Avenue John Brown (Lalue) est au nombre des patrimoines urbains nationaux en dégradation

Ouvertes comme des plaies, les rues de la zone métropolitaine souffrent du mauvais entretien public. Egouts béants, trottoirs impraticables, et routes défoncées. Les riverains de la rue Capois, de l’Avenue Christophe, de la rue Magloire Amboise, piétons ou passagers d’automobile, ne trouvent pas la facilité de circulation d’autrefois. Ceux qui s’aventurent à Lalue, l’Avenue John Brown, n’ont pas un meilleur sort dans une rue qui offrait, par le passé, des allées presque romantiques pour des promenades vespérales. Et les responsables du Fonds d’entretien routier (FER) semblent être au repos, ou n’assument pas la fonction publique qui relève de leurs compétences.

Historiquement connue comme la voie principale menant vers Pétion-ville et Canapé-Vert, l’Avenue John Brown a perdu de ses attraits. Cette voie publique a connu des transformations physiques et sociales, sous l’effet de la migration urbaine et du développement des petites et moyennes entreprises. Mais, elle ne cesse de se dégrader sous les pluies torrentielles qui la souillent des ordures polluantes qui ne sont pas vraiment l’objet des soucis permanents des services de la voirie de la mairie de Port-au-Prince. Ses vieux trottoirs sont les proies de petits commerçants de l’économie informelle, empêchant la circulation libre des piétons. Ce qui contribue à créer plus d’insécurité routière. Mais, Lalue ne fait que refléter la misère et la pauvreté qui rongent les campagnes qui drainent leurs populations vers les différents quartiers populaires. Ces grandes poches de misères économiques et culturelles qui se situent dans les artères générant les violences armées et menaçant en permanence de faire cesser de battre le cœur en agonie de Port-au-Prince qu’est le Champ de Mars. Le seul trône que partagent Dessalines, Pétion, Christophe et Capois demeurant mystérieux et fiers dans le bronze et leur allure de gloire éternelle.

Les belles vitrines des fleuristes côtoyant les singulières maisons à l’architecture Gingerbread, style architectural américain dominant de l’époque de l’occupation de 1915, ont disparu de l’horizon. Plus de fleurs ornementales apparaissant aux faits des clôtures ou entre les grilles des portails des maisons pour accompagner les promeneurs.

Cette voie publique souffrant de multiple furoncles, accueille quelques services de la Direction générale des impôts (DGI) dans l’ancien bâtiment ayant logé la PROMOBANK, l’office de l’état civil de la section Nord, les services de l’immigration et de la migration, l’office de la protection du citoyen. Et malgré cette forte présence des institutions publiques qui s’alignent le long de cette voie aux courbes subtiles, celle-ci ne jouit pas d’une attention particulière du Fonds d’entretien routier.

Comme repères toponymiques et historiques marquant fortement l’identité de la ville de Port-au-Prince, dans les sillages de l’Avenue John Brown se dessinent les courbes de Poste Marchand que louent artistes et écrivains dans les œuvres musicales et littéraires. On peut y apercevoir le seuil d’entrée de la ruelle Vaillant gardant douloureusement les traces de la mémoire tragique du massacre au cours des élections du 29 novembre 1987. Et pour se rendre à Pétion-ville, à Delmas, et Canapé-vert, les bus, camionnettes, et voitures de luxe y traversent comme dans un film en noir et blanc, le carrefour Alix-Roy s’apparentant à un point symétrique entre Pétion-ville et Port-au-Prince, et menant au Pont Morin qui laissait dominer l’immeuble de la TELECO que remplace la nouvelle compagnie de la téléphonie mobile la NATCOM.

L’évolution de l’une des traditions culturelles nationales a contribué à mettre Lalue en scène, à l’instar des trois jours gras qui valorisent le boulevard Harry Truman (Bicentenaire), mais sans lui donner les apparats qui lui conviennent. En effet, les dimanches pré-carnavalesques sont devenues des occasions de fête pour les fervents des trois jours gras devant clôturer ces moments de loisirs dominicaux. Un fait culturel qui s’est traditionnalisé pour renforcer l’aspect patrimonial de cette voie publique.

Mais, comme par une contagion inexplicable, Bicentenaire s’est dégradé sous l’effet des violences des gangs assiégeant les quartiers de Village de Dieu, de Martissant, tandis que Lalue se dégrade progressivement sous les effets des pluies et des pratiques socioéconomiques.

Et malheureusement, c’est pour la nostalgie de ceux et celles ayant vécu dans le Port-au-Prince au cours des ans de Georges Corvington, à l’insu de ceux et celles qui ne se regardent pas vivre dans un environnement qui se dégrade, et à l’irresponsabilité de ceux et celles qui ont le devoir de protéger les patrimoines publique, que l’Avenue John Brown s’efface de la carte de la géographie sociale et culturelle de la principale ville et capitale de la République d’Haïti. Qui sauveront nos rues qui sont des patrimoines nationaux ?  En espérant de trouver une réponse concertée, saluons l’effort de  l’ISPAN qui vient de courir au secours de Vertières et de Barrière Bouteille dans la ville du Cap. Une ville historique qui ne cesse de perdre aussi son identité.

 

6 octobre 2023

CHERISCLER Evens

Journaliste et enseignant

Sauvons nos patrimoines nationaux !

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES