Stock de connaissances et innovations technologiques : quels défis et enjeux pour Haïti ?

Le stock de connaissances représente une composante essentielle de l'innovation technologique et de la recherche scientifique (Hohberger, 2016 ; Nielsen, 2006 ; Teece et al., 1997 ; Caloghirou et al., 2021 ; Johnson, 1999 ; Wu and Shanley, 2009 ; Henderson and Cockburn, 1994 ; Fleming and Sorenson, 2001). Une amélioration du stock de connaissances instiguée par des inventions ou des investissements en Recherche et Développement (R&D), est susceptible d’entraîner une plus large diffusion de la technologie (Hohberger, 2016 ; Nielsen, 2006 ; Teece et al., 1997). En raison du niveau élevé et du rythme accéléré de la compétitivité, les institutions -gouvernements, entreprises, et d’autres entités- doivent s'adapter et redéployer les compétences organisationnelles internes et externes afin de surmonter les défis de l'ère de la technologie de pointe. À cet effet, des études révèlent que la création de richesses dans ce contexte moderne gouverné par l'innovation et l’intelligence artificielle requiert que les entreprises fassent preuve de capacités dynamiques (Teece et al., 1997). Celles-ci sont garanties par une dimension créative que seul un capital humain compétitif permet de concrétiser.

Vertu ou vice de la modernité, toute entité doit planifier de manière explicite le recrutement d’un capital humain solide afin d’y insuffler une force innovative nécessaire à sa compétitivité sinon à sa survie (Lin et al., 2017 ; Rodriguez & Ordóñez, 2003 ; Acemoglu & Autor, 2012). En effet, il existe un lien consubstantiel entre le stock du capital humain et le stock de connaissances. Tandis que le stock du capital humain englobe l'ensemble des compétences, des attributs et des aptitudes accumulés par les individus au fil du temps, le stock de connaissances concerne spécifiquement la quantité et la qualité des connaissances disponibles dans un domaine donné. Le stock de connaissances peut contribuer à résoudre des problèmes, guider des décisions et marquer des progrès substantiels dans des secteurs porteurs. Ce potentiel créatif repose notamment sur des aptitudes technologiques, organisationnelles et managériales que charrient les externalités positives de l’héritage intellectuel.

D’un point de vue de transmission intergénérationnelle, la capacité innovative des firmes dépend du stock de connaissances enregistré dans les différents secteurs économiques. Il est évident que la génération présente bénéficie des avancées réalisées par les générations précédentes ; et le progrès est rendu possible à travers les inspirations et les leçons tirées des accomplissements des prédécesseurs. Isaac Newton avouait :"Si j'ai vu plus loin, c'est en me tenant sur les épaules de géants" (Standing on the shoulders of giants). Le stock de connaissance représente un patrimoine intangible qui contribue à acquérir des capacités techniques et à maintenir un profil viable sur l’échiquier de la modernité. À son tour, l'acquisition de nouvelles technologies et des outils d'innovation stimulera une meilleure productivité et conséquemment des salaires alléchants et des niveaux de vie de plus grande qualité ( Basu Fernald &  Shapiro, 2001 ; Keller, 2004; Easterly and Levine, 2001; Kenneth et al., 2003). À défaut de disposer des moyens adéquats pour promouvoir des inventions et des initiatives entrepreneuriales avancées, les sociétés qui visent à entrer dans la modernité devraient tout au moins s’appuyer sur les découvertes déjà réalisées par les sociétés avancées afin de tirer le standard de vie vers le haut.

Pour triompher dans cette arène dominée par des habiletés cognitives, la taille géographique d’un pays importe peu. Le prérequis serait qu’une société capitalise sur une gouvernance animée par une vision sociétale éclairée qui s’aligne avec les exigences de l’émergence économique. La mise en œuvre de politiques publiques axées sur la formation et l’intégration d’un capital humain solide se dresse principalement comme l’élément déclencheur vers la direction socialement rentable. Le Rwanda d’une part, de surface et des tailles démographiques similaires à Haïti et la Chine d’autre part détentrice à elle seule de 1.4 milliard d’habitants, peuvent nous convaincre que ce sont des plans et le sens de leadership qui assurent la démarcation vers des conditions de vie prospères.

