercices et les impacts des chocs qui pourraient survenir au cours de l’exercice 2021-2022.

 

NB: Ce texte a été présenté par le Gouverneur de la BRH, Monsieur Jean Baden Dubois, lors du mercredi de Réflexion de la BID en date du 6 octobre 2021.

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