Haïti: les rendez-vous manqués en 2023, des leçons à tirer pour 2024 !

Douze mois se sont écoulés, et ne reviendront jamais. L'année 2023 s'achève avec ses lots de passifs et actifs, dans la vie de chaque individu, en particulier les survivants qui composent les familles, fréquentent les institutions et qui participent dans le renouvellement des générations. En dehors des réalisations, des contributions et des participations sur le plan individuel et collectif, on ne manquera pas de souligner les nombreux rendez-vous manqués durant l'année 2023. À défaut de nous inscrire dans la liste des abonnés aux regrets, ces rendez-vous manqués devraient nous fournir des leçons afin de profiter pleinement des avantages et opportunités qui nous attendent en 2024.

Dix ans plus tôt, en janvier 2013, à l’initiative de l’entrepreneur Harry Nicolas dit “Meèt Fèy Vèt”, le pays allait se réveiller dans la grande fièvre qui accompagnait le plus célèbre des troncs d’arbres dans l’histoire d'Haïti qui portait le nom de “Kita Nago”.  Six ans après cette grande marche nationale réalisée autour de ce nouveau symbole qui visait à rapprocher les Haïtiens dans un exercice d'unité et de solidarité, le célèbre tronc d’arbre baptisé “Kita Nago” a été incendié dans la soirée du 10 au 11 juillet 2019, par des individus non identifiés,  qui ont mis le feu au tronc d’arbre le plus célèbre du pays,  qui se reposait dans la vie de Ouanaminthe (Nord’Est d’Haïti), cette même ville frontalière, à la fois mythique et historique, comme pour réparer ce tort, qui vient de créer dix ans plus tard un nouvel élan de solidarité nationale autour de la construction du canal. Que réservera l’avenir lors des prochaines commémorations en 2033 ?

 

Dans la liste des rendez-vous manqués par la société haïtienne devenue de plus en plus amnésique ou incapable de créer les conditions minimales pour célébrer et commémorer les grandes dates dans l’histoire d’Haïti, à travers les différents secteurs et domaines politiques, économiques, socioculturels, environnementaux entre autres, on pourrait remonter vingt ans plus tôt, à l’année 2003. En effet, il y a de cela vingt ans, depuis que plusieurs grands chantiers culturels allaient sortir des idées et des plans de l’administration de l'époque, qui se mobilisent par tous les moyens pour préparer la commémoration du bicentenaire d’Haïti dans les mois qui suivaient. 2003-2023, Haïti a raté l’occasion de finaliser la construction de la Tour 2004. Les collections des œuvres d’art qui ornent le musée national de la Restitution ont disparu, en dehors des nombreuses constructions de villages, de constructions de logements sociaux, et des places publiques qui sont détruites et délaissées. 

Durant l'année 2003, qui remonte à vingt ans de cela en 2023, ils sont nombreux les faits marquants qu’on aurait pu commémorer, célébrer ou tout simplement les utiliser à des fins d'éducation et de conscientisation des masses populaires et des jeunes en particulier, dans le pays, et issus en général dans les quartiers vulnérables. En 2003, on se souviendra que plusieurs chefs puissants, qui dirigeaient  plusieurs groupes armés puissants et proches du pouvoir ont été  morts et assassinés. Parmi eux figuraient Ronald Camille (Ronald Cadavre), Amiot Métayer (Cubain), et Felix Bien-Aimé (Fefe), et plusieurs autres. Dans quel sens ces rappels historiques auraient-ils pu servir en 2023, à sensibiliser les jeunes et les acteurs sociopolitiques impliqués dans la militance et dans les groupes armés ?  Comment le rappel d’une série de faits marquants en 2003 aurait-il pu responsabiliser la génération actuelle sur le cycle de violence qui accompagne toujours les années qui se terminent par 3, comme 1983, 1993, 2003, 2013 et 2023 à la veille des années commémorant l'indépendance nationale d'Haïti ?

