Haïti pourra-t-il vacciner sa population contre le Covid-19 ?

Introduction

Il est un fait notoire que les espoirs du monde entier sont à l’heure actuelle concentrés sur la vaccination pour s’en sortir de la crise sanitaire posée par les méfaits de la pandémie du Covid-19, qui a déjà contaminé près de 85 millions de personnes et causé 1 839 622 décès. Depuis la troisième semaine de décembre, a été ouverte la première campagne vaccinale aux États-Unis qui sont le pays le plus touché avec 20 464 766 cas et 350 329 décès. On sait que depuis le début de la pandémie de nombreux pays se sont activés pour la mise au point d’un vaccin salvateur, les essais de traitements par voie médicamenteuse s’étant révélés décevants. Aussi, les vaccins constituent la seule lueur d’espoir pour freiner la maladie et réduire le nombre de décès, d’autant que la deuxième vague de la maladie s’est avérée plus sévère que la première. Bien que, à l’exception de Cuba et de l’Iran, les pays du Tiers-monde n’aient pas participé aux recherches sur la production des vaccins et ne disposent pas de moyens financiers pour s’en procurer, des promesses leur ont été faites par les grands organismes internationaux pour qu’ils puissent lancer leur propre campagne de vaccination. Mais le problème qui se posera sera de savoir comment des États comme Haïti dont on connait l’indigence en termes d’infrastructures sanitaires pourront effectivement s’organiser pour mener une campagne de vaccination massive.

L’objet de cet article est de répondre à deux questions majeures. Quel vaccin contre le Covid-19 pour Haïti ? Haïti pourra-t-il atteindre l’immunité collective avec une campagne de vaccination contre la pandémie ?

1. Un pays qui a toujours des difficultés de mener jusqu’au bout une campagne de vaccination.

La première crainte que l’on peut exprimer porte sur la possibilité pour Haïti de réussir une campagne de vaccination efficace contre le Covid-19, et ce pour plusieurs raisons.

1.1 Les facteurs classiques de blocage des campagnes de vaccination en Haïti.

S’il faut en croire les déclarations de l’actuel directeur général du ministère de la Santé publique, Lauré Adrien, le pays n’a jamais mené jusqu’au bout une campagne vaccinale. En effet, selon Le Nouvelliste du 23 avril 2018, Lauré Adrien avait déploré lors du lancement de la Semaine de la vaccination des Amériques, qui se déroulait du 23 au 30 avril, le fait que « Haïti est ce pays de la région de l’Amérique et de la Caraïbe qui a la couverture vaccinale la plus faible pendant que nous sommes le pays qui a réalisé le plus de campagnes de vaccination et qu’après tant de campagnes, nous aurions dû avoir une couverture vaccinale un peu plus viable ».

Il avait alors ajouté ceci : «Nous sommes conscients de l’inefficacité du programme de vaccination. Ce qu’il nous faut, c’est maintenant s'attaquer aux problèmes. C’est de savoir pourquoi dans un centre, des enfants ne peuvent pas trouver des gens pour les vacciner quand ils viennent, même quand le vaccin est disponible». D’où « la raison pour laquelle la décision a été prise de constituer ce groupe de travail en vue d’identifier de nouvelles stratégies afin d’aborder la question de la vaccination autrement ». Enfin, il avait ajouté une couche en disant que « ce n’est pas normal que nous ayons la couverture vaccinale la plus faible des Amériques. Soit que la stratégie mise en place ne soit pas ce qu’il faut, soit que nous ne jouions pas toute notre partition (sic)».

Edrid Saint-Juste, l’auteur de l’article qui avait rapporté les propos de Lauré Adrien, avait souligné qu’en Haïti, un nourrisson sur cinq n’a pas obtenu les vaccins de base et que depuis 2012, on assiste à une baisse de la couverture vaccinale, le nombre d’enfants complètement vaccinés ayant diminué de 4,2 %, passant de 45 % à 41 %. Parallèlement, le nombre d’enfants qui n’ont reçu aucun vaccin avait augmenté de 2, 8 %.

