La plaine des Gonaïves : terre agricole en proie à l’étalement urbain

Un simple coup d’œil à l’est et au nord-est de la ville des Gonaïves permet de découvrir une vaste terre à haut potentiel agricole. Il s’agit du poumon agricole de la commune des Gonaïves qui, jadis, était le principal grenier alimentaire pour le département de l’Artibonite à un point tel que des dispositions légales ont été prises en vue de sa préservation de toutes constructions. Pourquoi, aujourd’hui, malgré l’intensité manifeste des activités agricoles, les dispositions légales, les revendications des organisations d’exploitants … la machine à construire semble inarrêtable dans la plaine ? Voilà une question dont la réponse aurait été la baguette magique qui sauverait l’agriculture de la gueule de l’urbanisation.

L’urbanisation de la plaine des Gonaïves, un phénomène non isolé

tandis que les campagnes se vident, les villes explosent. Les différents phénomènes sociaux engendrés par l’explosion urbaine font étendre les villes. C’est une inquiétude majeure pour les territoires du Sud souvent surpeuplés. C’est le cas des pays de l’Afrique, comme Cameroun, Maroc, Tunisie et des îles de l’Amérique dont Réunion, Martinique, etc. Toutefois, l’étirement des villes a le mérite d’être une préoccupation planétaire tenant compte de la demande croissante en espace de construction. Sur ce sujet, les projections des Nations Unies en 2018 sont curieuses : à l’horizon 2050, près de 70 % de la population mondiale serait urbaine. Il est aussi prévu que cette explosion se traduira par une périurbanisation accélérée au détriment des terres agricoles. C’est à ce niveau que cela devient un problème important. Autrement dit, il est indispensable de planifier l’urbain. Bref, c’est au regard de ces faits qu’il convient de considérer l’urbanisation de la plaine des Gonaïves comme un phénomène non isolé, mais ayant des particularités que cet article est amené à mettre en évidence.

 

Le point sur la situation de la plaine

Réputée pour son potentiel agricole, la plaine des Gonaïves jouissait d’une grande fertilité qui malheureusement risque de péricliter de nos jours sous l’effet de l’urbanisation. Dans les années quatre-vingt, cette plaine réunissait des activités agroindustrielles et agricoles créant ainsi beaucoup d’emplois. Sa valeur économique a fait naître l’Organisation pour le Développement de La Plaine des Gonaïves (ODPG) qui, pour l’heure, n’existe que de nom. Aujourd’hui, les vestiges industriels sont à peine présents. ODPG faillit à sa mission. Les cultures ne sont plus capables de restituer les investissements. La plupart des agriculteurs fuient la plaine et changent de métier. En même temps, la ville avance tranquillement sur la plaine. C’est une guerre entre le végétal et le béton ! En attendant voir le gagnant, notre travail de recherche en 2022 a montré que de 2002 à 2022, la plaine perd 14 km2 de terres agricoles au profit de l’étalement de la ville. Ce chiffre représente la moitié de la superficie totale de la ville actuelle. Or, cette situation a certainement été anticipée par le Schéma directeur d’Aménagement urbain des Gonaïves (SDAUG) en 2001. Le zonage de ce document consacre la plaine officiellement à l’agriculture intensive en s’appuyant sur des arrêtés communaux la préservant de l’Urbanisation. Sans doute, faut-il questionner l’application du plan de zonage (p. 31, SDAUD) ?

 

Le niveau d’application du zonage du SDAUG

Le SDAUG est, soyons clairs là-dessus, un document officiel et légal. Le zonage y stipule que le nord et le nord-ouest sont réservés à l’extension urbaine, tandis que l’est et le nord ‘Est sont consacrés à l’agriculture. Cependant, aujourd’hui on observe l’inverse. Selon notre travail de recherche, sur 31.15 km2 destinés à l’urbanisation, seulement 5.5 km2 sont effectivement construits pourtant, la ville envahit déjà près de 15 km2 de la plaine. Y a-t-il au moins un groupe de la société qui se demande pourquoi ? Nous croyons que non, mais si oui, tant mieux ! Toutefois, voici une liste non exhaustive de réponses apportées par notre travail de recherche : (1) les infrastructures prévues pour attirer les citadins vers les zones recommandées n’ont pas été réalisées ou restent inachevées ; (2) les actions prévues pour développement l’agriculture dans la plaine n’ont pas été effectives ; (3) le zonage paraît trop strict et devient techniquement source de désordre. En conséquence, les ceintures bleues marquant les limites de construction sont violées facilement par des initiatives privées et publiques ; (4) les arrêtés relatifs à la préservation de la plaine n’existent que sur papier à cause de la faiblesse/corruption de l’État. Sur cette question, 79 % des propriétaires enquêtés disent avoir leurs permis légaux de construire dans la plaine. Les causes de cette inapplication sont fortes et ne sont plus à démontrer. Mais qu’en est-il des conséquences ? Quels sont les secteurs affectés ?

