Haïti: comment rentrer dans l’histoire ?

D’ici le 1er janvier 2024, c’est l’une des plus importantes courses à la montre qui sera démarrée pour atteindre les trente prochaines années dans l’histoire d'Haïti, en 2054. Année qui marquera le 250e anniversaire de l'indépendance d'Haïti et qui devrait servir à réparer les torts et l'échec du bicentenaire en 2004. Comment utiliser l'année 2024 comme levier pour lancer les chantiers de la réparation de la mémoire des ancêtres, pour mieux permettre à cette prochaine génération de rentrer debout dans l'histoire universelle ? 

Dans le sort actuel de la population haïtienne, il y a cette forme de déconstruction accélérée, à la fois interne et internationale, qui vise à dévier définitivement cette nation sur la voie des grandes nations. C'est aux générations des enfants qui sont nés entre 1999 et 2004, qui auront entre vingt et vingt-cinq ans l'année prochaine, de reconstituer et de consolider les repères à la fois universels d’ordre temporel (en traversant le nouveau millénaire), et patriotique (par la transition du système esclavagiste aux valeurs de la dignité humaine portée la révolution haïtienne), comme nouvel ordre mondial.  

De 2015 à 2030, cette période qui devrait servir à matérialiser les dix-sept objectifs de développement durable dans environ six ans n'accouchera pas ses projets et promesses. Les plus riches nations dans le monde, encore moins les plus pays émergents, et les pays les plus pauvres qui ont connu des guerres, des crises et des catastrophes de tout genre vont afficher des arguments valables et pertinents pour justifier les limites de leurs actions et investissements. La crise sanitaire de Coronavirus de 2020 figure parmi les causes profondes, qui vont retarder la marche de l'histoire vers la modernité. 

Dans le cas de la République d'Haïti, cette grande nation, qui malheureusement pourrait sans grand mal justifier à son tour  ses retards considérables ou tout simplement son choix de revenir en arrière, entre l'âge de la pierre et au temps des  affrontements entre les Cacos et des Piquets.  Même et si ces nouveaux chefs de guerre sont de nos jours mieux armés, équipés, encadrés et protégés pour s’affronter sur tous les terrains de jeu, ces nouveaux mercenaires locaux et très peu attachés à une vision patriotique, à un idéal politique, et à un projet socio-économique ne pourront pas s'inscrire avec grandeur dans l'histoire avec honneur, en raison du poids de leurs passifs.  

Devoir de mémoire et engagement social face à l’histoire, ces derniers passent nettement à côté de ces valeurs. De telles dimensions représentent parmi les deux concepts qui mériteraient une place importante dans les débats et les discours publics, politiques, et médiatiques à l’approche des deux grandes dates phares qui débutent les deux mois majeurs dans l’histoire d'Haïti. Le 1 novembre et le 1er janvier, constituent dans l'agenda historique du peuple haïtien, les deux journées phares partagées entre le symbolisme des relations entre la vie et la mort, et des relations internationales entre le droit et la dignité. 

Dans la journée du 1er novembre dédiée aux morts, en Haïti à travers la combinaison de la fête Guédé et la Toussaint, une tradition également partagée dans plusieurs autres cultures et pays qui célèbrent les Halloweens, les vivants sont invités à se remémorer des souvenirs de leurs ancêtres et des êtres chers et importants qui continuent d'influencer l'histoire. Pourquoi et comment développer un modèle d'éducation sur les divers enseignements sur l'importance de la mort et ses avantages ? Pourquoi et comment certains anonymes entrent-ils dans l'histoire, pendant que des célébrités tombent dans l'oubli, qui est une autre forme de mort sociale ?   

Des membres de nombreuses familles haïtiennes évoluant dans plusieurs communautés qui composent la diaspora, souvent hostiles aux traditions Guédé, mais si tolérants et adhérents aux traditions Halloweens, ne profitent pas assez des principales leçons qui enseignent les valeurs et la vision de la mort. Cette dynamique migratoire accélérée est souvent le résultat provoqué par la course pour fuir la mort. Quand la porte de l'exil s'ouvre, ce sont souvent les portes de l'histoire qui se referment face à de nombreux acteurs survivants, qui se justifient des jours de plus entre la lâcheté, la bravoure et la stratégie de survie. 

