Le poème, entre déchirements intérieurs et le collectif: Permanence d'un débat!

Le danger qui guette la poésie consiste dans le cloisonnement / enfermement unique de celle-ci dans le territoire fragile de l'âme. Cette volonté de lier le poème au prisme du psychologique et au solitaire, à l'unique!

En effet, l'inquiétude de cette tentative résulte notamment de cette volonté de certains de relier le destin du poème à un quelconque territoire du ressenti,  c'est-à-dire, dans quelle mesure où l'artiste y a mis son cœur à nu. Libère les déchirements intérieurs de son âme.

Là, nous accusons cette folie, cette prétention de vouloir réduire, cloisonner le dire poétique. Ça sent mille fois à la ronde un romantisme crasseux, dont la moisissure révèle moins que la mort, une certaine léthargie de conception.

Cette conception est l'une des différentes acceptions admises autour du mot « poésie » dont l'étymon renvoie avant tout à une création, une excursion à travers les mots. La matière du poète demeure au vrai les mots. C'est une redondance de s'y arrêter. Toute tentative de situer le poète et son chant à travers le psychologique est une approche limitative, étriquée, grossière.

Claironner à travers les pages d'un article « la prééminence du cœur », c'est méconnaître « le poème comme le chant du refus ». Et cette drôle tentative d'y ravaler uniquement le poème au chant de l'intérieur est une attitude qui dénie au poète sa qualité d'inventeur, d'acteur solidaire, d'être comptable du sort du monde. «Poète est celui-là qui rompt pour nous l'accoutumance» énonça Saint-John Perse.

Les défenseurs de ce courant ( nldr, la poésie comme le territoire fragile de l'âme), en effet, tient leur origine de la détresse d'Orphée. Certes, tous les grands romantiques y ont passé par là. Ils ont versé à grands flots des larmes jusqu'à être pris et tourné en ridicule. Car l'excès en tout ne nuit pas uniquement mais tue. Les fameux romantiques de l'heure ont été dézingué. Leur repère larmoyant ont fini par être mis à mal par leurs successeurs parnassiens et symbolistes.

Le monde, en quête de renouveau, a voulu tenter une autre expérience. Il a cessé d'être témoin du moindre épanchement de cœur de ces hommes en mal de nouvelles expériences.

Se faire Orphée ? Mais à quels risques ? Au risque d'un discours qui finira par se lasser s'il ne se donne le divers, le collectif comme l'autre versant du travail poétique. On n'écrit pas pour chatouiller la petite femme d'à-côté qu'on aime et qu'on  ne cesse de dire je t'aime à longueur de journée ou de poèmes. Sinon écris dans ta chambre et poste-lui ton poème.

Le cœur peut-être prétexte pour monter  vers les lieux, le territoire collectif où les mots s'invitent et dénoncent le malheur des hommes. Le cœur, dans le mérite de l'autre, peut intégrer la douleur humaine dans la construction du poème. Prévert ne cuit pas de l'amour pour Barbara, dans la simplicité des mots qui chantent; c'est la guerre qui sourd, le bruit tonnant des bombes et des canons sur Brest et sur le Bateau d'Ouessant qui préoccupe l'auteur et son poème.

 

Une petite excursion chez Castera en donne la preuve par quatre. En effet, Georges Castera, dans « Biswit Leta » fait corps au destin, au mal-vivre des prolétaires. Ailleurs Castera dézingue les autorités politiques et militaires haïtiennes dans leur vœu et action stérile de l'abrutissement de la volonté populaire.

 

«  Ane sila à,

gan yon mizè malelve

ki vin chita lan lakou-a ak nou.

Li pran abitid leve

lè noumenm nou pral dòmi

pou-l anpeche nou viv. » ( Georges Castera, in  Yon mizè malelve, p.32; Gate priyè)

 

« On leta fè e defè/

sou do pèp,/

mete la rete la./

On leta zo reken /

rale trip peyi /

mete derò/

On leta k ap bay /

lavi mòbrid. » ( Castera, in Movèzeta, p.27)

 

 

 

 Franketienne dans son poème en créole haïtien « Si » rappelle au peuple des bas-quartiers, des bidonvilles, et des milieux urbains et péri-urbains la nécessité de la concorde, de l'unité pour mettre à mort la « discorde aux cents voix. »

 

 

«  Si nou pa tande menm son

menm kout tanbou menm mizik

Nou paka danse menm jan...

 

Depi nou kontinye mache gaye

Ak vye jès depaman

lan rapousuiv lonbray lafimen

Nou pa pral okenn kote »

 

( Franketienne, in Vwa marassa, paj 101-106)

 

 

Plus loin:

 

«  Gad ale leta/

Ou pata di /on kabwèt twa wou/

sou tèt mòn ki pèdi fren/

K ap fè moun reve novanm »

 

( Nyaj dènye sezon) de J.S. Jean-Simon

 

Ou :

« Listwa DKW ki disparèt yon kantite jènn gason sou rejim Papa Dòk ak pitit li. Listwa bri zam dènye koudeta ki te toufe pouvwa lepèp nan kouti. Fè demokrasi fè avòtman.

 

Mèt Minwi k derefize mache lannwit, pou vòlò pa bwote l...

 

Peyi isit, an verite, chak lari gen istwa pa l. »

 

 (in Pòs Machan,  Bwadchenn ak twa lòt kont”, Edisyon Freda, 2019)

 

Souligne la permanence du dire poétique comme urgence. Trace l'urgence du poème de cesser tout ronronnement stérile, afin qu'il soit solidarité, partage, révolte, dénonciation, espérance, témoignage, don de soi, etc.

Affirmer que le poème ne peut que s'accrocher  à l'épanchement lyrique, à l'auscultation des parois internes enflés d'une intimité primaire, c'est méconnaître le travail du poète, dont la mission n'est guère se cloîtrer dans l'auto-glorification, dans l'auto-satisfaction, et l'exaltation d'un « chant auto-dévorant» mais dans le devoir de jactance vers l'autre, de dire le monde comme urgence.

 

 

James Stanley Jean-Simon

jeansimonjames@gmail.com

 

Notes:

 

Castera, Georges , in  Yon mizè malelve, p.32; Gate priyè, 1990

 

Franketienne, in Vwa marassa, paj 101-106

 

Jean-Simon, James S.: Nyaj dènye sezon, 2016, Éditions Pulucia

 

Idem, Bwadchenn ak twa lòt kont, Edisyon Freda, 2019

 

Pierre, Claude: Antoloji Kreyòl Pwezi d Ayiti, Éditions CIDIHCA, ÉDITIONS Pleine Page, 2000

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