Haïti: stimuler l’innovation entrepreneuriale pour une économie durable (2)

Ce deuxième de trois articles présente les projets d’entreprises initiés par de jeunes entrepreneurs haïtiens grâce au programme Incubateur d’entreprises du Pôle d’innovation du Grand Nord (PiGraN) appuyant le développement socio-économique en Haïti, établi dans la commune de Milot, département du Nord d’Haïti.

Ces modèles d’entreprises bénéficiaires des services offerts par le PiGraN, innovent notamment dans les secteurs de l’agro-industrie, la production et la transformation alimentaire.

 

Centre éducatif

Le Centre éducatif pour l’épanouissement de l’agriculture et le développement durable (CEDDEA) est une entreprise de recyclage et de valorisation des déchets organiques.

Elle s’engage pour une agriculture durable et un environnement viable, contribuant à la lutte contre les changements climatiques grâce à des solutions innovantes.

«Notre objectif est de mettre sur le marché des fertilisants organiques (compost) pour augmenter la production agricole durablement dans la commune de Saint-Raphaël; favoriser un environnement sain tout en recyclant des déchets pour rendre la commune plus propre», précise l’agronome et entrepreneur vert, certifié en Droit de l’Environnement et Développement Durable, co-fondateur de CEDDEA, John-Milton Volmar.

La commune de Saint-Raphaël est située au Sud du département du Nord, à environ 48 km de la ville du Cap-Haïtien; elle compte 53 755 habitants dont 26 608 femmes et 27 147 hommes.

Un total de 36 205 personnes vit en milieu rural (environ 67,35% de la population) et 17 550 personnes vit en milieu urbain.

«Saint-Raphaël s’installe au 3e rang parmi les 19 communes du département du Nord grâce à son potentiel agricole, de sa richesse; elle est le grenier du département du Nord en matière de production agricole», cite John-Milton Volmar.

 

Production et commercialisation du compost

Le projet consiste à établir un centre de production et de commercialisation de compost à partir de déchets ménagers et des résidus de récoltes dans la commune agricole de Saint-Raphaël.

L’entreprise propose deux volets d’activités lucratives axées sur la formation et la production:

Offre d’une formation auprès de la population sur le tri, les types de déchets, leur gestion et la mise en place d’un système de collectes de ces déchets.

Production d’un fertilisant organique résultant de la valorisation et de la transformation des déchets collectés relatif à la production et à la commercialisation des composts.

Miser sur l’engrais naturel

CEDDEA aspire à devenir un producteur de premier plan d’engrais naturel pour améliorer la capacité de production des terres agricoles durablement et stimuler la production des agriculteurs de la région.

«Le PiGraN Incubateur nous a permis d’énergiser notre créativité, d’échanger des idées novatrices entre entrepreneurs et d’identifier la résolution de problèmes collectifs au bénéfice de nos communautés», témoigne John-Milton Volmar, «en rassemblant des individus et des entreprises pour travailler ensemble vers des objectifs communs.»

 

Kasav-Kreyòl

En Haïti, plus de 50% des denrées alimentaires (en l’occurrence le manioc, un produit périssable) sont jetées en raison d’un mauvais stockage selon la recherche Haïti-perspective sur la sécurité alimentaire en juillet 2015.

Face à ce dilemme, l’entreprise Kasav-Kreyòl propose de transformer le manioc en cassave de plusieurs variétés: la cassave à l’ananas, au raisin, à la noix de coco.

La cassave est un aliment traditionnel en Haïti. Il s’agit d’un pain plat fait à partir de racines de manioc. Le manioc est pelé, râpé, pressé pour extraire le jus toxique, puis séché et finalement cuit pour produire une galette plate.

«Souvent consommée comme accompagnement ou snack, elle peut être servie avec diverses garnitures, comme des sauces ou des condiments», selon le fondateur de Kasav Kreyòl, Vincent Jules Hébert, étudiant à la Faculté Des Sciences (UEH) en génie électromécanique.

«C’est une source importante de glucides dans l’alimentation haïtienne. Elle est appréciée pour sa texture croquante et son goût neutre.»

 

Sécurité alimentaire et vitalité économique

«Nous aspirons à valoriser les produits locaux en occurrence le manioc pour contribuer à la sécurité alimentaire, en offrant un produit délicieux, vitaminé, riche en amidon excellent pour maintenir la bonne santé physique», explique Vincent Jules Hébert.

«Notre entreprise vise ultimement à créer des opportunités d’emplois au palier local, à favoriser l’autonomie des agriculteurs locaux. Et à développer des avantages socioéconomiques et environnementaux pour la communauté de Port de Paix où nous sommes établis.»

Port-de-Paix est une ville située dans le nord-ouest d’Haïti, sur la côte atlantique de l’île, à environ 250 km au nord-ouest de la capitale, Port-au-Prince.

Selon l’Institut haïtien de Statistique et d’Informatique, elle comptait environ 250 000 habitants au début des années 2020. La ville a une économie basée principalement sur l’agriculture, la pêche et le commerce.

Les activités économiques comprennent la production de denrées alimentaires telles que le riz, le maïs et le manioc, ainsi que la pêche en raison de sa proximité avec la mer. La ville est entourée de paysages pittoresques.

«Le PIGraN Incubateur a joué un rôle crucial dans le développement de mon entreprise, grâce aux séances en ligne avec des mentors expérimentés, aux cours sur le leadership professionnel, la gestion de l’entreprise et le plan d’affaires qui nous a permis d’acquérir les compétences nécessaires pour bien gérer notre entreprise», déclare Vincent Jules Hébert.

