L'arithmétique de la mort en Haïti !

Dans les principes de base de l'arithmétique, on retrouve une sélection de concepts, les uns les plus importants que d’autres qui participent dans l'éducation et la formation  de plusieurs générations. On peut citer entre autres, les nombres, l'heure, l'évaluation avec les formes, l'addition, la soustraction, les unités, dizaines, centaines, l'évaluation entre l’addition et la soustraction, les multiplications, et les divisions.

 

Dans quelle mesure, ces opérations argumentent-elles nos réflexions ou alimentent-elles nos observations, les discussions et parfois même les conclusions qui vont déterminer les actions et les réactions des uns et des autres, qui choisissent d'utiliser la mort pour résoudre certains problèmes (familiaux, politiques, sanitaires, économiques, financiers, professionnels, conjugaux...) en Haïti ? Quelles sont les opérations arithmétiques qui influencent le plus la mort des paisibles citoyens, citoyennes, et familles en Haïti ?  Comment la mort divise-t-elle les familles haïtiennes ? 

 

Du 1er janvier au 1er novembre de chaque année, et durant la dernière décennie en cours, s'ajoute le lourd bilan de l'année 2010, entre le séisme et la pandémie de choléra, la mort est venue s'installer dans  le quotidien des Haïtiens. Cette terre pendant longtemps avait été habitée par la mémoire des Amérindiens victimes de génocide, des âmes perdues dans les fonds marins pendant le voyage triangulaire et les orphelins de la colonisation européenne,  des victimes des occupations et des  nombreux massacres, des victimes oubliées de la zombification et des esprits Vodou. 

Dans quel sens la somme des victimes recensées pendant le mouvement de Bwa kale divise-t-elle certaines couches et des acteurs de la population haïtienne ? Comment comprendre la différence des réactions émotionnelles face au deuil d'un proche entre les familles riches et les couches défavorisées en Haïti ? Comment la multiplication des cas d'assassinat et de disparition dans les familles haïtiennes au quotidien, est-elle utilisée pour augmenter considérablement le nombre des membres de la diaspora ?  Comment expliquer la différence dans les réactions et le soutien de certains pays face au nombre de morts entre Haïti, en Ukraine et en Israël ?  

Dans ce plaidoyer pour inscrire dans le système éducatif haïtien,  un cours ou une journée de réflexion consacrée à la mort, ceci, dans l'objectif d'encourager une culture intelligente autour de ce phénomène capital et incontournable, il sera possible de trouver certaines réponses face à ces questionnements majeurs. Les Haïtiens, autant que les peuples originaires d'Afrique doivent apprendre à considérer le sens, l'importance et la différence de chaque mort dans l'espace-temps.  

Durant la première semaine de classe, à l'ouverture de chaque année académique ou pendant la dernière semaine du mois d’octobre, il serait opportun pour les enseignants d'inscrire dans l'agenda des discussions des sujets qui abordent ce phénomène existentiel. Face aux nombreuses crises sécuritaires et humanitaires survenues en Haïti durant ces dernières années, comparées aux autres crises meurtrières, militaires et humanitaires, entre les massacres et les catastrophes qui se multiplient et se renouvellent sans cesse, comme les guerres  dans plusieurs parties du monde, il faudrait juste faire le calcul, comparer et soustraire les morts violentes survenues en Haïti, pour comprendre que les Haïtiens demeurent encore un peuple pacifiste et non violent. 

 

Dans une démarche éducative, appuyée par l'une des meilleures approches pédagogiques, notamment l'approche par compétence, comment inviter les jeunes du pays à expliquer la mort de l’ancien président haïtien, pardon, l’assassinat de Jovenel Moïse ou du bâtonnier Monferrier Dorval,  comme des dénominateurs communs dans la démocratisation de la mort dans la société haïtienne ?  Peut-on considérer cette culture de la  mort en Haïti, comme le produit de la mauvaise gouvernance ?  Quelles sont les relations possibles entre la multiplication des groupes armés, la division dans entre les groupements politiques, et la somme des victimes dans la population au cours des dernières décennies ?  En tenant compte des origines des armes et des munitions et de l'appartenance sociale de la majorité des exécutants, sur qui les couches saines de la population devraient-elles compter ?   

De l’enseignement de la relation à la mort aux écoliers, aux élèves, aux étudiants et universitaires, en tenant compte du degré de connaissances et de compréhension possible sur la mort, en passant par l'éducation à la mort, pour faire le deuil face à la perte d’un proche, il y a urgence pour les acteurs des sciences sociales et des sciences pures de se mettre autour d'une table,  pour déterminer le dosage de connaissances et de compétences à inculquer aux différents apprenants, qui ne doivent plus se contenter d'avoir peur de mourir. Parce que tout le monde va mourir un jour, les assassins comme les prochaines victimes, il nous faut construire une nouvelle conscience collective par une communication intelligente autour de la mort, et de la morgue, pour celles et ceux qui auront cette chance de fréquenter ces tiroirs et ces salles congelées. 

Dans l'arithmétique des morts en Haïti, on ne manquera pas de se questionner sur la rentabilité des activités, de la comptabilité de ces services et  des produits qui sont associés comme les assurances. Une belle occasion, dans le cadre des cours sur l'entrepreneuriat pour analyser les plans d'affaires sur les institutions et les entreprises, les métiers et les formations qui sont associés aux morts en Haïti,  en dehors des offrandes dédiées à Bawon et à Grann Brijit au pays des Guedé et du “Mourir est beau”.  Combien de morts vivent-ils parmi les vivants au sein de la population haïtienne ? Combien de familles encore en vie habitent les cimetières dans ce pays?

Des années avant d’arriver dans ce carrefour historique, sociopolitique,  et culturel, dans lequel  la mort est devenue le refrain culte, ou la carte de visite nationale, des dizaines, des centaines et des milliers de familles anticipaient déjà le chaos actuel. De nos jours, il faudrait multiplier par cinq ou dix, le nombre des jeunes et des familles, qui pour ne pas mourir, choisissent de partir à tout prix. Combien aura coûté cette nouvelle édition de ce manuel de l'arithmétique de la mort imposé à la population haïtienne à l'école des relations internationales ? 

 

Dominique Domerçant

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