Le Centre Culturel Joseph Emmanuel Charlemagne à Carrefour: Do m laj pase yon laye...

J'ai connu personnellement l’artiste et militant politique Joseph Emmanuel (Manno) Charlemagne. D'abord par les chansons du premier disque Manno et Marco qui étaient largement diffusées au cours de l’année 1980 avec le support de M. Richard Brisson  sur les ondes de Radio Haïti Inter de M. Jean-Léopold Dominique avant la fermeture brutale de cette station de radiodiffusion par la dictature duvaliériste le 28 novembre 1980. Ensuite, en mars 1986, par le biais de mon ami Jean-Roland Chéry du Lycée Toussaint Louverture qui habitait à l'époque à Côte-Plage 18, dans la ruelle Soukar, j'ai pu connaitre physiquement l'artiste qui  vivait à l'époque à Côte Plage 22,  à proximité  du  Lakou Vodou Drive,  juste après son retour d’exil. Au cours de la même année, j'ai pu assister et participer à mon niveau, à la constitution de la Koral Konbit Kalfou sous la direction de l'artiste Emmanuel Charlemagne.  La Koral Konbit Kalfou présentait alors des spectacles et concerts de textes poétiques en langue créole et de chants traditionnels revendicatifs avec accompagnement de tambours, de peaux et de guitares. A l'époque, Beethova Obas jouait la guitare d'accompagnement et Jean-Félix Benoit (Ti Janjan) la première guitare. Le grand tambourineur Hinold jouait le tambour central. Klébert Obas, Nixon Annaud,   Jean  Sergo, Julio, Jean Fanfan,  Henry Laurent, Jean-Roland Chéry (Ti Renn), Eric Chéry, Madame Champagne, les deux Margareth  et Chantal Laurent faisaient partie des Chœurs en ténor et en basse.

