Lorsqu’il avait publié son premier texte dans le premier numéro du journal Le National « Quand le texte se fit Lobo » en 2015, personne ne s’y attendait que le jeune Carl Henry Pierre du haut de ses vingt ans allait devenir une décennie après, un passionné du métier du journalisme culturel en Haïti . Chemin faisant, il s’est adonné dans cette profession avec passion, un amour du métier qui déjà refusait les chemins faciles, des dizaines d’articles portant sa signature ont été publiés dans les deux quotidiens en Haïti et dans d’autres revues spécialisées à l’étranger. De son humeur souvent joviale et de son sens de l’autre qui fait de ce monde un jardin parsemé d’amitiés, la vie de Carl Henry Pierre est une rencontre joyeuse et intime avec l’art en général et les professionnels de l’art en particulier. Féru de nouvelles rencontres et d’aventures prometteuses, on rencontre sa présence dans des vernissages, des après-midi de vente signature, causant avec des sculpteurs et des artistes spécialisés dans l’art de la récupération, anime des panels de réflexions dans des activités culturelles qui se font dans la capitale haïtienne et dans les villes de province particulièrement à Petit- Goave où il a ses racines. Carl Pierrecq qu’il signe depuis quelque temps, dans ses articles de presse aime les discours, les éloges, l’enthousiasme et les bons sentiments et ne dissuade jamais personne d’avoir une vie. De la IERAH / ISERSS en passant par l’École normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti, Carl Henry Pierre pardon Carl Pierrecq fait des allers- retours sur les chemins de l’existence et prouve assez souvent sans réticences ni calculs son attachement au monde. L’entretien accordé au journal Le National pour célébrer ses dix ans de carrière dessine un peu les contours de la vie de Pierrecq laquelle allie à une originalité radicale et une persévérance dans l’effort sa vision du monde. Entretien.
Le National: Votre premier article dans la presse haïtienne est paru en 2014 sur Frankétienne et, depuis cette date, vous êtes journaliste culturel en Haïti. Qu’est-ce qui vous passionne dans ce métier?
Carl Pierrecq: C’est un métier qui correspond à mon caractère et à mon rapport aux choses. C’est la littérature et les arts, à côté de l’amour, qui me font me lever le matin. Pour moi, écrire sur les livres, les concerts, les spectacles ou les expositions, ce n’est pas vraiment travailler. Avec un tel exercice, j’actualise ma volonté de vivre et j’y prends beaucoup de plaisir. C’est une activité ontologique pour moi parce qu’elle met en valeur mon être le plus intime et le plus profond. C’est une chose extraordinaire d’être payé pour faire une activité qui nous donne envie de durer dans l’existence. Sans la littérature et les arts, l’humanité serait moche et sans aucune noblesse. Avec le journalisme culturel, je fais voir la beauté du monde et parfois l’effritement de cette beauté à laquelle je tiens beaucoup.
Après dix ans de pratique journalistique, j’aime ce métier avec la même fougue et la même énergie. J’ai rencontré tellement de personnes extraordinaires grâce à ce métier.
L.N: est-ce que la presse écrite a toujours été votre passion? N’avez-vous pas pratiqué d’autres médiums avant?
C.P: Avant la presse écrite, j’ai fait de la radio à Petit-Goave, non pas comme journaliste vedette d’une émission, mais comme chroniqueur. J’avais ma première chronique à la radio à 16 ans, c’était bien avant le tremblement de terre. J’ai un modeste parcours dans les radios Petit-Goaviennes. En 2009-2010, j’avais une chronique sur la langue française à l’émission Tempêtes tropicales à Radio Notre-Dame. En 2010-2011, j’avais une petite chronique sur les pensées célèbres à l’émission Priorité Culture (Radio Echo 2000) qu’animait Ritzamarum Zetrenne. En 2012, j’avais une chronique sur l’amour dans une émission diffusée dans la soirée à Radio vision +. En 2013, j’avais une chronique sur le théâtre à une émission à Radio Tele Planet Vibration animée par le metteur en scène, Sadrac Jean. En 2014, j’avais une chronique de Portrait d’écrivains à Contact Magazine à Radio Tele Contact animé par le poète, Adelson Elias.
Après cette période à la radio, j’ai endormi ma voix pour laisser parler ma plume, avec l’ensemble de collaborations que l’on connaît: Le Nouvelliste, Le National, L’Union et autres.
Depuis peu, je pointe mon visage, surtout avec mon podcast vidéo à Palmes Magazine intitulé « Immortels ou plus ».
L.N: est-ce que c’est Petit-Goave qui vous a donné l’envie de devenir journaliste? Comment a été votre enfance dans cette province haïtienne?