Des représentations de crânes humains, différentes parties de la squelette, des ossements de toutes les tailles, des vieux tissus mortuaires et tout le décor interne et les accessoires intimes  du cimetière sont visibles dans les grands magasins établis dans les pays occidentaux, quand ils n'ont pas les salons ou l'entrée principale les bâtiments, des espaces publics et des résidences dans plusieurs grandes villes et des localités éloignées et oubliées, qui conservent et renouvellent cette double tradition envers les morts et l’histoire. En toute logique, cette dynamique sociale et philosophique nous impose cette conclusion logique qu'aucun être humain  ne rentre  vivant dans l’histoire. 

Des questions simples, mais pertinentes serviront quand même des fils pour accrocher certains esprits qui tiennent encore leurs plis, après et malgré toutes ces lessives répétées, renouvelées, renforcées et imposées tant au tissue social haïtien, ainsi qu’aux membres très solitaires, et aux organisations encore solidaires, qui composent la réserve saine de la diaspora haïtienne éparpillée dans le monde.  Entre les hommes et les femmes qui affrontent les risques sur le terrain en Haïti, et leurs proches qui  interviennent à distance, laquelle de ces deux catégories va pouvoir occuper les meilleures places en poussant les portes de l'histoire ? 

Dans tous les cours enseignés dans le système éducatif en Haïti et dans beaucoup d’autres pays dans le monde, à travers les différentes disciplines théoriques, techniques, scientifiques, pratiques et culturelles, la pédagogie des morts est formulée à sens unique. On n’apprend trop souvent aux enfants, aux jeunes et aux universitaires à consommer les connaissances séculaires laissées en héritage et en partage par ces absents, sans pour autant rappeler à ces apprenants,  l’importance symbolique et l’influence active des morts dans l’enrichissement qualitatif et quantitatif de l’histoire contemporaine et le devenir des peuples et nations.  

De toutes ces références de personnalités historiques, culturelles et scientifiques, il faudra montrer aux générations présentes et futures, comment ces dernières sont-elles arrivées à surmonter autant de défis pour s’inscrire dans  l’imaginaire, la culture et la nomenclature des institutions? À travers les guerres, la colonisation, les manipulations, la validation des inventions, des créations, l'affirmation, les représentations et les illusions de pouvoir, les impositions de valeurs, la migration, les confrontations idéologiques, et les sacrifices humains et mystiques, les vols, les catastrophes et les crises,  les transactions légales et illégales les hommes et les femmes entrent dans l'histoire de manière verticale et horizontale ?

Dans chaque pas de notre existence, qui mène vers  l’incontournable escalier de la mort incontournable, ce passage obligé, servant de passerelle pour nous rapprocher de la porte de l’histoire, les fantômes des anciens vivants se battent continuellement pour tenter de rester à la première place dans chaque domaine. Seuls les vrais accomplissements qui portent les marques de l'héroïsme, des engagements et des sacrifices impayables au profit de l'humanité, dans l'intérêt des nations et des communautés servent de billet d'entrée pour accéder à la porte de l’histoire.

Dessalines le premier des Haïtiens, et des empereurs de cette terre, Jacques 1er ne dira pas le contraire, sur la place que la mort joue dans dans l'accession d'une nouvelle vie dans l'enseignement de l'histoire. À travers le morcellement de son corps mutilé, comme le rapporte l'histoire,  chacune de ses parties écrasées ou écartées ont servi  d’engrais à la terre. Cette terre qui va continuer de nourrir les rêves et  la mémoire de plusieurs civilisations, des tribus et des nations descendantes d’Afrique. Ce qui nous impose à conclure que la marche vers le renouveau de l'être haïtien doit obligatoirement passer les enseignements sur la sagesse, les secrets et la science de la mort. 

Du haut de ses 45 ans accomplis en 1803, le général Jean-Jacques Dessalines a accompli par son leadership courageux et ses sacrifices impayables, des exploits que les générations contemporaines prendront du temps à mesurer la grandeur. Grâce à lui, un nouvel ordre mondial a été inventé dans l'histoire de l'humanité. Pour la liberté et  la dignité humaine, sans aucune distinction et discrimination, il est rentré dans debout dans l'histoire. 

 

Dominique Domerçant           

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES