Le FESPACO et la Caraibe: un cinéaste haïtien au Burkina Faso

Le jour où j’ai rencontré Amadou Khourouma et Sembène Ousmane.

Je le dis d’entrée de jeu : je suis un fervent admirateur du Fespaco. Mais il est bon de rappeler brièvement mon histoire avec ce festival qui deviendra pour moi   la vitrine du cinéma panafricain et de celui  des afrodescendants  de par le monde.

 Filipp Sawadogo , qui avait vu mon film « Haïti, le chemin de la liberté »,  m’invita à intégrer le  jury de l’ Édition de 1993 dont le thème était Cinéma et liberté. Je n’hésitai pas une seconde. C’était oui. Tout haïtien a un attachement à l’Afrique  et rêve d’y aller. J’avais été invité bien des années auparavant par la Cinémathèque d’Alger mais je ne  connaissais pas encore l’Afrique noire, notre Afrique à nous, celle de nos ancêtres.

C’est donc avec une vive émotion que je débarque à Ouagadougou et que je me retrouve dans ce jury, présidé par Ahmadou Kourouma, en compagnie d’autres prestigieux noms du monde de la culture dont le directeur du Festival de Venise, Marc Muller, l’historien Ibrahima Baba Kake, des cinéastes de l’Afrique du Sud, du Niger, de la Tunisie, du Burkina Faso…

Lors d’une cérémonie, cette même année, j’ai eu l’honneur de rencontrer Sembène Ousmane.

À cette époque, il n’y avait qu’un seul jury pour toutes les catégories.  Le travail était exorbitant vu le nombre de films qu’il fallait visionner. Aussi notre jury, après délibération, recommanda-t-il en premier lieu qu’à la prochaine édition il soit établi la formation de deux jurys officiels distincts : l’un pour les longs métrages et l’autre pour les courts.  Mais mes obligations ne m’empêchèrent pas de me rendre compte de l’effervescence populaire. C’était une vraie fête. Le cinéma était partout. Ce n’était pas seulement dans les salles ou dans la pièce qui nous était réservée. Je fus ravi par la cérémonie de clôture au stade national. Que de monde ! Quel enthousiasme ! Quel spectacle !

On y a rendu hommage aussi à Douta Seck, surnommé le roi Christophe, pour son rôle dans «  La tragédie du Roi Christophe » d’Aimé Césaire , mise en scène par Jean-Marie Serreau.  Le roi Christophe, héros de la guerre de l’Indépendance, personnage shakespearien,  est  le bâtisseur du plus célèbre monument historique d’Haïti, la citadelle Laferrière.

Depuis lors le Fespaco et le Burkina allaient occuper une place spéciale dans mon imaginaire et dans mon cœur.

En 2007 pour la vingtième édition du Fespaco, je me retrouve, à Ouaga. Mon premier  film  de fiction y avait été sélectionné pour le prix Paul Robeson des films de la Diaspora africaine.

C’est  la fois où je découvre, en  fait, vraiment le Fespaco. Je fais connaissance avec les colloques de haut niveau, le marché du Film. Les occasions de rencontres se multiplient avec les cinéastes de l’Afrique entière. Ils avaient les mêmes problèmes que les Haïtiens et les Caribéens. Je noue des amitiés.  Je ne cesse d’admirer la place du cinéma et la rue avec les statues en bronze,  grandeur nature, des cinéastes.

Dans le hall de l’hôtel Indépendance, Abderrahmane Sissoko m’apprend que j’ai eu le prix de l’Association de lutte contre le Sida du Burkina. Je ne pouvais y croire. Quelle récompense pour Haïti et mon équipe !

Le lendemain, rendez-vous au Stade pour les trophées officiels. C’était l’ambiance magique que j’avais connue lors de la treizième  édition avec encore plus d’éclat. La parade des cavaliers touaregs, les chants si émouvants des Africains de l’Ouest. C’était le vingtième anniversaire. Tout le gouvernement était là. Le président avec son expression de joueur de poker. On arrive aux prix de la diaspora africaine : «  Le président a-t-il le Sida ? » est le gagnant. On m’invite à rejoindre le podium pour le Trophée. On m’a raconté après que la Télévision avait  fait un gros plan du président Blaise Compaoré, au moment où l’on  citait le titre de mon film, «  Le président a-t-il le Sida » et qu’il avait eu  l’air un peu déconcerté. Il s’agissait d’un film avec Jimmy Jean-Louis qui jouait le rôle d’un musicien qui s’était auto-proclamé Président de la musique populaire haïtienne. Ce musicien deviendra président de la République dix ans après.

Je participerai aux  deux prochaines éditions : en 2009 ( 40 ans de l’existence de cette biennale) et en 2001. Je gagne toutes les deux fois le prix Paul Robeson du meilleur film de la diaspora africaine. Mes amis burkinabés pour me taquiner me disaient qu’on n’acceptera plus mes films en compétition, car c’est grâce au Vodou haïtien que je gagnais à tous les coups. Par la suite j’irai une fois encore en 2013, comme membre du jury de documentaires. J’ai envoyé hors concours d’autres films qui ont toujours été bien accueillis.