De son côté, Marc Vincent, le représentant-résident de l’Unicef d’alors, avait avoué lors du même évènement que « 42 % des enfants non vaccinés vivaient dans cinq communes et deux départements du pays : Gonaïves, Saint-Marc, Cité-Soleil, Carrefour, Port-au-Prince » et que « les enfants les plus vulnérables, les plus pauvres qui ont le plus besoin de ces vaccins continuent d’être les moins susceptibles de les obtenir »

Il a été aussi fait mention lors de la Semaine de vaccination des Amériques que, selon une étude américaine, « si Haïti pouvait atteindre un taux de couverture vaccinale de 90 %, elle sauverait 16 000 vies et réduirait une partie de pression sur le système de santé et que le taux de vaccination trop faible compromet les progrès accomplis et les résultats attendus.

Une autre raison, qui est toujours d’actualité est « Ie problème d’accès géographique très limité par rapport au service de vaccination, un problème de complétude qui entrave le suivi régulier des activités, un problème de ressources humaines et financières », avait alors détaillé la directrice de l’Unité de coordination nationale du programme de vaccination, le docteur Paule-Andrée Louis-Byron.

1.2 Les autres facteurs de blocage des campagnes de vaccination

Il faut souligner quelques grands facteurs géographiques.

D’abord, le caractère très montagneux du pays où les montagnes constituent près de 75 % de la superficie du pays. Ce qui rend l’accès difficile d’autant que cette topographie n’a jamais été contrecarrée par le développement d’un réseau routier desservant une bonne partie du pays. Même la plupart des routes dites nationales se trouvent dans un piteux état et il faut encore en plusieurs zones du territoire des heures pour parcourir une centaine de kilomètres tandis qu’on ne dispose pas d’assez de ponts.

On sait aussi, depuis plus d’une vingtaine d’années, de nombreuses parties du pays en proie à l’insécurité générée par le banditisme ont rendu impossible l’accès de plusieurs localités ou régions à tous les types de services. Comment pénétrer dans des lieux dits de non-droit pour pouvoir vacciner les populations comme Cité Soleil, Cité de Dieu, Bel Air, Grand-Ravine, Carrefour et Martissant dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince ou Savien dans le département de l’Artibonite ou même Canaan ? Quand on sait que même les ambulances font partie de l’objet de saisies brutales par les groupes armés qui peuvent surgir en n’importe quel point à tout moment. Ajouter à cela que la situation est la même dans de nombreux bidonvilles dans plusieurs autres départements géographiques.

Enfin, il faut ajouter un autre facteur géographique particulier au pays : la faible couverture du réseau électrique qui ne dessert de manière irrégulière qu’un peu plus du tiers de la population. En conséquence, les Haïtiens ne pourront pas matériellement bénéficier des premiers vaccins actuellement disponibles contre le Covid-19, deux vaccins a ARN, ceux de Pfizer et de Moderna dont le transport demande la disponibilité de frigos spéciaux, dits supercongélateurs pouvant garantir sans interruption des températures comprises entre -20 et -70 degrés Celsius au départ, pour celui de Pfizer, le stockage avant l’administration reste compliqué nécessitant de supercongélateurs tandis que pour celui de Moderna est plus commode, car il peut être stocké dans un réfrigérateur ordinaire avec des températures entre 2 et 8 °C pendant 30 jours et à -20 °C pendant six mois.

Même si le docteur William Pape, l’une des grandes autorités pour les maladies infectieuses en Haïti, a fait état récemment de la disponibilité d’une quinzaine de supercongélateurs possédés par les Centres GHESKIO, cette quantité est loin de suffire pour constituer la logistique de base en vue de la vaccination d’au moins huit millions d’Haïtiens si on exclut les très jeunes enfants.

