Le «konpa dirèk», d’une musique marginale à une musique élaborée et identitaire

L’élan du « konpa dirèk » s’est amorcé dans un contexte d’absence d’une démocratisation culturelle sinon cette musique est sujette au contrôle des programmes d’animation. Aussi devrait-elle dépasser les intérêts conservateurs et les finalités de manipulation politique de l’heure. L’avènement du « Konpa dirèk » en l’année 1955 se situe entre deux moments autoritaires: la fin du règne du général Paul Eugène MAGLOIRE et la présidence A Vie du Dr Francois DUVALIER.. Plus d’un ont quafifié le « Konpa dirèk » de musique au rabais propulsée dans le cadre du régime obscurantiste des Duvalier.

 De 1860 aÌ€ 1955, la musique savante fut une tendance manifeste du point de vue culturel, en Haïti. Il survint brusquement la disparition du conservatoire national, ce qui aurait présagé une dégradation de l’éducation musicale. Aussi le retrait des écoles congréganistes dans l’éducation musicale et des fanfares était-il une réaction au projet d’endoctrinement des écoles de musique et des groupes musicaux en marche. Et, les écoles congréganistes se sont passées des prescrits du Concordat de 1860 entre l’État haïtien et le Vatican en  matière de responsabilité dans l’éducation musicale.

La marginalisation du « Konpa dirèk » était évidente en dehors de tout appui technique sur le plan institutionnel, au regard de la politique culturelle de l’Etat.Entretemps, il s’exerce une manipulation des groupes musicaux en promouvant une musique partisane  ; l’espace du carnaval était un terrain fertile aÌ€ une telle consécration.

Le « Konpa Dirèk » surgit comme l’une des expressions de la musique urbaine et étiqueté du même coup de courant importé. Car le maestro Nemours Jean Baptiste   aurait introduit un rythme qui s’écartait d’emblée de la tradition folklorique. DéjaÌ€, il se présentait une conjoncture de demande de démocratie culturelle influencée par le vaste mouvement politique et culturel antisystémique des années 1960 dans le monde. Le maestro Nemours Jean Baptiste se voulait du « konpa dirèk « un mouvement d’identité haitienne. Le Maestro, dans le titre “Nou voye ba yo” nous renvoie au souci d’une production musicale proprement haitienne aÌ€ portée compétitive et commerciale. »Konpa dirèk orijinal « était aussi un autre tube clé qui renforce ce projet. Il y avait dans la lignée de l’Ensemble Aux Calebasses, l’orchestre de Nemours JEAN BAPTISTE,le Top Konpa puis le Super Combo de Nemours JEAN BAPTISTE.

Dans le présent article, nous nous proposons d’aborder le « Konpa dirèk » d’une musique marginale aÌ€ un mouvement identitaire aÌ€ un moment où ce genre est l’objet de démarche pour une reconnaissance mondiale de la danse et la musique du (Konpa) comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. En effet, « la musique s’éxécute et en ce sens se vivifie d’éléments de la culture populaire ». Nous nous posons la question suivante : qu’est ce qui permet au « Konpa dirèk » de se construire et de s’enrichir comme musique moderne aussi bien que mouvement identitaire?Le « konpa dirèk » naissant est amputé d’un accompagnement assuré des acteurs étatiques sinon légué aÌ€ la merci de musiciens et musiciennes en dehors de l’institutionnel et confié aÌ€ des autodidactes pour la plupart.

Il existe encore d’autres sources qui l’ont alimenté aÌ€ savoir les foyers culturels issus de l’élan d’organisations communautaires, conscientes de la nécessité de satisfaire des besoins culturels et de jouir de droits sociaux et culturels. Le patrimoine que constitue les hounforts en est un autre atout. Les chorales des églises ont aussi pallié des manquements dans la dissidence de quelques uns de ses membres. Il y a lieu de distinguer l’apport de l’Ecole Ste Trinité, celui des fanfares restantes de certaines écoles privées et des  lycées, la section de musique du Centre d’Accueil Duval Duvalier et la partition de l’orchestre des Casernes Dessalines. Les autodicdactes ont eu, aÌ€ leur facon, une contribution louable au développement du « Konpa dirèk ».

