Chaque localité de la commune de Cavaillon organise sa fête patronale, généralement dédiée à un être spirituel. Ainsi, Sainte Anne est honorée à Anse-à-Veau. D’autres villes perpétuent également leurs célébrations : Saint-Jean-du-Sud (24 juin), Saint-Thomas d’Aquin (27 juin) et Notre-Dame de l’Assomption (15 août).
Au cœur des fêtes champêtres du Sud, les loups-garous et les lwas (esprits vaudou) sont représentés et honorés dans les lakous, les péristyles et aux carrefours, où se mêlent traditions religieuses, pratiques vaudou et croyances liées à la sorcellerie.
Ces pèlerinages attirent des foules venues de tous horizons, en quête de pwen (fétiche de protection personnelle), de degrés de transformation, de protection, de guérison ou simplement pour rendre grâce. Rituels, danses et offrandes se déroulent parfois à proximité des églises, dans les rues, dans une ambiance conviviale.
Mais les fêtes champêtres, c’est aussi la fête des villageois, toutes confessions confondues. Des groupes de rara et des bandes à pied animent les réjouissances. C’est également l’occasion pour les anciens de transmettre leurs savoirs et leurs rituels, qu’ils soient bénéfiques ou maléfiques.
Un 24 juin, mon amie Jiji, en vacances avec ses camarades de l’université à Cavaillon, arriva tout joyeuse dans le beau et agréable village de Pòfi. Ils rencontrèrent une marchande de porc créole surnommée Ti Bichette. Celle-ci était une sorte de notable de la zone : tout le monde la connaissait. Elle se faisait passer pour une mambo, avec un esprit qui portait le nom de Nanthiou. Voulant s’amuser, ses amis lui demandèrent : « Nous aimerions voir une démonstration de loup-garou ce soir, pour vérifier si cela existe vraiment. »
L’esprit de Ti Bichette — celui qui lui permettait d’entrer en transe — répondit par d’autres questions : « Ou pa moun Cavaillon ? Se dwòl kè w pa konnen youn lougawou. Eske w se youn brav gason ? » (« Vous n’êtes pas de Cavaillon ? C’est étrange que vous ne connaissiez pas les loups-garous… Êtes-vous un homme courageux ? »)
Et, en effet, le soir tombé, sur le toit des maisons où étaient logés les vacanciers, on entendit beaucoup de bruit. Au même moment, Jiji voit Ti Bichette se transformer en toutes sortes d’animaux, histoire pour la manbo de montrer que, dans cette région, les loups-garous ne relèvent pas seulement des légendes, mais d’une réalité vécue.
Bain mystique pour un enfant
Paniqués, ces vacanciers de la diaspora, demandèrent aux voisins, aux notables - et aussi à Ti Bichette – comment préparer un bain de protection destiné à un nourrisson. Ti Bichette, toute fière, leur indiqua une adresse.
Dans la soirée, on entend de curieux bruits sur le toit de la maison en tôle. Le pasteur sort dans la cour et découvre une dinde. La dame de la diaspora fait savoir à ses amis et au pasteur que c’était la dinde qu’elle avait achetée ce matin au marché pour les festivités de demain.
Soudain, à la recherche de nourrissons, l’animal descendit en battant des ailes vers la chambre où se trouvait le bébé. Mais au lieu de glousser, il se mit à miauler, puis se transforma en chat noir aux yeux brillants comme des projecteurs. Le nourrisson poussa un cri. Alors, le pasteur s’écria : « Ti Bichette, si se ou ki fè m pran wont sa, ou deja mouri ! » (Ti Bichette, si c’est toi qui m’as fait subir une telle honte, tu es déjà morte !)
Le chat se transforma ensuite en chauve-souris. La dame de la diaspora, qui connaissait le pasteur, demanda : « Mais qu’est-ce que c’est que ce spectacle, pasteur ? » Celui-ci répondit : « C’est ma belle-mère… Je sais comment arranger tout ça. Laissez-moi faire ! »
Le pasteur réclama du sel et un peu de cendres. Les chauves-souris allèrent s’accrocher à une feuille de bananier, tombèrent à terre et se transformèrent… en porc.
Tous se trouvaient sous la tonnelle, dans cette même cour. Le lendemain, Vladimir – un des vacanciers de la diaspora – me raconta qu’il avait crié très fort, mais que personne ne l’avait entendu. Esthère, une autre vacancière, quant à elle, se sentait lourde, incapable de bouger. Les autres dormaient profondément jusqu’à l’aube. Ils croyaient déjà aux transformations, habitués à voir des loups-garous rôder sur les toits des maisons.
Mais le plus triste arriva dans la soirée : le bébé de la dame de la diaspora ne survécut pas. On retrouva des traces de morsures de chauve-souris près de ses tempes. Après cette constatation, les amis refusèrent de rester plus longtemps à Pòfi. Désormais, Jiji n’est plus la seule à raconter des faits tragiquement vécus dans ce village : ses amis en ont été témoins oculaires.
Ce genre de phénomènes ésotériques semble en voie de disparition. Pourtant, le peu qui subsiste de cette pratique occulte, bien qu’invisible, continue de causer beaucoup de mal. Le bien ne touche qu’un petit nombre, tandis que le mal atteint une multitude de personnes.
Dr. Emmanuel Charles
Avocat et éthnologue