Au final, à court terme, la population haïtienne ne pourrait être desservie que par le vaccin de Astra Zeneca qui est conçu suivant une technique différente de ses deux prédécesseurs occidentaux, ceux de Pfizer et de Moderna et qui est sans doute le plus adapté à la situation des pays sous-développés

1.3 Le vaccin le plus à la portée des Haïtiens : le vaccin d’Astra Zeneca

Parmi les trois vaccins occidentaux, le vaccin d’AstraZeneca est plus classique en termes de conception et fonctionne, comme la plupart des vaccins connus jusque-là, grâce à l’inoculation d’un virus similaire, mais inoffensif auquel est insérée la protéine inactivée du virus ciblé. Selon Marcus Dupont-Besnard, il s’agit pour Astra Zeneca « d’un adénovirus de chimpanzé qui est absolument inoffensif pour les humains. Dans le scénario de la préparation du vaccin d’Astra Zeneca, la molécule injectée est semblable au coronavirus, mais elle ne porte aucune trace du coronavirus en tant que pathogène. Cela permet simplement que l’organisme puisse reconnaitre la protéine au cas où le véritable virus se présenterait »
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En plus, sur le plan logistique, le vaccin d’Astra Zeneca dont la durée de l’immunité n’est pas connue de manière détaillée, comme tous les premiers de ses confrères, est plus avantageux parce qu’il est stockable dans des frigos ordinaires et d’un coût unitaire faible, soit de 2,5 dollars contre 15 dollars pour celui de Pfizer, celui de Moderna étant encore plus cher. Enfin, même si son taux d’efficacité est en théorie moindre que ceux de ses deux rivaux, 705, il semble ne pas permettre aucune forme grave chez les individus vaccinés, parce qu’on n’a pas au cours des essais relevés d’effets secondaires importants, sauf auprès de trois personnes qui ont été guéries.

Cette première partie démontre que les limites des campagnes de vaccination dans le pays où, au niveau des autorités sanitaires, on avait présenté la campagne de vaccination contre le choléra qui a été entreprise en novembre 2016 après le passage du cyclone Matthew comme une réussite. En effet, la maladie, qui n‘était pas encore éradiquée depuis qu’elle a été introduite en 2010 par les Casques bleus népalais, avait semblé afficher une recrudescence dans le Grand Sud après cette importante intempérie. Au 2 novembre, il avait été fait état de 2199 cas suspects, mais seuls 8 sur 34 ont été confirmés par culture sur les quatre départements du Sud pour le mois d’octobre. Il s’agissait d’une campagne menée dans la précipitation ou seule une dose a été administrée aux populations alors que selon les normes il faut deux prises. Ce fut une campagne controversée, à base d’Euvichol, qui a été critiquée ouvertement par les épidémiologistes haïtiens et étrangers et àlaquelle on s’était empressé d’attribuer à tort l’étiquette de la seule campagne de vaccination réussie en Haïti.

2. Haïti pourra-t-il atteindre l’immunité collective avec une campagne de vaccination contre la pandémie ?

Dans cette partie de l’article, il faut d’abord se poser la question de savoir comment Haïti pourra-t-il se procurer les doses nécessaires à sa campagne de vaccination contre le Covid-19.

2.1. Haïti recevra gratuitement les doses du vaccin anti-Covid-19

Haïti fait partie des pays qui recevront gratuitement quelques millions de doses du vaccin dans le cadre de l’initiative Covax (ou Covax facility) en anglais. Il s’agit d’un mécanisme mis au point par les organismes des Nations unies pour aider les pays les plus pauvres à se procurer les vaccins disponibles contre la pandémie. En clair, ce mécanisme coordonné par l’Alliance Gavi (anciennement Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation, créée en 2000) de grouper des achats pour les nouveaux vaccins anti-COVID-19 dans le but de garantir à chaque pays participant un accès juste et équitable aux vaccins grâce à un cadre d’allocation que l’OMS est en train d’élaborer. Ce mécanisme permettra à Haïti de bénéficier gratuitement de 2,5 millions de doses du vaccin COVAX ainsi que neuf autres pays d’Amérique latine et de la Caraïbe.

