Résumé
À quatre mois de la fin d’un mandat de transition à bout de souffle, le Conseil présidentiel de transition (CPT) s’éveille soudain à l’urgence d’organiser des élections dans un pays toujours sous la coupe des gangs, sans sécurité ni confiance populaire. Tandis que la Primature brandit ses promesses de redressement, la réalité s’impose : 90 % du temps perdu, un État paralysé, une mission étrangère en panne et une transition en lambeaux. On parle d’élections… comme d’un mirage politique.
Texte intégral
À quatre mois de la fin d’une transition aussi molle qu’un chewing-gum oublié sous le soleil, le CPT feint de découvrir qu’il existe quelque chose appelé élections. L’horloge démocratique grince, mais le pays n’a ni paix, ni loi, ni foi. Dix-huit mois d’attente pour en arriver là : à des communiqués sans lendemain, à des budgets électoraux fantômes, à une course contre la montre… sans chronomètre ni piste.
Et voilà que la Primature, toute fière, se dresse devant le chaos pour promettre monts et urnes. Le porte-parole Ené Val jure que sécurité et élections vont surgir d’un coup de baguette. Mais le temps s’est évaporé : la transition agonise, la mission multinationale s’enlise, les gangs redessinent la carte du pays pendant que l’État contemple sa propre impuissance. On veut voter dans quatre mois ? Très bien. Reste à savoir… où, avec qui et sous quelles balles.
L’échec patent du CPT
A l'autre bord, le conseiller présidentiel Frinel Joseph s’est entretenu, le mardi 21 octobre 2025, avec Cristobal Dupouy, représentant spécial de l’OEA en Haïti. Sous les auspices de la Présidence, la rencontre s’est voulue un geste de bonne foi, une main tendue vers la normalisation démocratique. Mais derrière les formules de courtoisie, l’enjeu demeure colossal patent pourtant : réhabiliter la confiance, restaurer le sens du vote, ranimer la foi civique d’un peuple lassé d’attendre.
Alors, comment parler d’élections dans un pays où les urnes se sont tués avant même d’être ouvertes ? Comment bâtir la paix électorale sur des ruines d’institutions ? Le conseiller président Frinel Joseph promet apaisement et dialogue. M. Cristobal Dupouy promet soutien et méthode. Reste à savoir si la volonté politique saura, enfin, vaincre l’usure du désenchantement. Mais, j'en doute fort.
Ici, le Conseil présidentiel de transition (CPT) avait promis un miracle : stabiliser, réconcilier, électrifier la démocratie haïtienne. Mais à mesure que les mois s’égrènent, la transition ressemble à une vieille camionnette de granri sans phare dans une nuit cannibale de 2004. Elle avance, oui, mais vers où ? Et surtout, avec quoi ? Qui sait?
Dix huit mois plus tard, le décor est planté : toujours pas de réforme constitutionnelle; pas de redéploiement sécuritaire durable; pas de confiance populaire. Alors qu’on parle d’urne, de vote, de légitimité. C’est une répétition de l’histoire, avec de nouveaux figurants, les mêmes scripts de blablabla et un public trop lassé, en mode kabicha, attendant le miracle de Washington et des ONG. Le CPT, tel un gouvernement de l’entre-deux, se débat entre promesses et paralysie. Il s’agite, communique, se félicite — mais ne gouverne pas. Tête droite vers les urnes.
Comment réaliser des élections en moins de quatre mois Messieurs Dames ? C’est la question que tout esprit sensé pose, sans forcément oser la formuler. Comment, dans un pays où les commissariats sont assiégés depuis près de deux ans, la justice kidnappée, le directeur d’école déplacé, le citoyen terrorisé, peut-on espérer dresser des bureaux de vote ? Où ? À Canaan, à côté des postes de péages ? À Carrefour-Feuilles, sous contrôle armé ? À Croix-des-Bouquets, où la République négocie son passage ? A Port-au-Prince, sous les tentes ?
Les urnes ont besoin de routes, Messieurs Dames. Les routes ont besoin d’État. L’État a besoin d’ordre. Et l’ordre ? Il est en otage. De quoi parlez-vous SVP ? Mais, dans ce théâtre du possible impossible, on parle encore de « calendrier électoral ». Comme si fixer une date suffisait à conjurer la peur. En tout cas !
Le rappel des urnes : un pays fatigué d’élire pour rien
Les élections de 2010–2011, tenues sur les ruines du séisme, ont produit un président « choisi » par les ambassades de Core Group plus que par les bulletins. Michel Martelly, 716 986 voix sur 4,6 millions d’inscrits. À peine 15 % de la population électorale, mais une victoire proclamée. Un Parlement qui a perforé l'ordre de la démocratie.