La Koral  Konbit Kalfou avait pu jouer en maintes régions du pays et soutenir les revendications populaires dans un contexte particulièrement difficile. C’est ainsi qu’elle a été performer  dans la commune de Jean Rabel, auprès des Groupements paysans animés alors par le R.P. Jean-Marie Vincent.  L'artiste Manno Charlemagne et la Chorale jouaient alors beaucoup pour la Fédération Nationale des Etudiants Haïtiens (FENEH). Il y a eu des prestations célèbres au Théâtre National, à la Faculté de Droit, à la Faculté de Médecine ou  encore, au Collège Jean-Price Mars et au Gymnasium Vincent de la ruelle Romain, avec des textes patriotiques dits par M. Roosevelt Millard (Lakay) et Mme Rosanne Auguste (Rosie). Lors des élections de 1990, l'artiste Manno Charlemagne avait fermement et publiquement soutenu la candidature de l’ex-prêtre de Saint Jean-Bosco,  le R. P. Jean-Bertrand Aristide à la première magistrature de l'État. Après la victoire électorale de ce dernier le 16 décembre 1990, Manno Charlemagne était devenu membre et conseiller de la nouvelle équipe gouvernementale au Ministère de l’Intérieur et de la Défense nationale. Le 26 septembre 1991, le Président haïtien Jean-Bertrand Aristide  a eu à prendre la parole à partir de la tribune des Nations-Unies, à  New York. Un discours-fleuve en plusieurs langues. Avec des images comme l’ex-prêtre de Saint Jean-Bosco en a le secret.  Un succès immense.  Pour la première fois, la langue créole fut parlée en session officielle des Nations-Unies. En plus, le Président a été chaleureusement reçu par la communauté haïtienne des États-Unis. Une visite historique. Et, au retour du Président Aristide en  Haïti, ce fut le triomphe, l’apothéose. En effet, une foule immense  accueillait le Président  à l’Aéroport international Toussaint Louverture de Maïs-Gaté.  Sur la tribune édifiée en face de la sortie de l'Aéroport, l'artiste Manno Charlemagne performait et, à l'apparition du Président, le chanteur devrait lancer pour la première fois sa fameuse et célèbre chanson depuis: Do Titid laj pase yon laye, Do m  laj pase yon laye... Du délire. Du jamais vu. Le Président Aristide devrait par la suite, au cours de la même journée, effectuer une tournée officielle à travers les rues de Port-au-Prince, spécialement  à la Saline et au Bel-Air. Encore une fois, du délire. Du jamais vu. Et puis, et puis... Le dimanche 30 septembre 1991, ce fut le Coup d'État sanglant. Manno Charlemagne, Jean-Benoît Félix (Ti-Janjan) et sa femme Margaret ainsi que tant d'autres membres de la Koral Konbit Kalfou devraient précipitamment prendre l'exil. Dure et cruelle réalité. Répression sanglante de toute forme et tentative de résistance. Une longue période de terreur et de souffrances. Radio Tropic F.M  et son Directeur, M. Guy Jean, prenaient des risques énormes pour diffuser  un bulletin de Nouvelles tandis que le célèbre animateur de musique de Radio Galaxie, M. Félix Lamy, devrait  être porté à jamais  disparu. C’était « la répression au quotidien » comme l’indique d’ailleurs le titre du livre publié sous la direction de MM. Gilles Danroc et Daniel Roussière à partir des travaux de terrain réalisés par les animateurs de la Commission Justice et Paix du diocèse des Gonaïves[1].  Quant aux populations des quartiers populaires, elles prenaient des risques sur leurs vies en écoutant Radio Enriquillo qui diffusait des émissions de nouvelles en créole sur Haïti à partir de la République dominicaine. Le Chanteur Manno Charlemagne, une année plus tard, incapable de subir davantage la souffrance existentielle de l'exil, allait essayer de rentrer en Haïti par un vol d’American Airlines. Il était arrivé à l'Aéroport international de Maïs-Gaté de Port-au-Prince. Les militaires et les « attachés » devraient au même moment le réembarquer avec violence dans le même avion pour le retour de l'artiste en exil...  Do misye twò laj pou nou... fut leur seule réponse et justification. Souffrance indicible pour le chanteur. On  connait le vers de Victor Hugo sur le caractère impie de l’exil[2].  Mais on connait aussi la suite de l’histoire. Le Président Aristide devrait revenir au pays en octobre 1994. Manno Charlemagne reviendra  au pays également. Il deviendra, au cours des nouvelles élections, Maire de la ville de Port-au-Prince[3]. C'est ce digne fils de la commune de Carrefour, avec cette voix unique et cet accord de guitare inimitable qui devrait nous laisser et partir pour l'au-delà au jour du 10 décembre 2017, au cours de la même année que son ami fidèle et de longue date depuis la période de Galerie Brochette en compagnie du fameux troubadour Achille Paris (Ti Paris). Je voudrais bien parler de son ami Boulo Valcourt, un autre grand musicien et chanteur de la musique haïtienne qui a fait les beaux jours d’Ibo Combo et du Carribean Sextet avec des performances incomparables et de haute qualité et qui s'en était parti, lui, le 17 novembre 2017.