Toutefois, le gouvernement haïtien, à l’heure actuelle, n’a pas encore arrêté son choix sur le type de vaccin qu’il voudra valider. Mais, le problème sera de savoir quelle logistique il faudra mettre en place et dans combien de temps, une fois que le vaccin sera rendu disponible pour le pays. Il y a aussi les seringues et tout le matériel nécessaire y compris compléter la chaîne de froid dans le pays et aussi la mise en de centres de vaccination dans les endroits les plus reculés du pays, d’autant qu’une forte proportion de la population est disséminée dans tous les départements. Bref, tout un budget nécessaire à la réussite d’un projet à définir.

Parallèlement, l’Unicef, membre de l’Initiative Covax, a pris l’engagement lors de la réunion en novembre 2020 à Ryad d’expédier par avion près de 2 milliards de doses de vaccins anti Covid-19 vers les pays en développement auxquelles s’ajouter l’expédition d’un milliard de seringues qui doivent être transportées par fret maritime.

De son côté, la Banque interaméricaine de développement (BID) avait annoncé, le mercredi 16 décembre 2020, qu'elle accorderait un milliard de dollars aux pays d'Amérique latine et des Caraïbes pour les aider à acquérir et à distribuer des vaccins contre le Covid-19 et, surtout, à garantir l'accès aux populations les plus vulnérables.

2.2 Quelle sera la stratégie vaccinale anti-Covid d’Haïti ?

Compte tenu de ce que l’on sait par le passé en termes d’histoire vaccinale, toujours lancée en grande pompe pour Haïti, il faut recommander que soit mise au point de très tôt une bonne stratégie de vaccination de masse afin d’éviter de nouveaux échecs d’autant que ce sera peut-être la seule manière d’endiguer la pandémie dans le pays.

Il faut dès maintenant penser à l’élaboration d’une carte vaccinale centrée sur la création de centres de vaccination dont la répartition tiendra compte des caractères spécifiques de la population.

Que pourra-t-on faire pour desservir les zones de non-droit afin de garantir le respect et la bonne utilisation des matériels ?

Il faudra aussi définir les catégories prioritaires qui bénéficieront de la future campagne de vaccination. Commencera-t-on par les personnes âgées qui sont les plus vulnérables face à la maladie, les personnels soignants et les agents de la PNH qui sont souvent trop entassés dans les véhicules de patrouille ou d’intervention ? Comment formera-t-on les agents de santé qui seront impliqués dans les campagnes de vaccination ? Prendra-t-on aussi la décision d’imposer le vaccin à toutes les catégories de la population ?

Un autre grand problème, mais peut-être le tout premier auquel il faut se collecter : Comment sensibiliser une population qui affiche à la fois déni et indifférence envers la pandémie à accepter à se présenter à un centre de vaccination ? Sera-t-on dans une situation où le nombre de doses administrées globalement ne correspond point à ce qu’on attend d’une vraie campagne de vaccination massive ?

Enfin, quand pourra-t-on commencer tout de suite les injections si les stocks commencent à débarquer dans le pays ?

Conclusion

Au vu de l’histoire vaccinale d’Haïti, nous savons que toute campagne de vaccination est délicate dans le pays, non seulement en raison des facteurs géographiques que sont le caractère très montagneux du pays, la prolifération des zones de non-droit, le manque d’électricité, mais aussi, et surtout l’indifférence de la population dans le cas du Covid-19. La chance du pays qui n’a pas encore vraiment souffert de la pandémie, c’est qu’il bénéficiera gratuitement de 2,5 millions de doses et au moins d’une partie de la logistique (seringues et frigos pour la conservation des stocks de vaccins). Cependant, même dans le cas où il pencherait pour le vaccin d’Astra Zeneca, il faudra disposer de frigos alimentés en énergie sans interruption, ce qui sera difficile, voire impossibles, dans la situation énergétique actuelle. Ce qui sera encore plus délicat, c’est la desserte des localités sans électricité où se concentre plus de 60 % la population. Haïti saura-t-il se montrer à la hauteur du défi qui l’attend dès l’arrivée des doses du vaccin contre le Covid-19 afin de garantir à sa population l’immunité collective contre la pandémie ?

Jean SAINT-VIL
jeanssaint_vil@yahoo.fr

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