Les élections de 2015–2016, elles, ont accouché d’un autre paradoxe : un président élu dans le vide. Jovenel Moïse, 600 000 voix environ sur près de 6 millions d’électeurs. Un pays fatigué de voter, un peuple convaincu que la démocratie n’a plus de retour sur investissement. Et quand le président en question fut assassiné, c’est toute la fiction institutionnelle qui s’est effondrée. Aujourd’hui, le même scénario s’ébauche : même cadre constitutionnel, même désordre sécuritaire, même méfiance institutionnelle. Et la même tentation de croire qu’un scrutin, comme par magie, pansera les blessures de nos maux. À quoi sert les élections réellement messieurs-dames si le problème de sécurité n'est pas résolu ?
Guichard Doré redore la scène: il tire la sonnette d’alarme — et s’il avait raison ? « Aucune élection ne saurait être crédible sous l’égide de la Constitution de 1987 amendée », prévient M. Doré. Provocation ? Lucidité ? Les deux. Car cette Constitution, née d’une époque où l’État cherchait à se protéger du dictateur, jamais appliquée, est devenue une machine à paralyser les gouvernements. Elle multiplie les verrous, les chevauchements, les cauchemars et les pouvoirs concurrents. Résultat charlatan : un pays sans gouvernail, livré aux appétits crus du moment de la criminalité
M. Doré a adoré son pantin pour pointer du doigt la raison sur un point majeur, acceptez-le, qui demande l'attention, parce que sans réforme de cadre, tout scrutin risque d’être un énième spectacle d’illusions. Mais M. Doré adore souvent oublier l’autre face du paradoxe, puisque sans élections, le pays sombre dans le vide institutionnel. Et ce vide, d’autres le remplissent déjà — les gangs, les parrains économiques, les ambassades qui tirent le rideau… Changer la Constitution avant de voter ? Oui, en théorie. Mais quand ? Et avec qui ? Réécrire la loi fondamentale exige des institutions légitimes. Or c’est précisément ce qui manque. Parle-t-on de quoi SVP ?
Le paramètre qui change tout : la gangstérisation du territoire
Le vrai Parlement, aujourd’hui, siège à Canaan. A l'entrée Sud de Port-au-Prince. Les frontières, ce sont les lignes de feu tracées par les chefs de gangs. La PNH, épuisée, est enterrée sous la peur et la corruption. Le citoyen est, lui, déplacé, muet, résigné. Car en moins de coup d'œil, plus de 700 000 déplacés internes selon l’ONU. Des zones entières hors de contrôle. Des enfants sans école, des familles sans toit. Et dans ce décor de flibuste, on parle d’élections comme on parlerait de poésie dans un champ de ruines historiques.
La MMAS (Mission multinationale d’appui à la sécurité) devait incarner le renouveau. Elle ressemble plutôt à une force de présence symbolique au service de grands commis de l'État. Une promesse en bottes. Les gangs, eux, n’attendent pas les procédures diplomatiques. Ils gouvernent déjà à leur manière, les zones abandonnées par l'État. Les promesses internationales d'aide à la sécurité, force de répression anti gang, pointent déjà sur la tête du pays. Qui sait quoi ?
L’échec du CPT et l’ombre portée de la MMAS
Le CPT devait incarner la transition. Il incarne désormais la transition... de la transition. Ses neuf membres, censés sauver la République, se débattent entre calculs, rivalités et prudence diplomatique. La Primature, sous Alix Didier Fils-Aimé, répète que « les élections ne sont pas une option, mais une obligation ». Mais sur le terrain, la seule obligation visible, c’est celle de survivre. Quant à la MMAS, que l'on conjugue au passé, son efficacité est proportionnelle à la clarté de son mandat. Boule-pic! C’est-à-dire floue. Entre contraintes juridiques, manque d’effectifs et divergences d’intérêts, la mission peine à rassurer. Les Haïtiens voient défiler des uniformes étrangers, mais pas la paix.
La machine électorale : propagande, désinformation et théâtre d’ombres
Les élections haïtiennes, c’est un art. Celui de voter dans le brouillard. Les listes électorales, jamais à jour. Le CEP, provisoire depuis plus de quinze ans — un record mondial de transition prolongée. Les rumeurs, plus rapides que les décrets. Les campagnes, plus riches que les caisses de l’État. La désinformation devient l’outil des puissants : un message WhatsApp vaut plus qu’un communiqué officiel. Et quand la vérité s’effondre, la démocratie devient un décor. Alors, quand on annonce « un fonds de 65 millions de dollars pour les élections », on entend les sceptiques sourire. Ce ne sont pas les fonds qui manquent. C’est la foi dans le processus.
Ni angélisme, ni fatalisme.
Tout n’est pas perdu, mais tout reste à faire. Et surtout, tout reste à refaire. Le Conseil présidentiel de Transition (CPT) a promis la fin de la transition par la réalisation des élections, et nous voilà à quatre mois de l'échéance… en transition vers une autre transition. Une spirale haïtienne, un hamster constitutionnel qui court dans sa roue sans jamais sortir de la cage. Les chemins sont étroits, oui, mais ils existent — même s’ils mènent souvent au même carrefour : Échec et report.