 

Maison ZEPPIH

Maison Zoom Économique et Pôle de Production Intensive en Haïti (Maison ZEPPIH) est une entreprise commerciale à but lucratif œuvrant dans le domaine de l’aviculture, établie au Cap-Haïtien.

«Notre raison d’être consiste à réduire l’importation de produits agricoles étrangers, notamment les œufs, pouvant être produits en Haïti; à garantir la disponibilité de nos produits bios localement et l’accès à la consommation locale», cite le promoteur de Maison ZEPPIH, licencié en Sciences de l’Éducation, étudiant à la maîtrise en Gestion des Systèmes Éducatifs à l’ISTEAH, Noldey Jean Sonold Janvier.

Janvier est également le fondateur de l’Ajans Nasyonal Kreyasyon ak Aksyon Jenès (ANKRAJ) engagée dans le développement des compétences clés auprès des jeunes pour les inciter à s’impliquer activement dans le développement socioéconomique durable du pays. En plus d’être actionnaire aux entreprises PIGraN Enèji, PIGraN Agro-Industries, et membre du C.A des entreprises PIGraN Blòk.

 

Partenariat, réseautage et mutualisation

Maison ZEPPIH intègre le marché de la production d’œufs au niveau du Grand Nord et détient une part du marché d’environ 8.32% avec l’intention d’atteindre 50% du marché.

L’entreprise atteint une clientèle diversifiée en desservant au niveau local plus d’un millier de détaillants, une centaine de grossistes, une cinquantaine d’hôtels, une cinquantaine d’écoles et plus d’un millier de ménages.

La stratégie de vente est accentuée sur le partenariat, la commission, le réseautage et la mutualisation.

«Nous développons des partenariats avec des églises (les membres) qui achètent les produits sur une base régulière avec un coût réduit moyennant la création d’un compte de membre et d’un droit de distribution», précise Noldey Jean Sonold Janvier.

«En parallèle, notre stratégie permet aux clients de souscrire à un plan marketing en créant un réseau d’associés; d’offrir aux employés une commission sur le nombre de clients amenés, tout en contribuant à centraliser en partie la gestion de l’entreprise.»

 

Maximiser le profit collectif

Principalement, l’entreprise aspire à produire 28 millions d’œufs sur une période de 20 ans, à partir de 10 ans de production de pondeuses, pour obtenir un chiffre d’affaires d’environ 528 millions HTG (3 772 000 $US), en créant à court terme une quinzaine d’emplois.

«Notre participation cette année au programme de PIGraN Incubateur Accéléré (PIA) nous est très bénéfique, car elle nous permet de développer les compétences techniques et pratiques essentielles à la création et à la gestion efficace d’entreprise», souligne Noldey Jean Sonold Janvier.

«Aussi, elle nous permet de présenter notre entreprise au grand public et facilite notre intégration sociale.»

 

Pleo Pwason Lakay

L’entreprise Pleo Pwason Lakay a été créée en 2019 à Bodin, section communale de la commune de Pointe à Raquette, île de la Gonâve, à la suite d’un constat général tendant à l’inexploitation des espèces vivant dans la mer.

L’île de la Gonâve est incorporée à Haïti. Elle est située dans le golfe de la Gonâve.

La mangrove de la partie Ouest délimite des lagunes regorgeant de poissons et requins accessibles en bateau. La Gonâve possède parmi les plus beaux fonds marins de la région qui s’étire des falaises rocheuses jusqu’aux plages de fins galets qui composent les côtes de l’île.

C’est au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle que l’île commence à attirer des pêcheurs, puis peu de temps après, l’agriculture est apparue.

«Nous visons à satisfaire la population haïtienne en leur offrant une variété de fruits de mers répondant aux exigences sanitaires», expose le porteur de projet, Emmanuel Oscar Pierre Louis, avocat stagiaire au Barreau de Port-au-Prince. Il est étudiant à la maîtrise en Diplomatie et Coopération Internationale à l’Académie Diplomatique Jean Price Mars en partenariat avec l’Institut National de Gestion et des Hautes Études Internationales (INAGHEI) de l’Université d’État d’Haïti (UEH).

«Notre poissonnerie aspire à approvisionner le marché des départements de l’Ouest et du Centre d’Haïti, plus spécifiquement les communes de Croix des Bouquets et Mirebalais.»

«Les pêcheurs gonâviens et les marchands détaillants à la Gonâve sont nos premiers partenaires», dit-il. «N’ayant pas suffisamment de ressources logistiques comme bateaux de pêche pour démarrer notre entreprise, nous collaborons avec eux pour notre approvisionnement en fruits de mer.»

«D’autre part, les usines de glace à Miragoane et à Port-au-Prince seront aussi nos partenaires-commercants pour l’achat des glaçons pouvant nous permettre de conserver les fruits de mer à l’état frais pour le démarrage de notre entreprise.»

 

Favoriser le progrès durable possible

«Les séances de formation du programme Incubateur du PiGraN m’ont permis d’acquérir plus de connaissances en matière d’entrepreneuriat, notamment concernant la préparation du plan d’affaires, le développement de stratégies marketing et la production d’un pitch convainquant», selon Emmanuel Oscar Pierre Louis.

«L’encadrement du PiGraN fut fondamentalement enrichissant pour nous tous, porteurs de projets d’entreprises durant l’année 2023, en faveur du progrès durable possible de notre pays», conclut-il.

 

Annik Chalifour

Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

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