La méringue carnavalesque  du jeune artiste musicien  Roudy Roudboy pour l’année 2018  a fait une grande part à ces deux grands artistes haïtiens dans son refrain répété par toute la population: Nou pèdi Manno, Manno Chalmay, Nou pèdi Boulo, Boulo Valkou... C'est à la mémoire de ce digne fils de Carrefour et d'Haïti tout entière, né le 14 avril 1948 et décédé  le 10 décembre  2017 à Miami qu’est dédié un centre culturel.  C'est à ce guitariste unique, à ce chanteur qui avait tant servi la cause populaire que la Municipalité de Carrefour, sous l'administration du Maire Jude-Edouard Pierre, vient de consacrer l'érection d’un centre culturel. Noble initiative que nous appuyons fermement. Un bâtiment d'une très belle facture est  en  effet érigé au quartier de Thor 12 avec plusieurs pavillons: musique, cours de danse, de peinture et une bibliothèque avec tout un programme d'animation culturelle. Une bonne initiative. Car, Manno Chalmay, durant toute la période de Koral Konbit Kalfou, donc avant son implication controversée dans la politique haïtienne exécutive, était un  grand lecteur. Sa chambre à Côte-Plage 22 regorgeait de livres. Il lisait Garcia Lorca, la poésie de Pablo Neruda, des ouvrages politiques de Lénine, d’Amilcar Cabral, d’Etienne Charlier, de Gérald Brisson, De Gérard Pierre-Charles, de Suzy Castor, de Marc Romulus,  de Jean Ziegler, de Victor Serge et d'Antonio Gramci. Il lisait avec attention les ouvrages d'André Corten sur Haïti. C'était un bon lecteur, contrairement aux apparences. Il était un grand habitué et un client de la Librairie La Pléiade alors au 83 de la Rue des Miracles. Il y achetait  des livres de la Petite Collection Maspero  et en discutait beaucoup avec l’agronome Erl Jean-Pierre alors membre de la Direction Nationale de la Fédération Nationale des Etudiants Haïtiens (FENEH). Il avait réalisé un album en langue française avec Mme Francine Chouinard. Il était obsédé par la répression et l'extermination des jeunes communistes haïtiens de 1969 par le régime de François  Duvalier.  Manno Charlemagne était aussi obsédé par le contenu du film Il pleut sur Santiago qu’il avait vu et revu je ne sais combien de fois et disait toujours qu’une répression telle que celle décrite dans le film se produirait un jour en Haïti. Le Coup d’État du 30 septembre 1991 devrait tragiquement lui donner raison. Il citait et louait toujours le courage d'une jeune femme militante comme Yanick Rigaud qui avait péri en 1969 les armes à la main à  la Ruelle Nazon[4]. De plus, l’artiste Manno Chalmay prenait un soin extrême dans l'écriture de ses textes. Parfois, il écrivait d'un seul jet. D'autre fois, il prenait plus d'une semaine et revenait constamment sur une tournure ou une expression en recherchant la tournure créole la mieux appropriée. Quand il interprétait des textes d’auteurs comme ceux de Michel-Rolf Trouillot, de Jean-Claude Martineau (Koralen), de Rosanne Auguste (Rosie),  de Beethovas Obas ou de Jean-Roland Chéry (TI-Renn), il prenait un grand soin pour se les approprier et les marquer de son cachet personnel. En plus du travail quotidien de son instrument, la guitare, Manno Chalmay écoutait beaucoup les genres de musique les plus divers. Il était un passionné d’Ibo Combo de M. Boulo Valcourt, d’Achille Paris (Ti Paris). Il écoutait Miles Davis, Antonio Carlos Jobim, Mercedes Sosa, Martha Jean-Claude, Frantz Casséus, Amos et Daniel Coulanges…Il appréciait le jeu du Maestro Webert Sicot au saxophone et ses orchestrations[5]. Il fredonnait constamment la musique du film Midnight Express d’Alan Parker. Il devrait en tirer une célèbre adaptation pour son morceau Banm yon ti Limyè. Dans l'évolution de l'écriture de la poésie d'expression créole, Manno Chalmay, occupe une place de choix. Le lecteur n'a qu'à bien prendre son temps pour bien écouter les textes des chansons Lepoukwa lekouman, Lamontay, Defile, Nwèl Lavale, Manman, Lafimen…pour s'en convaincre. D’autres textes participent de la même démarche d’harmoniser l’expression des revendications populaires avec les exigences de la forme. D'ailleurs, à l'époque, Manno Chalmay encourageait les membres de la Koral Konbit Kalfou à lire aussi des textes politiques, bref, à produire et les discussions se tenaient toute la journée,  sous le grand amandier de la Ruelle Soukar, à Côte-Plage 20, devant la maison de la famille de Jean-Roland Chéry (Ti Renn) et de Fritz Chéry,  Kay Pè Seme[6]. Le pasteur-vodouisant Mohammed Edgo Bambara[7], homme politique, compagnon de lutte du Professeur Pierre-Eustache Daniel Fignolé du Mouvement Ouvrier Paysan (MOP), intervenait parfois dans ces débats quand il revenait de son poste de  travail du Bazarde la Poste de la Grand' Rue. Bon nombre de textes de chanson de la Koral Konbit Kalfou ont été écrits sous cet amandier, de façon collective, chaque personne présente pouvant proposer une expression, un vers et Manno Chalmay, avec sa guitare en bandoulière, donnait la forme définitive du texte. Manno Chalmay avait lui-même réuni les textes de ses chansons en un recueil intitulé « Lepoukwa Lekouman » et qui était en vente à la Librairie La Pléiade alors au numéro 83 de la  rue des Miracles.  Dans ce contexte, il faut souligner l'apport de  l’artiste guitariste Beethova Obas avec ses propres compositions comme  « De vaksin de tanbou » (Plezi Mizè) ou encore « Nwèl Anmè ». A noter que « Plezi Mizè », une composition exceptionnelle, sera magistralement interprétée par la chanteuse Emeline Michel avec une superbe production en vidéo de la firme Mancuso. Beethovas Obas, pour sa part, allait remporter haut la main le concours de chansons de la American Airlines en 1988 avec une merveilleuse réalisation intitulée « Lage l » chantée par son jeune frère Emmanuel Obas. L'écrivain Frankétienne, alors ministre de la Culture au sein du Gouvernement du Professeur Leslie-François Manigat, devrait remettre personnellement le prix à l’artiste  Beethova Obas avec un discours fort remarqué et fort apprécié à l'époque[8].