En effet, il a été révélé que la musique est l’une des distractions des jeunes par rapport aux adultes et aux enfants. Par exemple, depuis les années 1950 le courant rock a marqué la scène des Etats Unis avec une expression de protestation et l’affirmation de désir sexuel provocateur. C’était aussi un élan de contestation contre la guerre de Vietnam. C’est de l’émancipation. Cette musique qui a aussi influencé le Compas fait état d’une compensation au règne de l’inadaptation et de l’infériorité des adolescents par la sensation de pouvoir qui se définit. Le mode d’écoute exprime aussi le jeu de la contestation de l’ordre. Ainsi l’intensité du volume en était un indice aÌ€ apprécier (Lutte,1991).

« La musique était un art du moment ». Ce qui relativise des découpages souvent établis, en l’occurence la musique savante du ressort des artistes et la musique populaire associée aux paysans et qui revêt un caractère spontanné voire primitif (Schaeffer et Paulme,1989). C’est ainsi que Chauvin pense que « la musique entraine dans son sillage une nécessaire signification qui prend son sens dans le sens commun, dans la reconnaissance que le groupe, la société, l’autre, vont donner aÌ€ la production artistique.

La musique comme mouvement identitaire serait ce qu’on se propose de faire ressortir avec l’essor du Mini-Jazz par de jeunes générations. L’évolution du « Konpa dirèk » sur un fond rythmique associé aÌ€ des touches de rock, de pop music et du courant Yéyé aurait défié le statu quo. On ne devait pas s’attendre au contenu contestataire et engagé des textes musicaux tel sera le cas, un peu plus tard, aÌ€ la montée des tendances de troubadour (Coumbite Créole, Trio Select), de musique Racines (Artiste indépendant, Boukman Expérience) aÌ€ la fin des années 1970 puis du RAP des années 1990 (Master Dj, Original Rap Stars).

Les groupes de Mini jazz étaient composés de deux guitaristes,d’une guitare basse, d’une batterie, d’un saxophone alto, d’un ou de deux chanteurs. L’utilisation de guitares électriques donne un son plus de rock. C’est aussi un mélange de rock, de yéyé occidental et du konpa des ainés et donnait naissance au mini-jazz correspondant au port de mini-jupe, de pantalons plaqués .Donc la mode, les coiffures unisex et la musique choquaient alors et suscitaientt des mesures de restriction et de répression dans l’habillement et la diffusion de musique qui avaient nui aux valeurs tradionnelles pronées dans le cadre du système.

Chaque coin de rue avait son groupe ce qui avait marqué le sens d’un mouvement. En effet, les nouveaux mouvements sociaux urbains s’étaient centrés autour des activités culturelles dans la présence de cercles littéraires, de groupe de théatre et l’organisation des bals de quartier, des excursions et championnats de foot ball. Il s’agissait d’une stratégie subtile de lutter contre l’Etat en investisssant dans le culturel. Les comités de quartier s’étaient échappés du controle de l’État qui avait tenté de les approcher dans le cadre de l’action communautaire. La musique avait servi de moyen d’évasion aussi bien qu’un mécanisme détourné de s’organiser subtilement. Les jeunes représentaient déja une unité générationnelle, soit une force sociale encline aÌ€ la contestation en elle-même (Lutte.1991).

