La Drill Music et l’insécurité en Haïti

Les débats quelquefois houleux sur l’accusation de la Drill Music comme facteur causal de la montée de la violence et de l’insécurité en Haïti ne cessent pas de faire couler de salives depuis un bout de temps. Cet article vise une petite démarcation d’un ensemble de discours aussi sérieux (pas tout le temps) que faciles sur le rapport de la Drill Music et l’insécurité, en essayant d’explorer la compréhension de la violence et les propos des artistes de la Drill en Haïti. Des préjugés (sans doute) infondés qui nous font croire que ce sous-genre du hip-hop constitue un instrument important de l’incitation à la violence dans le pays.

Dans toute société  l’artiste fait face, quelques fois, à une certaine urgence créative. Ce qui sous-entend que toute création ne reflète pas toujours la réalité que vit une société. Disons, ces sons en quelque sorte incitent-ils à la violence ?  Mais chez les drillers en Haïti, comparativement à ceux des États-Unis ou de l’Angleterre (UK Drill), c’est la fiction qu’on fait. La Drill haïtienne (disons-le ainsi) ne partage pas assez un rapprochement à l’insécurité qui sévit dans le pays, -c’est plutôt une affaire politique (on le sait déjà, c’est un secret de Polichinelle - puisqu’aucun driller n’a commis des fusillades comparativement aux autres. Au contraire, on a une sorte de drill mineure et bluffeuse dans la mesure où aucun de ceux qui sont des drillers ne sont pas généralement des tueurs, des kidnappeurs. Au contraire, avec la « drill music » ils dénoncent l’insécurité, demande des comptes à l’État. « Bereta n ki lalwa Leta anreta (Masakrifis, Jamal Joker) », avec cette phrase le driller soulève le problème de l’absence des autorités de la justice en Haïti et aussi l’accès facile des gens à être en possession d’ armes illégales.

Pour bien saisir la question de la violence et du crime dans la Drill Music. Urgent est de se pencher vers l’étymologie du mot "Drill”. Issu de l’anglais britannique, c’est un outil qui, en tournant, lime ou c’est l’objet avec lequel il est en contact. Imaginons quelqu’un qui est en contact avec un autre, soit avec un couteau ou une arme (à feu). Ce, traduit l’idée de la perforation de l’individu, qui se fait le plus souvent par un couteau (on doit se référer au scandale juridique de la justice britannique) qui a eu lieu en Angleterre, dû à l’hécatombe des jeunes poignardés dans les rues de la Ville de Londres.

 

De la Drill Music pour décrire la réalité criminelle en Haïti.

Les artistes sont les témoins de la réalité. Petite règle qu’ils n’en dérogent: entre la création et le réel, il n’y a qu’un petit pas. Dans certains morceaux, les drillers se montrent eux-mêmes victimes de la terreur des gangs armés jusqu’à confier leur peur bleue, et enseignant implicitement la prudence aux autres, « Apa w al lavi l ou bezwen mache ak trip nan mennen w ». Cette parole aussi touchante et captivante, à sa grande explicative, par l’effet de la vulnérabilité de l’habitant face à la terreur des gangs où certains lieux sont devenus zones de non-droits, territoires perdus ou encore vallées de l’ombre et de la mort.  Ils parlent des gangs qui enrayent la bonne marche de la société par la violence sur tous les angles. "Yo vyole manman m yo tire l m rete saj men m konnen revanj lan ap pi mal (Bourik The Latalay, in Midi Tapan", cette dernière décrit le viol que perpétue les gangs sur les hommes et les femmes de tous âges, dans le sillage des massacres puisqu’il y là, question de maison incendiée. La vengeance soulevée, ici, nous parle de la non-présence de l’autorité judiciaire compétente pour établir l’harmonie entre les individus et la justice non rendue des victimes dans les localités urbaines.  Plus loin, dans un autre tube en collaboration  à d’autres figures de proue de la Drill Music, le jeune Bad dans le refrain nous dit "Pòtoprens kapital London, isi n peri nan gang". Les gangs n’écument-ils pas vraiment tous les quartiers  de la capitale ? Cette similitude métaphorique que l’artiste vient d’établir traduit tout simplement la situation criminelle que vit Port-au-Prince et qui pourrait ressembler à celle de la ville de Londres là où la Drill Music a fait son plus grand essor en matière de crimes. Plus dans un morceau de Jiji 4.45 titré « Lang**t » en featuring avec Poutine 4.45, les deux jeunes artistes se montrent très concernés face à la terreur des gangs qui ont contraint les gens à quitter leur maison dans différentes zones de la région métropolitaine d’Haïti. « Si w wè l do toutouni pye atè mouchwa nan kou konnen l gen set zonbi sou li », torses nus, pieds nus, mouchoirs enroulés dans le cou ou quelques fois dans le bras, ainsi les bandits s’affrontent, ce que nous décrit l’artiste. Ils prouvent qu’ils ne sont guère des acteurs à légitimer et normaliser la violence. Au contraire, ils vivent l’insécurité sur toutes ses formes comme tout le monde. « Men Kafou Fèy ap pran dife zafè kabrit pa zafè mouton yo just kouche y ap ri », toujours dans le même son,  cet extrait se veut un appel d’urgence auprès des autorités établies. Une dimension engagée, éclose à deux doigts d’ ici.

Ceux qui font de la drill sont bien des jeunes victimes de l’insécurité. Ils chantent le crime. Ils viennent du ghetto, ils mettent en musique la réalité. C’est la réalité confrontée à la création. Ils disent la violence. Ils ne défont rien, venant du milieu urbain, un lieu très réputé pour des scènes de violence (assassinat, vol, viol, kidnapping, carnage, massacre...). Ceci n’implique pas nécessairement cela. Mais peut-on totalement attribuer toutes ces violences qui enveloppent la ville  aux courts morceaux de drill. C’est plutôt prendre une position défensive qui protège certains politiques de leurs rapports avec les gangs.  Mais, il faut reconnaître que l’insécurité demeure une affaire politique. Dont les origines remontent dans la fructueuse promiscuité et la collusion entretenue entre  l’État et les gangs. De là, l’influence de la drill music paraît néanmoins moins majeure.

Petit parallèle : avant l’irruption de la Drill dans le social, il y avait le gangsta Rap (Si l’on prend quelques sons du groupe S.A.L, DRZ..). Ce dernier n’est pas du tout loin de Drill Music sinon de petits changements de leur "type beat" et les propos. Étonnant est de voir beaucoup de gens accuse les morceaux de la Drill en tant que seuls moteurs de l’insécurité qui font marcher la routine de la violence en Haïti (n’est-ce pas un petit prétexte de ne dire la vraie cause?).

Par ailleurs, il existe un étroit rapport psychologique entre les artistes et ceux qui les écoutent, parce que l’art possède cette puissance transformatrice. Toute tendance influence, mais dicter l’artiste vient à lui enlever sa liberté créatrice.  La musique est un fait de conscience collective (Lionel Landry, la sensibilité musicale). Elle est aussi, une sorte de prophétie,  d’anticipation toujours en prenant en compte la réalité, un constat réalisé en raison de certains faits, ce que font le plus souvent les drillers. Toutefois, si certains se forgent une destinée d’incitateurs en puissance à la violence ou d’incendiaires en miniature (inconsciemment), mais ceci ne peut pas être un facteur causal de l’insécurité en Haïti qui existe dans le corps "social-historique" même du pays.

 

Kerby Vilma

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