Port-au-Prince s’élève au prolongement des rives mouillées par sa baie et en aval de ses bassins versants qui drainent les eaux pluviales vers la mer. Le système de canalisation qui protégeait la ville contre les inondations dues aux averses a été obstrué par le manque de curage municipal. Aussi, les eaux pluviales quittent les égouts et font des lacs sur les chaussées qui se creusent pour empêcher la circulation des voitures et des piétons.
Le bois de chêne est connu historiquement pour les liens qu’il établit entre les hauteurs et les bas de la ville, dont le Bas peu de chose qui ouvre son cœur de fête et de joie mystérieuse à la rue Magloire Amboise. Mais, ce canal des eaux pluviales connait les effets de la dégradation environnementale. En effet, il est rempli de la terre sablonneuse de l’érosion des mornes déboisées et confortant des habitats précaires et des détritus de l’incivisme des consommateurs urbains. Ce qui contribue à faire déverser ses eaux pluviales à la rue Magloire Amboise. Tandis que cette rue qu’empruntent traditionnellement les riverains des quartiers de Carrefour-feuilles se rendant au Champ de Mars du carnaval culturel des Haïtiens est au nombre des itinéraires principaux des ministres du touriste, du commerce et de l’industrie.
Le spectacle d’insanité et de délabrement qui s’y offre au regard du photographe en quête de l’insolite urbain, après les averses de pluie, ne peut guère favoriser un discours élogieux du tourisme haïtien, encore moins d’une économie et d’une industrie haïtienne de développement et de bien-être. C’est toujours au gré des cyclones et des pluies diluviennes que le Bois de Chêne vomit ses entrailles ordurières sur une chaussée boueuse et en morceaux d’asphalte délavés. Avec une vue en perspective où se découvrent les deux immeubles de service public, dont celui du ministère du Commerce et de l’Industrie avec ses airs de modernité, et celui du ministère du Tourisme qui garde une apparence de tradition avec son architecture horizontale. Une pollution égoutière et contagieuse, qui ne cesse qu’à un terminus désastreux, fermant les portes du Théâtre national, lieu de spectacle artistique et culturel. Terminus qui orne d’images malsaines le Bicentenaire qui avait inspiré les Dominicains à entreprendre l’érection du Malecon boulevard, aujourd’hui assiégé par les gangs armés du village de Dieu.
Port-au-Prince a une histoire de culture urbaine qui ne met jamais en marge le Bas peu de chose. Et ce quartier du centre-ville n’existe pas sans le repère qu’est la rue Magloire Amboise. Autrefois, très attrayant pour ces snack-bar, ses épiceries, ses boutiques de prêt-à-porter, et ses maisons modestes avec des devantures décorées de fleurs, la rue Magloire Amboise a connu une vague de migration qui a transformé son atmosphère agréable aux promenades vespérales. Elle a perdu de ses aspects architecturaux. Peut-être que l’on peut voir les camionnettes arc-en-célisées et sonorisées à la file indienne dans cette rue portant encore le nom du général jacmélien. Mais, celles-ci n’ajoutent plus cette candeur presque rustique et très artisanale qui contrastait à une ambiance d’urbanité et de modernité.
Aujourd’hui, ceux et celles qui sont nés dans les années 1980 ou avant, auraient certainement la nostalgie et la mélancolie de s’y promener. Surtout après ces pluies qui révèlent que Port-au-Prince ne connait pas la croissance et l’harmonie du progrès de l’urbanisation. Une Port-au-Prince, construite en 1749 sur l’habitation Randot, qui a supporté au cours des ans le Bois de chêne qui existe comme une écharde rongeant son cœur palpitant au Champ de Mars des bronzes héroïques.
21 octobre 2023
Cheriscler Evens
Journaliste et enseignant
Pour une politique de gestion de l’urbain !