La migration était un facteur important dans le dialogue entre les cultures que représente la musique. De nouveaux groupes se sont crées dans la diaspora plus particulièrement aux Etats Unis d’Amérique. Il s’agit du Tabou Combo, du Skah Shah, de l’Accolade de New York,du Volo Volo de Boston,du System Band parmi les plus importants. Des groupes évoluaient laÌ€ où des rythmes particuliers sont mieux côtés. Canada et France étaient une plate tournante pour des musiciens qui investissaient dans la ballade, le troubadour, le Jazz et la musique classique .On peut citer Amos Coulange, Guy Durosier, Eddy Prophète, Turgot Théodat,entre autres. En République dominicaine, on rencontrait Miguel Baptista, Hérold Christophe,Louis Pascal Juanitho Beaubrun ( Juanitho). Dans les Antilles,il s’agissait d’une immersion des artistes haïtiens pour la plupart Touco Bouzi du Dixie Band, Alliance Casimir (Ti Cazo) des Frères Déjean par exemple.

Tout est sujet aÌ€ l’éclectisme quand nos musiciens s’inspiraient de musiciens nord américains pour les cuivres et les violons et latino américains aux claviers (Lacoste,2011). Face aux critiques de la monotonie se dessinait un besoin de renouveau. C’était l’ère des vidéo clips et des chorégraphies qui éxigeait des effets spéciaux, costumes, coiffures associés aux sons. D’où une association inséparable des images, sons et paroles (Bien-Aimé, 2021). Les interprétations du Konpa par Johny Ventura et d’autres orchestres dominicains interprétant quelques morceaux de la musique du groupe DP Express en Haïti.Tout près de nous, en 1990, c’était le tour du bachatero Juan Luis Guerra de plagier une chanson de Nemours Jean Baptiste.Ce, pour vous montrer que la musique haitienne a eu une grande influence sur la musique antillaise et sur le merengue de la République dominicaine.

A la fin des années 1970, s’est instituée l’Ecole Nationale des Arts (ENARTS) en remplacement de l’ancien Conservatoire national qui allait donner du nouveau souffle aux activités artistiques et musicales dépourvues d’une référence institutionnelle et technique. C’était aussi la formation de l’Orchestre de la Radio Nationale(1981) qui avait animé la sphère artistique en encourageant la promotion des talents dans des concours et des activités d’animation culturelle.

La musique du « Konpa dirèk » évoluait cette fois-ci dans le cadre du diffusionisme culturel .C’est l’avènement d’une industrie musicale avec des visées consuméristes. Ce qui permet d’embrasser des courants technologiques du moment ainsi que des genres en vogue sans s’écarter du tempo du» Konpa dirèk ». Le Techno ou le hip hop en était un exemple. C’est un style qu’épousait le groupe Zèklè qui renvoyait aux musiques urbaines.

Le contenu des textes musicaux du Zèklè était contestataire et souché dans le folklore. Plusieurs de ces tubes en témoignaent dont (Pil ou fas,Vyèj mirak sodo,adye). Le fond du « Konpa dirèk » est encore présent dans ce style mêlé d’éclectisme. Plusieurs groupes ont crystalisé cet aspect qui fait la reliance entre le folklore haïtien et les rites éxotiques. Prenons l’exemple du groupe Scorpio Universel dans « N ap mande Kourja » qui a associé le rara,le tempo de disco, le rock et compas). Le DP Express dans « DP Disco » pour les touches de disco;C’est aussi le cas du Skah Shah dans « On the move » et n’en parlons pas du Tabou Combo ni du Magnum Band tout comme du Super Stars Music Machin. Il y a lieu de noter le Bossa Nova du Caribbean Sextet et le fond de Reggae du Gemini All Stars. Nous retenons pour le moment cet échantillon car la liste sera bien longue. A noter que le Maestro Nemours JEAN BAPTISTE lui-même était ouvert aÌ€ d’autres rythmes dont le cumbia dont un morceau porte le titre de « Cumbia », le Mambo, le merengue tout en se centrant sur le « Konpa dirèk ».

Le « Konpa dirèk » s’inscrit dans la culture de masse,aÌ€ l’ère du développement des mass médias en Haïti. Des émissions de promotion de musique fusaient dans les programmes de radio et de télévision notamment avec un fort engagement des médias d’État. On a constaté une place accordée aÌ€ l’éducation sur les arts et la musique dans le cadre de la radio nationale ainsi que la Télévision nationale. Nous évoquons du même coup les émissions suivant un programme régulier et systématique sur la musique classique, la musique du « Konpa dirèk »,Les rites africains,la musique nord américaine, le jazz, le vodou, le gospel.

