Haïtiens en République dominicaine entre insécurité et discrimination

La tension monte d'un cran entre la République dominicaine et Haïti, suite à la décision de citoyens haïtiens de terminer un canal d'irrigation sur la rivière Massacre. Le président dominicain Luis Abinader a pris la décision de fermer toutes les frontières avec Haïti, paralysant les activités économiques et plongeant dans l'inquiétude la plus totale les compatriotes haïtiens qui se sont installés sur son sol.

« Même avant le conflit, la migration dominicaine traquait les Haïtiens. Certains paient parfois de fortes sommes d'argent pour être relâchés, ceux qui n'ont pas les moyens sont gardés dans des conditions inhumaines pendant plusieurs jours avant d'être renvoyés en Haïti », indique Wassline Romelus qui vit en République dominicaine. Elle ajoute que des compatriotes arrêtés lui ont rapporté qu'ils étaient parfois entassés dans des chambres contenant des insectes comme le ver.

Selon cette jeune fille de 25 ans qui a fui Haïti en cause de l'insécurité galopante, la situation s'est nettement dégradée pour les Haïtiens vivant en République dominicaine depuis le conflit opposant les deux pays. « Même les agents de l'ordre qui ne sont pas affectés au service de l'immigration arrêtent les Haïtiens avec ou sans papiers, au point que les Haïtiens ont peur de circuler dans les rues », déplore-t-elle.

Pour Wassline Romelus, les Dominicains sont racistes et nourrissent une haine profonde à l'égard des Haïtiens. « Si 100 Dominicains se trouvent dans un bus et il y a un seul Haïtien, s'ils sentent une odeur nauséabonde, ils accusent tout bonnement l'Haïtien. Pour eux, les Haïtiens sont synonymes de tout ce qui est mauvais et n'ont aucun droit, alors qu'en République dominicaine la situation sécuritaire n'est pas reluisante, sauf qu'on n'en parle pas dans les infos », souligne-t-elle.

Elle appelle à la poursuite des travaux initiés dans le canal d'irrigation sur la rivière Massacre à Wanament dans le département du Nord-Est, indiquant que Haïti ne peut et ne doit pas dépendre totalement de la République dominicaine, alors que toutes les conditions sont réunies pour produire de la nourriture.

Samuel Alphael, qui vit en République dominicaine depuis 3 ans, déclare se sentir en insécurité, car il n'est pas libre de circuler. Il indique que les policiers arnaquent constamment les Haïtiens, mais cette situation ne date pas d'hier, mais on en parle un peu plus à présent selon lui.

De ce fait, il estime que l'arrêt des ouvrages dans le canal ne favorisera pas réellement l'amélioration des conditions des Haïtiens vivant en terre voisine. M. Alphael qualifie de raciste la décision qui avait été prise par la Fédération nationale des Travailleurs chrétiens des Transports sociaux, d'interdire les Haïtiens dans les transports publics. Il considère que c'est une façon pour eux de rejeter toutes les personnes de nationalité haïtienne alors que, dit-il, l'économie du pays repose en grande partie sur la présence des Haïtiens .

À New York, des Haïtiens ont manifesté pour signifier à Luis Abinader ce qu'ils pensent de sa politique à leur égard. Alors que ce dernier participait à un débat organisé à l’Université Columbia à New York, un groupe de manifestants haïtiens tenait un sit-in devant les locaux de l’institution pour protester contre sa présence. Les manifestants ont qualifié le chef de l’État dominicain de raciste, de xénophobe et d’égoïste. Ces compatriotes entendaient, à travers ce mouvement, dénoncer les décisions prises par Luis Abinader à cause de la construction du canal au niveau de la ligne frontalière de Ouanaminthe.

Dans un communiqué du lundi 18 septembre 2023, l'expert des Nations Unies en Droits de l'Homme, William O'Neill, a lancé un appel urgent à la réouverture de la frontière entre Haïti et la République dominicaine pour des raisons humanitaires. William O'Neill a souligné que la vie de nombreux Haïtiens dépend de l'accès à la République dominicaine, dont 25 % de la nourriture provient. De plus, de nombreuses écoles de la zone frontalière dépendent des aliments en provenance de la République dominicaine pour les repas de leurs élèves, et l'accès à l'eau serait également entravé.

En réponse à cet appel, le gouvernement de la République dominicaine a rejeté catégoriquement les demandes de réouverture de la frontière. Cependant, Luis Abinader déclare être ouvert à la médiation des Nations Unies, dans le cadre du conflit qui oppose son pays à Haïti concernant la construction du canal sur la rivière Massacre.

« Ce que je pense, c'est qu'ils peuvent aussi être des médiateurs… La seule chose que nous voulons, c'est que le traité soit respecté, que les accords internationaux soient respectés. S'ils arrêtent cette construction, alors nous nous assoirons pour discuter », a déclaré Abinader.

Cependant, il a posé une condition, à savoir l'arrêt immédiat de la construction de l'ouvrage, qu'il estime être en violation de l'accord paraphé entre les deux pays. Le numéro un de la république voisine indique que cette construction viole le Traité de paix, d'amitié et d'arbitrage signé en 1929 entre les deux pays, qui interdit explicitement, selon lui, à l'un d'entre eux de détourner l'eau de la rivière. Soulignons que depuis 2021 des experts ont établi que le canal en construction sur la partie haïtienne ne peut dévier la rivière.

 

Esdra Jeudy 

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

3 COMMENTAIRES