Pour marquer le virage qualitatif vers un développement endogène soutenable, Haïti pourrait également mobiliser ses propres atouts, particulièrement ses ressources humaines locales et internationales qui contribuent à rehausser l’image des sociétés modernes. Au regard de la fuite massive de cerveaux qui rend Haïti exsangue d’un pool de ressources humaines suffisantes, le projet d’une fuite inversée des cerveaux s’avère incontournable pour redresser la barque. Les pratiques politiques opaques semblent y constituer la pierre d’achoppement à l’atteinte des objectifs de la création et de la distribution équitable de la richesse. Les structures sociales – sociétés civiles, universités, etc. – doivent amorcer avec véhémence la rupture de ce cercle vicieux d’un système de fonctionnement corrompu entre les représentants politiques et les détenteurs économiques.

 

Les brevets, un input consistant du stock de connaissances

Un ensemble d’études empiriques modélisent le stock de connaissances en utilisant les brevets (patentes) comme variables de base ; d’autres y intègrent les investissements en Recherche et Développement (R&D). Quoiqu’il existe une nuance subtile entre le stock du capital humain et le stock de connaissances, il convient de souligner le lien positif entre ces deux facteurs (Benhabib & Spiegel, 2005 ; Mahoney & Kor, 2015 ; Felin & Hesterly, 2007). Plus une société s’entiche des initiatives de recherches scientifiques, plus la connaissance léguée à la postérité est importante.  Pour mieux cerner les attributs de désuétude et de diffusion des découvertes et des inventions, le focus est davantage porté sur la qualité que sur la quantité des brevets en vue de relever l’importance du stock de connaissances.

Une vaste littérature s’entend à recenser le nombre de citations associé à un brevet à travers le temps pour estimer avec pertinence l’indicateur du stock de connaissance. Par exemple, au sein des répertoires des données des bureaux voués à délivrer des patentes tels que le European Patent Office (EPO) ou le USPTO (pour les USA), on y décèle des patentes pour lesquelles le nombre de citations est nul alors que d’autres affichent de grandes performances en termes de citations qui leur sont associées. C’est le cas d’une série d’inventions relatives aux équipements de chirurgie et aux technologies de pointe. Par exemple, « l’instrument de suture chirurgicale avec dispositifs de déploiement d’agrafes rotatifs » mise en œuvre en 2015 par les Américains Frederick E. Shelton et Jerome R. Morgan a été cité jusqu’en 2020 par 1,537 brevets d’invention.

Les brevets renferment des informations potentielles qui indiquent leur valeur dans le processus d'invention et de création de nouveaux produits. Lorsque les inventeurs déposent une demande de brevet, avec l'appui de leurs avocats et de l'examinateur de l'office des brevets, ils doivent citer tout brevet publié précédemment lié à leurs produits. Un brevet existant qui reçoit de nombreuses citations provenant de nouveaux brevets fournit un signal indiquant que ce brevet est productif (Popp, 2002 ; Jaffe & Rassenfosse, 2016). En d'autres termes, les recherches ultérieures reposent sur celles qui sont perçues comme les plus pertinentes. Plus une patente est citée, plus elle est importante, car d’autres recherches en profitent pour voir le jour. C’est en raison de cette utilité pour des découvertes ultérieures que la quantité de patentes per se ne serait pas une variable pertinente en comparaison à sa qualité qui est captée par les citations.

Cependant, parce que les idées innovantes tendent à surpasser les premières découvertes, les brevets perdent de leur importance au fil du temps. Certains modèles économétriques cernent uniquement le paramètre d’obsolescence des recherches et des inventions pour évaluer l’indicateur du stock de connaissances. Cependant, d’autres cadres théoriques plus complets y incorporent en plus du taux d’obsolescence le taux de diffusion des recherches et des inventions. Par taux d’obsolescence, on fait référence à la vitesse à laquelle le stock de connaissances devient obsolète alors que le taux de diffusion désigne la facilité avec laquelle le stock de connaissances se propage au fil du temps. Une valeur élevée d'obsolescence entraîne un nombre inférieur de citations, et celles-ci surviennent plus tôt en déplaçant la fonction de citation vers le bas et vers la gauche. Par contre, une faible valeur de diffusion reflète une probabilité de citation faible pour une année donnée (Jaffe et Trajtenberg, 1996).

 

Une formulation exponentielle du stock de connaissance

À l'exception de quelques études portant sur l’indice de connaissances, les modèles économétriques appropriés pour évaluer le stock de connaissances basés sur les brevets utilisent la spécification à double exponentielle développée initialement par Caballero et Jaffe (1993). Jaffe et Trajtenberg (1999) et Popp (2002) ont adopté cette même approche non linéaire pour établir les paramètres d’obsolescence, de diffusion ainsi que l’indice du stock de connaissances. Plusieurs autres recherches scientifiques telles que Crabb et Johnson (2010), Hohberger (2016) et BacchiocchiMontobbio (2010) s’inspirent de ce modèle à double exponentielle pour capturer les paramètres auxquels le stock de connaissances se déprécie et se propage simultanément dans le cas de divers secteurs.

Le modèle processus aléatoire à la base de la génération des citations de brevets est ainsi formulé : pk,K=αk,Kexp[-β1(k, K)(T-t)]×[1-exp(-β2(k,K)(T-t)] .Dans cette équation, p(k,K)  est la probabilité qu'un brevet k accordé à l'instant t soit cité par un brevet K accordé à l'instant T. β1 et β2  sont respectivement les taux de d’obsolescence et de diffusion qui dépendent du décalage (T-t). Ces paramètres étant estimés, ils aideront à déterminer le stock de connaissances à travers l’équation : SKs,t=j=0tαs,jpatentj,texp[-β1(t-j)]×{1-exp[-β2(t-j)]} .  α est un facteur multiplicatif équivalent au terme constant dans une régression linéaire classique. Les paramètres dépendent des caractéristiques des brevets cités pour un secteur donné. α(k,K)  indique la probabilité de citation d'un brevet k par des futurs brevets K. Pour des explications mieux garnies, particulièrement pour le lecteur déjà initié au jargon économétrique, il est conseillé de lire Popp (2002),  Hohberger (2016) ou BacchiocchiMontobbio (2010).

Ce modèle développé par Caballero et Jaffe n’est pas très répandu dans la sphère économétrique classique. Cependant, certains chercheurs en font un usage excessif et efficace pour estimer des indicateurs de stock de connaissances relatifs à plusieurs secteurs de l’industrie. Par exemple, analysant l'interaction de l'innovation et des prix dans le secteur de l'énergie, Popp (2002) applique le modèle de Caballero et Jaffe (1993) pour y déterminer des paramètres de dépréciation et de diffusion. Dans le secteur de l'automobile, Crabb et Johnson (2010) effectue un exercice similaire pour générer des taux d’obsolescence et de diffusion. Modélisant les flux de connaissances des universités et des laboratoires fédéraux aux États-Unis, Jaffe et Trajtenberg (1996) y estime des paramètres de désuétude et de diffusion à travers les citations liées aux brevets au fil du temps et entre des frontières institutionnelles et géographiques.

Au cours de la dernière décennie, les recherches complémentaires concernant l'obsolescence et la diffusion du stock de connaissances dans l'industrie attirent les chercheurs et deviennent de plus en plus abondantes aux États-Unis et dans les pays de l'OCDE. Plus récemment, Hohberger (2016) étudie l'effet de l'intensité scientifique et des connaissances technologiques et inventives sur la propension et la vitesse de diffusion des inventions. En utilisant un échantillon de 40 000 brevets américains pour le secteur des semi-conducteurs et de la biotechnologie, l'auteur établit des comparaisons sectorielles entre un ensemble de paramètres de dépréciation et de diffusion du stock de connaissances.

 

Des formulations tenant compte uniquement de l’obsolescence

Une autre branche de la littérature utilise une spécification qui tient compte du seul taux d'amortissement pour construire le stock de connaissances. Ladite formulation est établie comme suit : Kit=1-Kit-1+Rit . K représente le stock de connaissances, est le taux de dépréciation et R désigne l'investissement réel en R&D à l'instant t (Katila et Ahuja, 2002). Cette même spécification peut s’appliquer en substituant les investissements en R&D par le nombre de brevets pour calculer le stock de connaissances (Griliches, 1984 ; Pakes et Schankerman, 1987). Cette approche visant à capter le stock de connaissances par le nombre des brevets fait l’objet de nombreuses critiques puisqu’elle ne s’intéresse pas à la qualité des brevets. Hall et Hayashi (1989) ainsi que Klette (1996) apportent de légères variations à ce modèle au taux unique en mettant en évidence la spécification logarithmique suivante : logKitlogKit-1+(1-ρ)logRit .