 Le Fespaco a été pour moi l’occasion d’apprendre beaucoup sur le cinéma africain et ses problématiques économiques et esthétiques, de voir des films que je n’aurais jamais vus en Haïti. Tout comme le Festival de la Havane l’a été pour moi dans la découverte du cinéma et des cinéastes de l’Amérique latine.

J’ai vu aussi les nombreux problèmes d’organisation auxquels étaient souvent confrontés les dirigeants du festival : la réception des invités, leur hébergement, la distribution des accréditations, les catalogues. Mais la gentillesse des fonctionnaires et des cadres du festival compensait tout cela. Il y avait là aussi une leçon  à tirer. Je me souviendrai toujours des 3 délégués généraux, de Ardiouma Soma, de Aminata, de Lucie Kéré et de tous les autres qui m’ont toujours accueilli avec le sourire.

Le Fespaco et la promotion des films d’Afrique et de la Diaspora africaine 

 Le Fespaco est un pivot fondamental pour l’exposition et la promotion des films d’Afrique et de la Diaspora grâce à plusieurs facteurs dont : 1) L’affluence de cinéastes et de festivaliers du monde entier 2)  le grand succès médiatique du festival 3)  le Mica, le marché du film africain et de la télévision qui met en contact  distributeurs, producteurs, agences de financement.4) plusieurs autres festivals, qui ont lieu après le Fespaco, font provision de films au Fespaco et sont un peu son prolongement sur les continents américain et européen. Pour citer quelques-uns : Vues d’Afrique à Montréal, PAFF à Los Angeles ou en Europe : le Festival d’Amiens et celui de Namur, Ecrans Noirs au Cameroun.

J’ai personnellement rencontré et maintenu des relations avec beaucoup d’organisateurs de ces manifestations grâce au Fespaco.

J’y ai rencontré Balufu Bakupa Kayinda, Sarah Maldoror, Catherine Ruelle, Mama  Keita, Baba Diop, Gérard Lechêne,Manu Dibango, Bassek Ba Khobio, Gaston Kaboré, Euzane Palcy, Issa Ouedraogo, Souleymane Cissé, Wade Mansour.  Avec ces trois derniers et notre ami cubain décédé, Rigoberto Lopez , le brésilien Bulbul et le dominicain Oscar de la Cruz, on a voulu finir de monter, profitant du Fespaco,  le projet ABCD :  Afrique, Brésil, Caraïbe, Diaspora.

J’ai été à Cannes, à la Berlinale, à La Havane, à Amiens, à Namur et à de nombreux autres  festivals, comme participant ou comme membre du jury. Je peux affirmer qu’aucun festival autre que celui d’Ouagadougou ne m’a procuré ce sentiment de convivialité, cette sensation d’un lieu habité par le cinéma.

Le Fespaco et l’avenir de tout un pays  et de la culture afro

Que signifie le Fespaco pour l’avenir du Burkina et l’avenir de la culture ?

Le Fespaco  est un paradigme d’Institution vivante et pérenne pour tous les pays du Tiers-Monde malgré ses lacunes organisationnelles et de programmation. Il a démontré la continuité de l‘État au Burkina Faso et a été le meilleur ambassadeur de ce pays. Crée quand Le Burkina s’appelait la Haute-Volta, lancé à la renommée internationale avec Thomas Sankara qui lui a donné son essor, maintenu après son assassinat, le Fespaco a survécu à la destitution de Blaise Compaoré.

Brille-t-il des mêmes feux de ses  années de gloire ? Je ne sais pas pour n’y être pas allé depuis 2013.

Mais j’ai l’impression qu’il n’a jamais été aussi fragilisé. J’ai entendu et lu des critiques impitoyables et destructrices à propos  de ses dernières éditions. Celle de 2201 était déjà en crise et avait agacé beaucoup de participants. Le Burkina est de surcroit en proie maintenant au terrorisme qui frappe ses enfants tous les jours. Son organisation sociale et son économie en souffrent manifestement.

C’est le moment où il faut plus que jamais sauver le Fespaco. Car sa disparition ou sa réduction à une peau de chagrin serait un échec pour le Burkina, pour le Cinéma  et pour toute la culture du monde. Le Fespaco est un patrimoine de l’humanité.

J’ai entendu des gens vanter l’organisation des grands festivals du premier monde et traiter avec mépris nos festivals. Faut-il rejeter le Caricom, l’Unasur ou l’Association de l’Unité africaine parce qu’il y a le G7, l’OTAN ou Davos ?

Le Fespaco doit être soutenu pour la fierté du Burkina, pour la fraternité entre les peuples de l’Afrique, de la Caraïbe et de la diaspora africaine, pour témoigner  avec des images de leurs luttes pour la liberté, la vérité, la beauté, la solidarité et le bonheur, pour qu’il continue à exister un cinéma différent, inventif, produit de nos imaginaires, faiseur de sens, libre des standards imposés par les grands cartels du cinéma et du showbiz, pour un grand festival sans tapis rouge et sans paillettes. Mais pour cela il faut un sursaut et beaucoup de courage et d’imagination de la part des organisateurs de ce festival et des autorités de l’État burkinabé, si j’ai bien compris, car les défis sont immenses.

Black lives matter! Black history matters! Black cultures matter! Black images and dreams matter! C'est ce qu'essaient de dire depuis 50 ans ceux qui participent au Fespaco. C'est ce qu'il faudra continuer à dire à l'avenir.

Arnold Antonin

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