Le 17 mai 2021, les responsables de la Mairie de Carrefour avaient organisé une activité de levée de fonds et de collecte d'ouvrages pour la bibliothèque de ce centre culturel Joseph Emmanuel Charlemagne. En plusieurs occasions, nous avons fréquenté les locaux. Nous avons été reçus par un personnel aimable et courtois.  Nous y avons tenu durant les vacances de Pâques un séminaire sur la Bibliothéconomie à l’intention des jeunes de Carrefour. Le  cadre  physique est attrayant. Sur la cour, nous avons admiré des représentations en couleur de la personne de M. Emmanuel Charlemagne qui font honneur aux artistes qui les avaient exécutées. Il en est de même des portraits de M. Dieudonné Cédor, de  M. Boulo Valcourt, de M. Jean-René Jérôme, de Papa Pyè, de Mme Paulette Poujol Oriol…Ces portraits ont été effectués par les artistes Frantz Crépin, Frantzdiallor et Frantz Milord, les 3F. Le Centre culturel fournit des cours de musique, de dessin, de sculpture, de danse et anime des ateliers de lecture et de théâtre. Il y a même une scène aménagée à cet effet au fond de la cour. Des jeunes y performent en fin de semaine. A l’entrée, il y a des motifs décoratifs avec le symbolisme de la guitare, instrument de l’artiste Manno Chalmay. Il y a la dernière guitare de Manno Chalmay.  Il  y en a plusieurs bustes du chanteur. Au deuxième étage, nous avons un espace de lecture et de travail intellectuel pouvant accueillir plus de vingt lecteurs et  une  bibliothèque consacrée à la mémoire de Madame Paulette Poujol Oriol, femme de lettres, féministe et fondatrice de la Ligue Féminine d’Action Sociale (LFAS) et ancienne résidente de la commune de Carrefour à Diquini. La bibliothèque est bien aérée, bien ventilée avec des baies vitrée. Il y a des tables de lecture, des ordinateurs et des ouvrages bien arrangés et classés suivant le système de la classification décimale de Melvil Dewey. La bibliothèque Paulette Poujol Oriol du Centre Culturel Emmanuel Charlemagne est administrée actuellement par trois bibliothécaires : Mme Naomie Baptiste M. Steeve Antoine et M. Bellance Léonardo. La bibliothèque a seulement deux années de fonctionnement.  Son fonds documentaire est général avec une attention spéciale pour les livres de jeunesse, les livres de fiction, les ouvrages classiques du secondaire et du premier cycle de l’Université. Cependant, cette bibliothèque manque toujours de moyens et d’ouvrages. Une première collecte d’ouvrages y avait été organisée au cours de la première semaine du mois de mai de l’année 2021. Nous invitons le public à continuer à  y  faire des dons et à soutenir cette bibliothèque. Dans l’ensemble,  il s'agit d'une bonne et pertinente  réalisation en vue de maintenir vivante la mémoire de ce Mapou de la chanson populaire haïtienne que représentait l’artiste Joseph Emmanuel Charlemagne. 