C.P: Petit-Goave a certainement joué un grand rôle dans mon amour pour le journalisme culturel. Peu de temps après le tremblement de terre de 2010, j’ai eu pas mal de formations via Corecul, que ce soit en journalisme culturel avec Dominique Batraville et Jacques Adler Jean-Pierre, que ce soit en théâtre et arts plastiques avec Youyou et Max Robenson Vilaire Dortilus, sans oublier de nombreux ateliers littéraires avec des écrivains comme Lionel Trouillot, Marc Exavier, Laure Morali, etc. En 2008, j’ai suivi des cours de dessin dans l’atelier d’un peintre, l’artiste Hyppolite et, la même année, j’ai intégré une école et troupe de théâtre Mothergo+. J’ai fait 6 ans de théâtre comme d’autres font 10 ans de conservatoire en musique ou en danse. Avant de me retrouver dans ces différentes formes d’art, j’étais chanteur et je grattais gauchement à la guitare. Vous voyez, lorsque plus tard je vais être journaliste culturel, en écrivant sur les artistes, j’ai toujours la sensation d’écrire sur moi-même, sur le monde des arts qui bouge à l’intérieur de moi.
L.N: Quels sont vos modèles dans le monde du journalisme culturel en Haïti et à l’étranger ?
C.P. Je crois que je viens du monde du journalisme culturel en Haïti. C’est ce monde-là que je connais le mieux parce que c’est ce monde-là que je lis régulièrement depuis près de deux décennies. Moi qui suis né à Petit-Goave le 25 avril 1994, je commence à lire les journaux très tôt, vers ma dizaine d’années. J’ai été un grand lecteur des journalistes comme Claude Bernard Serant, Schultz Laurent Junior, Pierre-Raymond Dumas, Emmelie Prophete, Webert Lahens, Pierre Clitande, Meres Weche, Roland Leonard, Lord Edwin Byron. J’adorais le trio Dieulermesson Petit-Frere, Mirline Pierre, Webert Charles. C’est dans ce beau monde-là qu’il faut aller chercher ma passion pour ce métier aussi. Intelligents, stylistes, virulents, ils ont chacun une qualité qui fait d’eux des hommes de métier. J’étais abonné à ces professionnels. Dans un journal, il existe d’autres rubriques avec d’autres journalistes de talent, mais pour moi un journal sans une page Culture ne vaut pas la peine d’être lu, surtout en Haïti, pays qui se définit le mieux par sa littérature et ses arts.
L.N: Vous avez côtoyé de grandes personnalités et assisté à des manifestations culturelles d’envergure, que retenez-vous de tout cela ?
C.P: C’est à travers la connaissance des arts et de la littérature haïtienne que j’arrive le mieux à aimer Haïti. Pendant ces 10 ans dans la presse écrite, j’ai rencontré beaucoup de gens, de diverses générations, qui ont aimé et aiment ce pays. Vous savez: sans L’odeur du Café de Dany Laferrière ou sans Haïti et ses peintres de Michel Philippe Lerebours, par exemple, j’aimerais moins ce pays. Dans mon métier de journaliste, j’essaie de donner le meilleur de moi à chaque fois, pas uniquement pour faire un bon usage de ma personne, mais aussi et surtout pour honorer les gens qui aiment ce pays et ceux qui l’aimeront encore et encore en 3084.
L.N: Depuis quelque temps vous signez Carl Pierrecq au lieu de Carl-Henry Pierre, pourquoi ce nom Pierrecq ?
C.P: Le nom de Pierrecq est né après la covid-19. Ce nom dit ma renaissance. Je croyais qu’on allait tous mourir pendant la covid-19. Pour marquer cette victoire, j’avais voulu changer de nom. Le « cq » dans Pierre vient de mon rapport intime avec l’œuvre littéraire de Michel Houellebecq. Mais, ce changement de nom va au-delà de cette histoire: je suis fasciné par la question de l’identité. J’aime faire l’expérience du double. Comme les peintres, j’ai ma période Carl-Henry Pierre comme celle de Carl Pierrecq. En matière de double, j’ai réussi à écrire une centaine d’articles sous le nom de Wébert Pierre-Louis pendant plusieurs années, sans qu’on sache qu’il s’agissait de moi. Il m’arrive d’être fier beaucoup plus de Wébert que de Carl ou de Carl-Henry. Je crois que l’identité comme filiation est une chose encombrante. Souvent, les pseudonymes ne sont pas une cachette, mais plutôt le dévoilement de la personne dans sa plus grande vérité.
L.N: Y’a t-il des projets qui sont nés de ces 10 années dans le métier de journalisme culturel?
C.P: Certainement. Je vous donne un exemple: je vais enfin, cette année, publier sous forme de livre mon essai de jeunesse consacré à l’écrivain Frankétienne. Un court essai qui réunit un ensemble de trois articles dont 2 étaient publiés au journal Le National.
Le National: un dernier mot?
Carl Pierrecq: J’aime bien l’idée de faire une interview pour marquer mes 10 années au service de la culture en Haïti. Pourquoi? Parce que c’est assez souvent les chanteur.se ou acteur.trice qui prennent la parole dans la presse pour marquer leur 10 ans, 20 ans ou 30 ans de carrière. Avec les artistes, dans des circonstances pareilles, la presse montre à quel point que c’est une chose géniale, que c’est un grand combat et un long cheminement. Je considère un journaliste comme un artiste à sa façon, son cheminement mérite d’être raconté, relayé. J’ai commencé dans la presse écrite à 20 ans et je viens d’avoir 30 ans. Pour moi, hier comme aujourd’hui, le journalisme culturel demeure une fête.
Propos recueillis par Schultz Laurent Junior
