Faire le pari de l’économie orange en Haïti

De nos jours, beaucoup de pays misent sur leur développement endogène dans un contexte où les financements internationaux tendent à la baisse. Dans une telle perspective, l’économie créative également appelée économie orange pourrait jouer un rôle fondamental dans la mise en œuvre de toute politique de développement basée sur la croissance endogène. Alors que beaucoup de pays de l’Amérique latine et des Caraïbes sont déjà rentrés à fond dans l’économie orange, Haïti semble sur le point de rater le train. Dans le cadre de cet article, on va tâcher de faire un état des lieux de la situation en Haïti.

La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement avait déclaré l’année 2022 comme l’année internationale de l’économie créative au service du développement durable. Dans un document intitulé : « Perspective de l’économie créative (2022),  ils ont proposé diverses définitions pour l’économie créative.   Si la créativité repose sur l’interaction entre la créativité humaine, les idées, la propriété intellectuelle, le savoir et la technologie, l’économie créative englobe tous les secteurs articulés autour d’activités créatives. Selon eux, l’économie créative est étroitement liée à l’économie du savoir qui favorise grandement la croissance endogène en stimulant les investissements dans le capital humain.

«Les définitions varient fortement d’un pays et d’une organisation internationale à l’autre. Ainsi, pour la Banque interaméricaine de développement (BID), l’économie créative (ou « économie orange ») regroupe les activités consistant à transformer des idées en biens et services culturels et créatifs dont la valeur est protégée par des droits de propriété intellectuelle ou pourrait l’être». L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) met l’accent, pour sa part, sur les dimensions sociale et économique de la culture, qu’elle définit en utilisant les notions de « domaines culturels et périphériques » et de « cycle culturel » .  L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), de son côté, met en avant l’importance du droit d’auteur et classe les secteurs en fonction de la mesure dans laquelle leurs acteurs sont tributaires de ce droit .

Pour  la CNUCED, les secteurs de la création renvoient à des cycles de création, de production et de distribution de biens et de services dont la créativité et le capital intellectuel sont les principaux intrants. Ils englobent un ensemble d’activités fondées sur le savoir, lesquelles consistent à produire des biens matériels et des services intellectuels ou artistiques immatériels qui ont une teneur créative et une valeur économique, et sont destinés à être commercialisés. «L’économie créative peut être un vecteur de croissance viable pour tous les pays et en particulier pour les pays en développement. Davantage de données et de politiques innovantes et multidisciplinaires sont toutefois nécessaires pour accroître sa contribution au développement», précisent les spécialistes.

 

 Quid de la situation en Haïti ?

Pour regarder de plus près la réalité de l’économie orange en Haïti, le National s’est entretenu avec un fin connaisseur de l’art et passionné de l’économie créative. «

Regroupant la somme des industries de l’art et du patrimoine (arts visuels, de la scène, tourisme culturel, éducation artistique), des industries culturelles (éditions, audiovisuels, services d’information) et des nouveaux médias (digital et logiciel, design, publicité), l’économie orange en Haïti nécessite une attention particulière si on tient compte de la valeur ajoutée apportée dans l’économie nationale par ses activités», a précisé d’entrée de jeu monsieur Wolff Dubic, galeriste et conservateur d’art.

De nos jours, un peu partout, dans le monde, les acteurs du secteur culturel transforment leurs idées et les produits de leur imagination en vecteurs économiques. L’apparition de l’économie créative est l’un des secteurs qui connaissent une des croissances les plus rapides dans beaucoup de pays. Elle est une ressource durable, renouvelable et illimitée. La créativité est considérée comme l’industrie du futur, nous a dit Me Wolff Dubic, précisant que les acteurs haïtiens de ce secteur doivent continuer et peuvent espérer beaucoup, si l'on tient compte de la contribution de l’économie créative dans l’économie mondiale. Le secteur de la culture emploie 30 millions de personnes dans le monde et génère 2,250 milliards dollars américains, soit 3 % du PIB mondial, en 2021, selon l’UNESCO.

