« Je m’ envertige » un poème pour saluer les 88 ans d’existence de Franckétienne

Poète, dramaturge, peintre, enseignant, musicien et chanteur haïtien d’expression française, l’homme orchestre Frankétienne né Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent est né en 1936 à Ravine Sèche dans l’ Artibonite. Ses œuvres publiées dans les deux langues des traditions littéraires haïtiennes témoignent de la « conscience nationale » pour saluer son quatre-vingt-huitième anniversaire , Le National revient brièvement sur son immense parcours et publie pour ses lecteurs : « Je m’envertige »

Dans une écriture éclatée, mais intimiste et personnelle, le poète Franckétienne répond en battant aux appels de sa ville où il réside avec sa famille depuis de longues années. Cette ville qui gît au fond de lui-même comme une vive blessure. Pour Mémoire d’ Encrier Frankétienne habite Port-au-Prince, ville orpheline, dit-on, d’espoirs et de songes. Au fond de la nuit, dans les collines des fois, résonnent de mystérieuses voix, quand ce ne sont pas des djinns, des habitants font croire que c’est la voix de Frankétienne serpentant les montagnes, hurlant dans les plaines un chant de vie plus puissant que la mort. Et dans ces périmètres carrés acculés à la dépendance, à la bêtise et au cynisme urbanistique, Frankétienne entretient seul une poétique, une vision et un art qui n’est que son chant chaotique.

« Je m’envertige

Que pourrais-je écrire que l’on ne sache déjà  ?

Que devrais-je dire que l’on n’ait déjà entendu  ?

J’écoute ma voix baroque dans le miroir enflé de litanies sauvages.

 Batteur battant aux appels de ma ville

Rappeur frappeur à l’ivresse de mes tripes

Je délire et je tangue au fatras de ma langue à roues cycloneuses.

 Je dérape aux zigzags de mes mots à dentelles d’ouragan

Mes paysages écrabouillés au tournoiement du vent

Coïncidence et connivence

Mes affres et mes balafres

Mes joies et mes vertiges au tressaillement du masque

Mon ombre écartelée d’oubli et d’épouvante.

 Mes amours me reviennent amalgame d’utopie et de tendre

Violence quand je mange mes silences.

 Je m’envertige à contempler ma ville debout

Hors des vestiges de l’ombre

Entre pierre et poussière

Entre l’or invisible et la boue des ténèbres

Entre ordures et lumière

Je nage inépuisable

Je suis de Port-au-Prince

Ma ville enfouraillée de nuits intarissables

Ma ville schizophonique bavarde infatigable.

Je conjugue mon cauchemar et je module mon insomnie à

Ma façon. Ma ville en moi. Au fond de moi. Dans ma tête.

Et dans mes tripes.

 Ma ville déchue déraillée/débraillée

Ma ville en chute baladeuse

Ma ville mélange de crépuscule et d’aube

Ma ville défloration et perdition

Ma ville en dérangement perpétuel

Ma ville en panne de tout

Ma ville miracle au quotidien.

Ma ville folie sublime et pathétique toute flamboyante en

Paradoxes déconcertants.

 

 Et bien sûr ça fonctionne dans la graisse exceptionnelle du Chaos

Ça pète de vie et d’énergie

Ça roule dans le mystère

Ça bouline dans les ténèbres

Ça tourne dans l’immobilité du temps et l’inertie des gouffres

Ça brûle ça boule ça bouleboule ça bouge ça danse ça piaffe

Ça grogne ça hurle ça jazze ça grage ça rappe intensément

Quand j’auditionne au-delà de mes fenêtres dévergondées

L’âcreté des nuits sanglantes et l’âpre diction des pluies

Métissées de vents fous »

 

Schultz Laurent Junior

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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