Une question potentielle à soulever concerne la détermination de la valeur optimale du taux de dépréciation. En guise de réponse limitée, un courant dominant de la littérature adopte arbitrairement un ensemble de valeurs situées principalement entre 10 % et 36 %. Pour les taux compris entre 8 % et 25 %, plusieurs études comme celles de Griliches (1984), Mairesse et Cunéo (1985), Bernstein (1988), Bernstein et Nadiri (1989), Hall et Mairesse (1995) et Harhoff (1998) rapportent de petites différences dans l'estimation des mesures précédentes. D’autres études telles que Bosworth (1978) estiment la variation du taux de dépréciation des investissements en R&D entre 10 % et 15 %. Pakes et Schankerman (1984) utilise des brevets européens sur pour fournir une estimation du taux de dépréciation dans un intervalle entre 18 % et 36 % et une estimation ponctuelle de 25 %. Un article de Bernstein et Mamuneas (2006) estime un taux de dépréciation de 18 % pour les produits chimiques, 29 % pour les produits électriques et 21 % pour les équipements de transport dans l'industrie américaine. Une autre recherche qu’il convient de mentionner est celle de Hall (2005) où l'auteur obtient un paramètre d’obsolescence global de 27 % pour l’industrie américaine. Pour des secteurs spécifiques, les estimations de la dépréciation varient de 15 % pour les produits pharmaceutiques à 36 % pour les entreprises de produits électriques.

D'autres cadres théoriques à l’instar de Bitzer (2005) suggèrent une alternative avec un modèle qui intègre les caractéristiques de création et de destruction du stock de capital pour les investissements en R&D. Bitzer (2005) considère que le stock de capital de R&D croît parallèlement aux nouveaux investissements dans la connaissance selon le processus de création , représente l'investissement dans la connaissance à l'instant t. La somme des investissements dépréciés évolue selon l'expression , où k représente le délai de temps pendant lequel la connaissance se déprécie et  la part substitutive de la nouvelle connaissance. In fine, le stock de capital de R&D est développé selon la formule suivante : -  , .

L'auteur propose également une fonction plus complète pour le stock de capital de R&D donnée par : . Le dernier terme intègre un choc exogène qui peut potentiellement amortir l'ensemble du stock de connaissances. L'application empirique de cette dernière spécification paraît moins plausible en raison de la complexité de capturer les chocs exogènes. Des modèles plus réalistes tels que ceux de Doraszelski et Jaumandreu (2014), Hall et Hayashi (1989) et Klette (1996) intègrent l'incertitude dans les découvertes ainsi que leur degré d'applicabilité et de réussite.

Enfin, contrairement aux modèles à un paramètre, le modèle à double exponentiel légué par Caballero et Jaffe (1993) capture à la fois les aspects de dépréciation et de diffusion des inventions. Il y a certainement des défis en termes de disponibilité de données qui casseraient les incitations à adopter ce modèle. Cependant, dans une perspective de produire des résultats plus convaincants et pour faciliter des comparaisons entre divers secteurs industriels ou académiques le cadre théorique Caballero et Jaffe (1993) s’avère mieux approprié pour établir le stock de connaissances disponibles.

 

Stocks de connaissances précaires en Haïti : défis et enjeux

Si l’établissement du stock de capital humain requiert d’agréger des informations sur les niveaux académiques, l’état de santé et les accès à des services de base des individus, le stock de connaissances interpelle les investissements en R&D et les inventions qui ont cours dans les différents secteurs d’activités (Popp 2002 ; Bernstein and Mamuneas, 2006). La précarité des données en Haïti inhibe tout effort académique et scientifique qui viserait à estimer avec des précisions convenables l’un ou l’autre de ces indicateurs. Pourtant, l’appréhension des paramètres de désuétude et de diffusion des connaissances accumulées selon différents domaines contribuerait à en cerner les forces et les faiblesses. Ces paramètres servent à déterminer dans quelle mesure le stock de connaissances diffère d'un secteur à un autre (Bacchiocchi and Montobbio, 2010; Popp, 2002). En capturant les paramètres d’obsolescence et de diffusion des connaissances technologiques, les organisations peuvent mieux gérer leurs ressources et renforcer leurs capacités d'innovation pour s'adapter à de nouvelles circonstances et rester compétitives (Cohen et Levinthal, 1990, Mukherji et Silberman, 2013).