Nous estimons qu'il faut équiper convenablement le nouveau Centre culturel dans ses différentes composantes et le faire fonctionner de façon régulière au bénéfice des jeunes et de toute la population. Il faut former le personnel de la bibliothèque. Il faut  pourvoir l’entité  en ordinateurs, en connexion d’internet,  en instruments de musique, en matériel d'art plastique, de bureau. Il faut mettre sur pied un véritable programme d'animation culturelle avec des cours de vacances, de cours d'informatique,  de mathématiques, de chimie, de préparation aux examens d'État, de Préfacs, de conférences hebdomadaires, d'activités de  sensibilisation et de prévention sur les maladies infectieuses, d'ateliers sur l'économie sociale, l'entrepreneuriat, de séminaires de méthodologie pour les jeunes universitaires... Bref, tout un programme à mettre en  place à la hauteur de la vision de société du militant  que fut l'artiste Manno Chalmay. D'après les locaux que nous avons pu visiter, toutes ces activités, et tant d'autres pourraient se réaliser sans aucun problème. Ce qu'il faut, ce sont des équipements, des moyens et une bonne équipe sérieuse et compétente, un budget et des soutiens concrets des citoyens tant du pays qu’à l’étranger... La tâche est certes immense et ardue. Mais, comme a l'habitude de chanter l’artiste, compositeur  et guitariste  Manno Chalmay: Do m laj pase  yon  laye...   

 

Jérôme Paul Eddy Lacoste

Février 2024 

    Legende:  L'artiste Manno Chalmay (Internet). 

NOTES

[1] Gilles Danroc, Daniel Roussière (dir). (1995). La répression au quotidien en Haïti (1991-1994). Ed. Karthala. Paris.

2 Oh ! N’exilons personne ! Oh ! L’exil est impie ! Victor Hugo. Poème Napoléon II.

3  J’ai toujours cultivé une réserve personnelle en ce qui a trait à l’occupation des postes politiques  par nos artistes. Les liaisons sont souvent dangereuses, selon l’expression de M. Choderlos de Laclos, entre les exigences de l’art et celles de la fonction politique exécutive. Ce qui n’exclut pas un engagement  politique  citoyen de la part de l’artiste.  Ainsi, j’ai toujours pensé que Manno Chalmay ne devrait pas occuper la fonction de Maire de Port-au-Prince. D’ailleurs l’expérience  s’est révélée très controversée et l’artiste l’a reconnu  par la suite comme une erreur de sa part. Quam  quisque norit artem in hac se exerceat (Que chacun s’exerce dans le métier qu’il connait) avaient l’habitude de dire nos anciens Romains.                     

   4 Manno Chalmay est l’un des rares artistes, sinon le seul à évoquer la personnalité de Mme Defile dans son œuvre. Jodi  a m vle pale de Mamzèl Defile / Ke pwòp listwa konsidere tankou krache. Et de là, tout le cheminement et les perspectives de la lutte des femmes sont considérés tant sur le plan national qu’international. J’ai toujours pensé qu’un mémorial devrait être consacré à Mme Défile, cette grande dame qui a eu la lucidité de recueillir les restes de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines  et de lui donner une sépulture.

5 Pour l’Histoire, il faut mentionner que l’artiste Manno Chalmay avait eu des critiques à l’égard du Maestro Nemours Jean Baptiste dont il fustigeait le soutien public au régime duvaliériste dans les méringues carnavalesques du  Konpa Dirèk.

6 Son nom complet est Sémérite Chéry et le père de Jean-Roland Chéry, d’Eric et de Fritz Chéry, tous membres de la Koral Konbit Kalfou. Il était affectueusement nommé Pè Seme par les jeunes du quartier de Côte-Plage 20. M. Sémérite Chéry était alors ouvrier à la HASCO (Haytian American Sugar Company)  depuis plus d’une  quarantaine d’années. Il avait participé à la Fondation du Syndicat de la HASCO avec le Professeur Pierre-Eustache Daniel Fignolé. Lors de la réalisation de notre mémoire de licence sur l'ONA et l'OFATMA, Pè Seme a été d'un grand apport en prenant pour nous des rendez-vous avec les ouvriers les plus anciens de cette entreprise pour la réalisation des entretiens. Qu'il en soit publiquement remercié aujourd'hui. 