Le zouk antillais était de la partie comme principal concurent du Konpa dirèk. Haïti Troubadour en était une rèponse pour continuer aÌ€ renforcer et promouvoir le Konpa Dirèk. Le Mizik Mizik a fait l’affaire alors suivi d’autres formations inscrites dans le World Beat (Globalisation) dans un tempo rapide et entrainant différrent du Merengue lent assimilé au « Konpa dirèk “ dont le Djakout Musik, le Nu Look, Zenglen, T vice, Carimi, Kreyol la et le groupe Zen.

Le ‘Konpa dirèk ‘se réaffirmait encore dans la conjoncture des années 1980 au cours de laquelle il ne manquait pas d’hommages au fondateur du ‘Konpa dirèk’. Le Cole Cole Band parlait de’ Konpa dirèk orijinal’ pour renforcer le rythme face aux diverses influences du moment dont le Zouk, le hip hop et d’autres nouvelles tendances. Les groupes se réclamaient du ‘Konpa dirèk ‘dans ses variantes. D’où les appellations de Konpa manba (Coupe Cloué), konpa kè kal(Bossa Combo), konpa rousi (Tropicana d’Haïti), konpa boule de feu (Orchestre Septentrional), konpa matchavèl (Systèm Band),konpa Tintin (Les Frères Déjean).

Le ‘konpa digital’ promu par Robert Martino dans le cadre du groupe musical ‘Top Vice’, une version qui s’ouvrait au hip hop, R » N ‘B et reggae avec une économie dans les lignes de cuivres, les vents et les percussions compensés par le drum machin et le synthetiser. Des groupes d’alors qui suivaient le pas étaient Carimi, D Zine. C’était la performance des nouvelles technologies introduites dans la prrestation des groupes musicaux.

Arrivait le ‘Rabòday’ qui s’introduit dans le ‘Konpa ‘car ce sont les disc joker qui donnaient de nos jours le ton dans les animations, les Ti sourit, les Atè PlaÌ€t.. Ce qui ne rabaissait pas le ‘Konpa dirèk’ en dépit de préjugés affichés aÌ€ cette tradition de musique urbaine. Les musiciens ont oeuvré aÌ€ la promotion du ‘konpa Dirèk’ autant que les femmes musiciennes peu présentes dans les débuts des Mini Jazz sinon aÌ€ l’avant garde dans le cadre de la prestation du Bossa Combo (Dionne Lamothe) puis du Caribean Sextet (Sylvie Daréus) et de Danielle Thermidor de l’orchestre de la Radio nationale (1981) .Elles se sont davantage imposées depuis lors au ‘Cole Cole Band (Evans Lespinasse),  , Zekle (Jacqueline Denis). Puis, se sont succédés les groupes Zen, ,Triomecs, Fasad, Mirak,Papash  et le groupe féminin ‘Nou Riské’ (1990), ‘Konpa O Féminin (2013), ‘Siromiel’ (2015) sur les traces du Top Girls du Cap haïtien (1970) etc.La part active des femmes musiciennes se retrouve dans la mouvance de la ‘Nouvelle génération’ du ‘konpa dirèk’.

Le ‘Konpa dirèk’ reste aÌ€ la croisée des chemins de divers courants en maintenant sa marque spécifique. Le ‘Konpa dirèk’ se définit par rapport aux principes d’identité,de changement et de totalité tout en se distinguant des autres courants et réagissant pour se sauvegarder comme mouvement identitaire.

Des groupes musicaux haïtiens ont su se rejoindre dans une musique de ‘Konpa dirèk’ identitaire inscrite dans une idiosyncrasie.

 

Hancy PIERRE, professeur aÌ€ l’Université

 

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