Le projet avorté de la SNDS

La gouvernance avisée ne saurait être implémentée sans la disposition, l’exploitation et l’analyse des données pertinentes. Lorsque l’on sait que le dernier recensement général de la population et de l’habitat réalisé par l’IHSI remonte à deux décennies (en 2003), il va sans dire qu’Haïti est un exemple notoire des nations non transparentes qui nagent dans la faiblesse de données économiques et sociales. En conséquence, la gouvernance avisée au sein de cette république est confrontée à de nombreuses épreuves. Il est quasiment impossible de cerner certains indicateurs du développement. C’est à partir des déficiences statistiques constatées dans les pays en développement que le fameux projet multisectoriel dénommé Stratégie Nationale de Développement de la Statistique (SNDS) a été entrepris en 2015.

Cet effort consistant qui mobilise les producteurs et utilisateurs de statistiques économiques et sociales au pays a été bien accueilli par les parties prenantes. À titre d’exemple, l’ONPES en faisait son cheval de bataille pour améliorer ses activités de collecte ainsi que ses services de dissémination des données utiles via la noble initiative des statistiques minimums. La PNH, la BRH, l’UEH, la plupart des ministères dont le MCI, le MEF et le Ministère du Tourisme y adhéraient et travaillaient à travers une série d’ateliers sectoriels. S’ensuivirent également des séances de restitutions plénières qui faisaient l’objet de vives discussions à l’IHSI en vue de marquer des améliorations dans les propositions méthodologiques et les diffusions statistiques. Malheureusement, des discontinuités induites vraisemblablement par les incessantes perturbations politiques ont atténué cet élan d’harmonisation des données à l’échelle nationale qui visait à mettre à jour des statistiques économiques et sociales au profit de tous les acteurs de la société.

Dans le contexte du stock de connaissances, les défis sont davantage difficiles à surmonter dans la mesure où que ce soit des données d’investissements en R&D ou celles portant sur les brevets d’invention, Haïti y expose une pauvreté patente. D’une part, les données sont insuffisantes et de l’autre, l’accès y est très limité. Même les institutions de productions de statistiques au pays, que l’on croirait déterminer à faciliter l’entrée dans la modernité, cultivent une pratique opaque de gérer des données publiques quasiment de manière confidentielle. Sur plusieurs sites d’organismes publics, on observe assez souvent des données partagées sous forme d’image, ce qui rend leur exploitation extrêmement difficile. Parmi les institutions concernées par les patentes, il convient de mentionner le rôle précaire que jouent le MCI et la DGI dans la disponibilité des données au public. Alors que de telles institutions devaient partager leurs données sur un site d’accès public comme c’est le cas de USPTO ou EPO, elles en font quasiment une boîte noire. En conséquence, l’université (déjà paresseuse d’ailleurs) n’arrive pas à les exploiter pour produire des recherches et orienter des décisions de politiques publiques.

L’accès difficile aux données rendait inopérante la modélisation de certains phénomènes complexes. Pour ce qui concerne de potentielles estimations de stocks de connaissances technologiques, on est enclin à conclure que cet indicateur allait connaître un déclin notoire au cours de la dernière décennie. L’observation dominante est que la société est pauvre dans la création de la richesse intangible. L’université fonctionne avec un maigre budget, la majorité des professeurs sont comme des passagers clandestins ; la recherche avancée est donc le cadet de leur souci. De plus, les récents mouvements de l’exode massif des cadres haïtiens vers des pays de la région Caraïbe-Amérique latine et de l’Amérique du Nord ont creusé le fossé.  Des professionnels, des artistes et des universitaires ont fui l’insécurité et le kidnapping, des PME ont dû fermer leurs portes. La fuite de cerveaux et de capitaux qui en résulte a sévèrement saboté des initiatives entrepreneuriales.

Alors que la technologie crée de nouveaux emplois qui nécessitent des compétences innovantes et donc un capital humain apte à puiser dans le stock de connaissances disponibles, Haïti laisse fuir son ses ressources humaines qualifiées vers des terres étrangères. Comment donc rétablir l’équilibre dans cette dynamique de crise persistante qui a vu plus de 80% des Haïtiens les mieux formés résider à l’étranger ? Une politique de fuite inversée des cerveaux en serait la réponse.

 

Carly Dollin

carlydollin@gmail.com

 

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