7Le Pasteur-Vodouisant Mohammed Edgo Bambara est un personnage qui mérite une notice. Le Pasteur Bambara  croyait fermement que les racines spirituelles haïtiennes se retrouvent dans le vodou. Il avait étudié et  prêté serment comme « Pasteur » au Ministère des Cultes. Le Pasteur Bambara habitait à Carrefour, Côte-Plage 20, à l’angle de la Ruelle Soukar ou habitait alors le jeune dramaturge et écrivain Michel Soukar. Il avait son temple et faisait des services religieux dans le cadre de la religion vodou. Des fidèles, des chercheurs nationaux et internationaux, des curieux y assistaient. C'était un lecteur passionné du Dr. Jean-Price Mars, d'Aimé Césaire, de Klébert-Georges Jacob, d'Alioune Diop, de M. Patrice Lumumba avec qui le Pasteur Bambara entretenait une fidèle correspondance et surtout de M. Cheik Anta Diop dont il admirait l'ouvrage Nations nègres et Cultures. Le Pasteur Bambara était aussi un grand homme politique. Il avait participé à la fondation du Mouvement Ouvrier Paysan (MOP) dont il était l'un des principaux dirigeants à côté du Professeur Pierre-Eustache Daniel Fignolé. Au cours de la courte présidence du Professeur Daniel Fignolé, le Pasteur Bambara occupait la fonction de Directeur de l'Institut des Assurances Sociales d'Haïti (IDASH), institution de sécurité sociale qui deviendrait plus tard l'Office des Accidents de Travail de la Maladie et de la Maternité (OFATMA) par la loi du 28 août 1967. A l'annonce du coup d'État du Général Antonio Th. Kebreau contre le Président Daniel Fignolé le 13 juin 1957, le Pasteur Bambara, comme Directeur de l'IDASH,  s'était rendu sur place, à l'Hôpital de l'Université d'État d'Haïti,  pour porter secours aux mourants et blessés par balles. Il avait été arrêté brutalement dans l'exercice même de ses fonctions et emprisonné à Fort-Dimanche par les militaires du Général Th. Kebreau. Il fut relâché près d'une année plus tard. Il reprit ses activités politiques et publia des articles dans le journal Panorama des frères Jules et Paul Blanchet. Il connaissait très bien, durant la période de la dictature, le Pasteur Sylvio C. Claude  du Parti Démocrate-Chrétien Haïtien (PDCH) dont il admirait le courage et la détermination dans la lutte contre la dictature de Duvalier. Le Pasteur Bambara publiait alors un journal qui s'appelait La Cérémonie en référence au grand rassemblement politique des esclaves à Bois Caïman dans la nuit du 14 août 1791. Le Pasteur Bambara était le détenteur  légal de la marque commerciale d'un produit  de farine lactée qu'il fabriquait  lui-même avec ses enfants à partir d'une formule alliant banane séchée, essence, cannelle et lait de vache. Il mettait le tout en sachets avec des étiquettes qu'il distribuait lui-même dans les supermarchés de la capitale. Un  produit national. Il n'envoyait pas ses enfants aux établissements formels de l'école primaire afin de mieux les enseigner lui-même « la vraie histoire d'Haïti » comme il avait l'habitude de le dire. Le Pasteur Bambara  s'insurgeait  contre la façon dont certains éléments fondamentaux de l'histoire nationale sont traités dans le Manuel d'Histoire d'Haïti de J. C. Dorsainvil et des Frères de l'Instruction Chrétienne comme par exemple le génocide des Indiens, la place des marrons et des dits « chefs de bande» dans les luttes pour l'Indépendance, l'assassinat de Dessalines, la question agraire, l'affaire Congo-Pelé, le Gouvernement de Salnave…Pour le Pasteur Bambara, Haïti représente un paradoxe extrême dans le monde entier où ce sont les vaincus d'une guerre de libération totale de plus de douze années qui écrivent et enseignent l'histoire de ce même pays et de cette même guerre aux enfants de cette même nation. Le Pasteur Bambara disait toujours qu'il ne soumettrait jamais, de son vivant, à ses propres enfants, cette « torture intellectuelle ». Il avait une méthode spéciale d'instruction. Il enseignait  lui-même chaque jour à ses enfants, au retour de son travail du Bazar la Poste et leur fit réaliser tout le cycle primaire en cinq années. Il les présenta ensuite aux examens du Certificat d'Etudes Primaires (CEP). Et ils réussissent toujours. Après, ces adolescents intègrent le cycle du secondaire et l'Université. Le Pasteur Bambara avait fermement soutenu le Professeur Leslie F. Manigat au pouvoir suprême  en Haït à partir de février 1988. Au renversement de M.  Leslie  F. Manigat par les militaires haïtiens en juin 1988, le Pasteur Bambara a eu cette unique remarque par devant témoins devant sa résidence,  à Côte-Plage 20  et que je rapporte ici pour l'Histoire dans le cadre de cet article: « Ces militaires, par ce coup d’État contre le Président Manigat, ne sauront jamais tout le mal qu'ils sont en train de faire d'abord à eux-mêmes, ensuite à l'Armée d'Haïti et, enfin, au pays tout entier ». Nous  saluons ici la mémoire du Pasteur Bambara.     