Alors que le secteur est en nette expansion dans la région, beaucoup de travaux doivent être entrepris en Haïti pour se  mettre au diapason, selon ce que nous a confié l’Ambassadeur Wolff Dubic. «Haïti fait face à un ensemble de problèmes qui ne permettent pas aux citoyens de jouir d’un bien-être facilitant un niveau d’amélioration de sa vie quotidienne. La création de richesses, la production et même la commercialisation sont des éléments qui doivent faire partie des réflexions de chaque acteur dans sa sphère. Et compte tenu de ces difficultés, la promotion d’un autre modèle de développement économique basé sur la construction de politiques publiques contribuera d’une part, à aider le patrimoine historique et culturel et d’autre part supporter le développement économique en passant par la diversification des sources de revenus», a-t-il fait savoir.

Contrairement à Haïti, dit-il, d’autres pays de l’Amérique latine et de la Caraïbe ont déjà pris le train de l’économie orange en organisant les différents secteurs associés à ce modèle économique qu’est l’industrie créative. C’est le cas de la Colombie et celui de notre voisin, la République dominicaine. Ils valorisent les principaux atouts dont ils disposent et qui enrichissent leur tissu socioculturel. Haïti, terre d’histoires et de créativités culturelles possède tout ce qu’il lui faudrait pour concurrencer ces pays, a poursuivi M.  Dubic qui appelle les acteurs à mieux organiser ledit secteur. 

Car, son avis, la politique d’économie orange doit être formulée en plaçant la culture et la créativité au centre. La transformation de cette société, renchérit-il, doit passer d’abord par ce qu’elle possède maintenant et ensuite par ce qu’elle entend rechercher. Les artistes, les artisans, les créateurs, les gestionnaires culturels, designers, inventeurs, auteurs et autres personnes qui fondent leur métier et leur travail sur la créativité, le patrimoine et les arts doivent être au cœur de cette politique.

 

Économie créative et cadre légal en Haïti

Comme c’est le cas pour d’autres secteurs, l’arsenal juridico-légal haïtien mérite d’être adapté à la nouvelle réalité. En plein 21e siècle, Haïti ne dispose toujours pas de loi sur les activités du monde digital. Une situation susceptible de limiter les transactions.

 «En Haïti, plusieurs institutions et professionnels exercent dans l’industrie créative, les notaires, les avocats, le ministère du Commerce, l’Administration fiscale, le ministère de la Culture dans toutes ses composantes (BHDA, Bibliothèque Nationale d’Haïti, Les Presses nationales d’Haïti …). Cependant, il faut admettre que le panorama juridique de ce secteur est pauvre. La protection des droits et intérêts des acteurs n’est pas assurée», dit-il.

Alors que l’économie orange entend promouvoir une politique de bénéfices et de facilités de financement pour les producteurs créatifs, culturels et des créateurs d’entreprises,  l’État doit toutefois, selon l’homme de loi, adopter des règles pour donner plus de force à son développement.

 

Économie orange,  monnaie électronique ( bitcoin) et NFT

Si le bitcoin est considéré comme la réponse numérique à la monnaie, les NFT (Non-fungible token / Jetons non fongibles ) sont présentés comme la réponse numérique aux objets de collection. En économie, un actif fongible est quelque chose dont les unités peuvent être facilement échangées comme l’argent. Vous pouvez avoir un billet 1000 gourdes contre deux billets de 500 gourdes et il aura la même valeur. Par contre, si un bien est non fongible, c’est impossible. Les propriétés de ce bien sont uniques. Ce bien ne peut pas être échangé contre un autre bien.

Les NFT arrivent à un moment où le monde se digitalise. Les biens et les services appartenant aux industries créatives, à l’économie orange, ne peuvent s’y échapper. Les exemples sont nombreux concernant des biens de collection qui sont acquis par le biais des NFT. L’exemple le plus remarquable est celui de la Joconde du maitre Leonard de Vinci. Ce tableau considéré comme le plus populaire du monde a été, par ElmonX, l’objet de deux éditions officielles sous forme de jetons non fongibles. La collection est sortie sur le thème « La Joconde ‘’ et a pour nom ‘’ Mona Lisa NFT Collection. »

L’arrivée des NFT dans l’économie orange, les industries créatives, est considérée comme le levier qui bascule la culture et les créations dans le monde virtuel ou digitalisé. Elles sont nombreuses les institutions, entreprises qui évoluent dans le monde virtuel d’œuvres d’art, culturelles et historiques comme c’est le cas de Dubicart Gallery. L’écosystème NFT et le web 3.0 sont les outils auxquels les acteurs des industries culturelles (éditions, audiovisuels, services d’information) et des nouveaux médias (digital et logiciel, design, publicité) doivent se familiariser.

 

Noclès Débréus

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