 

Les conséquences de l’étalement urbain

Les conséquences se résument en l’étalement urbain ; rien de plus évident ! Cependant, ce qui est évident depuis des années peut vous surprendre lorsqu’il progresse en sourdine. C’est le cas de ce poumon agricole dont l’urbanisation  affecte la communauté sur plusieurs aspects : d’abord sur le plan infrastructurel, des canaux d’irrigation sont bloqués par des constructions ; on assiste à un changement de la vocation de l’eau, passant d’un usage agricole à un usage domestique ; la valeur foncière grimpe curieusement. Le prix d’un sol cultivé peut être quintuplé s’il est vendu pour être construit ; sur le plan environnemental, la situation est lamentable. La demande en eau entraine une pression sur la nappe phréatique, tandis que la rivière Quinte s’assèche en traversant la plaine ; les sols sont parsemés de déchets plastiques. La biodiversité s’appauvrit ; l’identité socio-culturelle de ménages agricoles est aussi impactée par l’arrivée des familles économiquement aisées. Certaines traditions disparaissent, dont le Konbit. Le régime alimentaire s’expire en substituant les produits locaux par des produits importés. Les natifs de la plaine se voient donc, contraindre de s’adapter à la modernité apportée par les nouveaux arrivés. Cette catégorie est composée, pour la plupart, d’une couche sociale importante : la diaspora.

Accaparement diasporique de la plaine

Plusieurs atouts constituent l’attrait de la plaine : l’accès à l’eau, l’environnement verdoyant, la tranquillité… C’est pourquoi sa valeur foncière grimpe. En ce sens, seuls les fortunés peuvent s’offrir une place dans la plaine. À noter que l’État n’intervient pas dans la détermination du prix foncier. Ainsi, les diasporas, économiquement forts, achètent de grandes quantités de terres qui restent vides ou occupées par des maisons inhabitées ou louées à des ONG ou de grandes familles de la place.  D’où nait une ségrégation sociale qui se traduit dans l’espace. Au Nord (autour du morne Bienac et Gatreau) et au Nord ’Ouest (vers Anse-Rouge) des maisons traditionnelles couvertes de tôles ; la cuisine et les toilettes sont externes. À l’est et nord-est, dans la plaine, de grandes maisons à caractère moderne, distribuées de manière clairsemée . L’eau, l’électricité, la gestion des déchets ne regardent pas l’État, mais sont gérées par les ménages, souvent diasporas.

Donc, l’étalement urbain vers la plaine des Gonaïves peut être considéré comme une réponse idéale à la demande des gens qui cherchent de grands espaces pouvant garantir un cadre de vie agréable. Peu importe le prix à payer. En ce sens, l’attrait de la plaine constitue la principale cause de son accaparement par les diasporas et les familles aisées. Les parcelles cultivées deviennent une proie facile à la gueule de la trame viaire. En somme, le pouvoir d’achat disproportionné des diasporas chasse progressivement l’agriculture de la plaine des Gonaïves. Face à   cette situation, que faire pour sauver l’agriculture dans la plaine.

Recommandation

Au regard de ces constructions dans la plaine, nous recommandons l’introduction d’une agriculture urbaine, dont les acteurs seraient : d’abord, le ministère de l’Agriculture en vue de promouvoir et de financer l’agriculture urbaine par des formations, la vulgarisation et l’introduction des variétés adaptées (maraichères, par exemple). Ensuite, les ménages mettraient en place des jaden lakou (l’espace environnant la maison). Comment? La formation des ménages sera basée sur les itinéraires techniques des cultures, suivi par des accompagnements et supervisions. Quels avantages ? Les domaines ont assez d’espaces et s’étalent de façon clairsemée.  Les jaden lakou sont traditionnellement bien entretenus, car tous les membres du ménage s’en chargent. Les plantes sont à l’abri de l’élevage libre, car les domaines sont généralement clôturés. Quel inconvénient ? Le système d’agriculture urbaine n’est pas bien adapté à grande échelle. Donc la culture de rente n’est pas envisageable.

Venor Zephirin

Ing. Agronome, MSc.

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