8 Dans ce discours, je me rappelle que M. Frankétienne, en paraphrasant le texte de la chanson de  M. Beethova, avait constaté que des secteurs, tant nationaux et qu’internationaux,  tiennent le pays, « yo kenbe l » comme on dit en créole. Le Ministre Frankétienne demandait en conséquence, à ces secteurs d’écouter le texte la chanson de M. Beethova Obas  et de « lâcher » leurs emprises sur le pays, bref, de « Lage l ». De nos jours encore, je ne crois pas que  la situation  ait  substantiellement changé. D’où l’actualité du texte de la chanson de M. Beethova Obas Lage l. 

[4]  Manno Chalmay est l’un des rares artistes, sinon le seul à évoquer la personnalité de Mme Defile dans son œuvre. Jodi  a m vle pale de Mamzèl Defile / Ke pwòp listwa konsidere tankou krache. Et de là, tout le cheminement et les perspectives de la lutte des femmes sont considérés tant sur le plan national qu’international. J’ai toujours pensé qu’un mémorial devrait être consacré à Mme Défile, cette grande dame qui a eu la lucidité de recueillir les restes de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines  et de lui donner une sépulture.

[5] Pour l’Histoire, il faut mentionner que l’artiste Manno Chalmay avait eu des critiques à l’égard du Maestro Nemours Jean Baptiste dont il fustigeait le soutien public au régime duvaliériste dans les méringues carnavalesques du  Konpa Dirèk.

