Quand des journalistes américains investiguent sur les méfaits coloniaux

L’enquête New York Times sur des faits d’histoire troublants de notre pays a eu l’effet d’une bombe dans l’opinion publique.

L’impact de l’articlene tient pas tant aux informations révélées qui étaient plus ou moins connues de la plupart des intellectuelsqui se sont tant soit peu penchés sur notre Histoire, mais sur la qualité de la documentation et « l’objectivité » du travail.

 L’équipe de journalistes composée de Catherine Porter, SelamGebrekidan, Constant Meheut, Matt Apuzzo a potassé des milliers de documents, rencontré des économistes et historiens, dont l’Haïtien Georges Michel et l’économiste français Thomas Piketty, pour révéler au commun des lecteurs du monde entier comment ont été ruinés dès le début les fondements de la nation haïtienne. Ils ont à travers une démarche scientifique balisé le parcours malaisé d’un jeune État accouché aux forceps, mais dont le cordon ombilical n’a pas été coupé et a même servi à quasi suffoquer le « nouveau-né ».

«  Haïti fut la première nation moderne à obtenir son indépendance grâce à une révolte d’esclaves, avant d’être entravé financièrement sur plusieurs générations par les réparations exigées au bénéfice des anciens colons français…et au moment où ces paiements étaient sur le point d’être acquittés,le Crédit industriel et commercial et sa Banque Nationale-ceux-là qui portaient une promesse d’indépendance financière-ont enfermé Haïti dans un tourbillon de nouvelles dettes s’étalant sur plusieurs décennies », peut-on lire dans l’article du célèbre journal de la CôteEst des États-Unis.Le texte a aussi mis en exergue le fait que : « La Banque Nationale était contrôlée depuis Paris par des membres de l’élite française, y compris un descendant d’un des plus riches esclavagistes de Saint-Domingue. Les livres de comptes ne laissent percevoir aucune trace d’investissement dans des entreprises haïtiennes ou dans d’ambitieux projets comme ceux ayant modernisé l’Europe ».

Certaines personnes se demandent pourquoi un influent journal américain s’intéresse d’aussi près et avec autant d’impartialité sur cette partie sombre du développement des impérialismesfrançais et américain. Elles oublient trop vite que malgré ses tares, la démocratie occidentale a aussi certains principes, dont une certaine tolérance dans la liberté d’expression. Un Jean Luc Mélanchon ou Pape N’Diaye, malgré le procès en sorcellerie qui leur est fait systématiquement, ont eu le courage de leurs idées.

L’équipe du New York Times n’a pas monté un dossier à charge contre l’ancienne France coloniale, elle a aussi rappelé le fait que le 17 décembre 1914, huit marines américains franchissaient le seuil de la Banque Nationale d’Haïti en début d’après-midi et en ressortent les bras chargés de caisses en bois remplies d’or, comme dans un western digne de Hollywood.

Le rôle affligeant des élites haïtiennes dans cette situation n’est passé sous silence, leur cynisme et leur manque de patriotisme ont été aussi relevés au passage à travers des faits dans le pur style d’enquête à l’américaine.

On pourra toujours, dans notre méfiance habituelle, interroger les intentions de ce puissant journal américain, mais il faut reconnaitre le caractère objectif et honnête d’un travail de recherche qui jette une lumière crue sur une histoire d’Haïti qu’on n’a pas cessé d’occulter et que cette équipe révèle aux nombreux lecteurs du XXIe siècle.

 

Roody Edmé

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