On commence petit, on rêve grand. Faut-il créer une commission ouverte, rendre le débat public, soumettre les points clés à référendum. Une façon pour parler enfin à la population. Mais le risque demeure pertinent, parce que l’on parle longtemps. Trop longtemps. Et pendant ce temps, les gangs gouvernent à la machette et à la moto, en voiture, dans les rues, des kidnappings.
Alors une option survient : “Élections locales limitées”. Dans les zones “presque stables” (c’est-à-dire, là où les balles se reposent le dimanche). Un pas vers la légitimité, dit-on. Mais à force de polir cette légitimité progressive, on finit par bâtir une bureaucratie du provisoire : lente, tiède et contestable.
Une autre option peut s'ouvrir sur la “Présidence intérimaire élective” qui consiste à organiser un scrutin restreint, élire un président intérimaire chargé de piloter la réforme constitutionnelle et sécuritaire. L’avantage est que l’on pourrait combler le vide institutionnel que le CPT avait pour mission d'accomplir. Toutefois cela est interpellateur d'un risque qui est « le pouvoir appelle le pouvoir » élit encore un intérimaire pour combler le vide laissé par l’intérimaire précédent. Alors, dis-le bien, bienvenue dans la République des intérimaires permanents !
Parallèlement, un autre axe de résolution apparaît celui de “Priorité sécurité” pour suspendre les illusions. Alors faut-il concentrer tout sur la reprise territoriale, le renforcement de la police, l’assainissement des institutions. Un pas vers le réalisme. Bien que le risque advienne au repoussement des élections jusqu’à la Saint-Souveraineté. Ou du moins, le “Processus hybride” peut interférer dans le jeu des résolutions, par gré d’un mini-référendum local sur les points capitaux — structure du pouvoir, décentralisation — puis élections générales sous un cadre rénové : écouter la population. Avantage, on avance, en boitant, au risque de trop d’intelligence dans un pays fatigué face aux mépris de l'international qui se perd dans ses pas lourds via des procédures qui génèrent l’impatience.
L’essentiel est que toutes ces options exigent une chose simple et rare : un accord national sincère entre les plateformes et structures politiques. Pas entre les politiciens — ils s’accordent déjà sur leur désaccord. Mais entre citoyens fatigués, qui veulent autre chose qu’un pays en pause depuis trop longtemps. Bien que ces enjeux stratégiques du pouvoir demeurent brossant la souveraineté, la sécurité et la survie de la population. Pourvu que l’enjeu n’est plus électoral. Il est existential. Peut-on encore parler de souveraineté quand la capitale est morcelée, éparpillée en mille contrées ? De démocratie, quand les urnes dorment sous la peur ? Haïti n’a pas besoin d’une autre transition qui se transite avec Washington mais elle a besoin d’une transformation issue de ses ressources humaines non malléables. Et vite. Avant que la République ne finisse par se transiter elle-même et hors d’elle-même.
Peut-on parler de transition quand la transition elle-même devient un régime qui essaye de garder le pouvoir pendant plus longtemps, même dans la crasse la plus crasseuse ? Les Haytiens ne réclament pas de bulletins, mais un minimum d’ordre. Ils ne veulent pas un scrutin pour les diplomates, mais un vote qui compte. Et pour cela, il faut des institutions solides, pas des arrangements provisoires d’humour noir et de réalisme cru. Car la transition actuelle ressemble à un sketch : le gouvernement promet la sécurité. Les gangs répondent : « déjà pris ». Le CEP annonce le calendrier. La population demande : « pour voter où ? » Et la communauté internationale applaudit… en attendant le prochain rapport de l'ONU. Et puis ça va!
Mais derrière ce comique tragique, se cache une question qui devient de plus en plus sérieuse : Peut-on encore sauver la démocratie haytienne ? Oui. Mais pas en improvisant un scrutin sous les balles incontournables et incontrôlées. Pas en éditant les illusions de 2010 ou 2015. Pas sans repenser le contrat social, la Constitution, et la légitimité même du pouvoir. — Le vrai courage politique. Hayti n’a plus le luxe de choisir entre vitesse et vérité. Les élections bâclées produisent des régimes faibles. Les transitions prolongées produisent des États fantômes. Le vrai courage politique, aujourd’hui, serait de fixer une feuille de route claire, honnête, et partagée : Un calendrier réaliste. Une réforme constitutionnelle participative. Une sécurité minimale garantie par un plan national et non importé. Une communication transparente pour contrer la propagande. Le temps file. Le CPT s’effrite. La population s’épuise. Quatre mois, c’est court pour sauver une démocratie représentative qui est à genoux depuis plus de 4 ans. Mais c’est assez long pour ne pas enterrer l’idée. Hayti n’a plus besoin d’élections pour exister aux yeux du monde. Elle a besoin d’un État qui s'inscrit dans une perspective d'autosuffisance nationale pour exister à ses propres yeux.
joseph.elmanoendara@student.ueh.edu.ht
Formation : Masterant en Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/ Cesun Universidad, California, Mexico; Juriste, Communicateur social