[7] Le Pasteur-Vodouisant Mohammed Edgo Bambara est un personnage qui mérite une notice. Le Pasteur Bambara  croyait fermement que les racines spirituelles haïtiennes se retrouvent dans le vodou. Il avait étudié et  prêté serment comme « Pasteur » au Ministère des Cultes. Le Pasteur Bambara habitait à Carrefour, Côte-Plage 20, à l’angle de la Ruelle Soukar ou habitait alors le jeune dramaturge et écrivain Michel Soukar. Il avait son temple et faisait des services religieux dans le cadre de la religion vodou. Des fidèles, des chercheurs nationaux et internationaux, des curieux y assistaient. C'était un lecteur passionné du Dr. Jean-Price Mars, d'Aimé Césaire, de Klébert-Georges Jacob, d'Alioune Diop, de M. Patrice Lumumba avec qui le Pasteur Bambara entretenait une fidèle correspondance et surtout de M. Cheik Anta Diop dont il admirait l'ouvrage Nations nègres et Cultures. Le Pasteur Bambara était aussi un grand homme politique. Il avait participé à la fondation du Mouvement Ouvrier Paysan (MOP) dont il était l'un des principaux dirigeants à côté du Professeur Pierre-Eustache Daniel Fignolé. Au cours de la courte présidence du Professeur Daniel Fignolé, le Pasteur Bambara occupait la fonction de Directeur de l'Institut des Assurances Sociales d'Haïti (IDASH), institution de sécurité sociale qui deviendrait plus tard l'Office des Accidents de Travail de la Maladie et de la Maternité (OFATMA) par la loi du 28 août 1967. A l'annonce du coup d'Etat du Général Antonio Th. Kebreau contre le Président Daniel Fignolé le 13 juin 1957, le Pasteur Bambara, comme Directeur de l'IDASH,  s'était rendu sur place, à l'Hôpital de l'Université d'Etat d'Haïti,  pour porter secours aux mourants et blessés par balles. Il avait été arrêté brutalement dans l'exercice même de ses fonctions et emprisonné à Fort-Dimanche par les militaires du Général Th. Kebreau. Il fut relâché près d'une année plus tard. Il reprit ses activités politiques et publia des articles dans le journal Panorama des frères Jules et Paul Blanchet. Il connaissait très bien, durant la période de la dictature, le Pasteur Sylvio C. Claude  du Parti Démocrate-Chrétien Haïtien (PDCH) dont il admirait le courage et la détermination dans la lutte contre la dictature de Duvalier. Le Pasteur Bambara publiait alors un journal qui s'appelait La Cérémonie en référence au grand rassemblement politique des esclaves à Bois Caïman dans la nuit du 14 août 1791. Le Pasteur Bambara était le détenteur  légal de la marque commerciale d'un produit  de farine lactée qu'il fabriquait  lui-même avec ses enfants à partir d'une formule alliant banane séchée, essence, cannelle et lait de vache. Il mettait le tout en sachets avec des étiquettes qu'il distribuait lui-même dans les supermarchés de la capitale. Un  produit national. Il n'envoyait pas ses enfants aux établissements formels de l'école primaire afin de mieux les enseigner lui-même « la vraie histoire d'Haïti » comme il avait l'habitude de le dire. Le Pasteur Bambara  s'insurgeait  contre la façon dont certains éléments fondamentaux de l'histoire nationale sont traités dans le Manuel d'Histoire d'Haïti de J. C. Dorsainvil et des Frères de l'Instruction Chrétienne comme par exemple le génocide des Indiens, la place des marrons et des dits « chefs de bande» dans les luttes pour l'Indépendance, l'assassinat de Dessalines, la question agraire, l'affaire Congo-Pelé, le Gouvernement de Salnave…Pour le Pasteur Bambara, Haïti représente un paradoxe extrême dans le monde entier où ce sont les vaincus d'une guerre de libération totale de plus de douze années qui écrivent et enseignent l'histoire de ce même pays et de cette même guerre aux enfants de cette même nation. Le Pasteur Bambara disait toujours qu'il ne soumettrait jamais, de son vivant, à ses propres enfants, cette « torture intellectuelle ». Il avait une méthode spéciale d'instruction. Il enseignait  lui-même chaque jour à ses enfants, au retour de son travail du Bazar la Poste et leur fit réaliser tout le cycle primaire en cinq années. Il les présenta ensuite aux examens du Certificat d'Etudes Primaires (CEP). Et ils réussissent toujours. Après, ces adolescents intègrent le cycle du secondaire et l'Université. Le Pasteur Bambara avait fermement soutenu le Professeur Leslie F. Manigat au pouvoir suprême  en Haït à partir de février 1988. Au renversement de M.  Leslie  F. Manigat par les militaires haïtiens en juin 1988, le Pasteur Bambara a eu cette unique remarque par devant témoins devant sa résidence,  à Côte-Plage 20  et que je rapporte ici pour l'Histoire dans le cadre de cet article: « Ces militaires, par ce coup d’Etat contre le Président Manigat, ne sauront jamais tout le mal qu'ils sont en train de faire d'abord à eux-mêmes, ensuite à l'Armée d'Haïti et, enfin, au pays tout entier ». Nous  saluons ici la mémoire du Pasteur Bambara.     

[8] Dans ce discours, je me rappelle que M. Frankétienne, en paraphrasant le texte de la chanson de  M. Beethova, avait constaté que des secteurs, tant nationaux et qu’internationaux,  tiennent le pays, « yo kenbe l » comme on dit en créole. Le Ministre Frankétienne demandait en conséquence, à ces secteurs d’écouter le texte la chanson de M. Beethova Obas  et de « lâcher » leurs emprises sur le pays, bref, de « Lage l ». De nos jours encore, je ne crois pas que  la situation  ait  substantiellement changé. D’où l’actualité du texte de la chanson de M. Beethova Obas Lage l. 

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