 

Des faits majeurs qui remontent en 1993, il y a  trente ans de cela, Haïti a raté l’occasion de commémorer plusieurs événements majeurs, en particulier des drames survenus en 1993, qui sont passés dans l’oubli, le silence et l’indifférence. L’assassinat d’Antoine Ismery le 11 septembre 1993, et de Me Guy Malary le 14 octobre 1993, sont parmi ces dates que le pays n’a pas su utiliser pour honorer la mémoire des victimes trente ans plus tard en 2023. Comment ne pas se rappeler le trentième  anniversaire de  la mort de l’un des Américains les plus solidaires et sincères à Haïti, l'athlète Arthur Ashe. Ce dernier a été arrêté le 10 septembre 1992, devant la Maison-Blanche, pendant qu’il  manifestait en faveur des droits des réfugiés et migrants haïtiens, qui ne bénéficient pas des mêmes droits que les autres réfugiés de la région. Dommage que les familles d’origine haïtienne qui vivent aux États-Unis, qui, tout en se mobilisant par tous les moyens pour inviter leurs proches en Haïti,  les rejoignent en 2023, ne se souviennent pas des grands mouvements qui ont accompagné l'intégration de la diaspora haïtienne en 1993.

 

Dumarsais Estimé, le plus célèbre et progressiste,  parmi les anciens chefs d’État haïtien est  mort le 20 juillet 1953. Cette date ramène en 2023, le 70e anniversaire de la disparition de celui qui a remis Haïti sur la carte du monde, des industries touristiques et culturelles, à travers les chantiers de l’exposition universelle et l'aménagement d' infrastructures du bicentenaire de la ville de Port-au-Prince, désormais détruites, dénaturées, délabrées. Malheureusement 70 ans après, le pays n’a pas su lui rendre un hommage bien mérité pour ses contributions dans l'histoire et le développement national, même si une bonne partie de son héritage est parti sous les décombres et les violences urbaines. Comment retrouver,  ou à défaut, réinventer en Haïti la moule politique qui a permis de créer le modèle d’engagement politique, de vision pragmatique et de leadership collectif qui incarnait le personnage de l’ancien président dont le  nom symbolise des moments phares et de gloire dans l’histoire d'Haïti ?

Durant cette année 2023, a été consacrée à l'Année du Patrimoine par le ministère de la Culture et de la Communication, les bonnes intentions qui animent les discours malheureusement se sont heurtées à l'aggravation des nombreuses crises qui continuent d’affaiblir les institutions et de contraindre de nombreuses familles, des professionnels et des jeunes à fuir de nombreuses villes et à migrer vers d’autres pays. L'année 2023 en somme se termine avec un lot de rendez-vous manqués tant sur le plan politique, économique, historique, social et surtout culturel. Les 25 ans de la mort d’Ansy Dérose (17 janvier) et Coupe Cloue (29 janvier) sont passés presque dans l’oubli.

 

Des rendez-vous manqués pour célébrer le centenaire de la fondation de Racing Club de Football, et de la naissance de plusieurs personnalités culturelles et historiques. On se souviendra de la naissance de l’artiste peintre Préfète Duffaut (1er janvier 1923-2023), de la naissance de l’historien Roger Gaillard (10 avril 1923-2023), de  la naissance de l'écrivain Fernand Hibbert (3 octobre 1923-2023), de l’anniversaire de naissance de l’artiste peintre Castera Bazile (7 octobre 1923-203), du décès du président Antoine Simon (10 octobre 1923-2023), de la naissance du comédien Lucien Lemoine (19 décembre 1923-2023), de la naissance du peintre Raoul Viard (23 décembre 1923-2023), de la naissance du musicien Enst “Nono” Lamy (28 décembre 1923-2023).  Et sans oublier le centenaire de la fondation de la Société haïtienne d’Histoire, de Géographie et de Géologie, qui a été créée le 8 décembre 1923.  

Des rendez-vous manqués parmi d'autres,  qui doivent à la fois nous interpeller, mais surtout nous inviter à ne pas laisser tomber dans l’oubli, ces souvenirs, ces faits marquants, ces dates historiques, culturelles et symboliques qui doivent participer à l'éveil de l’intelligence collective en Haïti. Et si on consacrait 2024 à l'année de l'intelligence collective ? L'année du bien commun ? L'année de l'engagement social ? L'année de la Responsabilité sociale partagée?  

 

Bonne année 2024

 

Dominique Domerçant

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