Regard sur le cadrage du redressement économique du Conseil Présidentiel de Transition

Contexte

Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), via le Conseiller Présidentiel Fritz A. Jean, vient de communiquer au Premier Ministre Gary Connille la lettre de cadrage du redressement économique, l’un des 5 chantiers prévus comme objectifs à atteindre par le nouveau gouvernement. Constitué de trois parties dont la première expose l’état de la situation économique, la deuxième esquisse l’essence des actions à entreprendre pour entamer le redressement économique et la troisième indique les démarches identifiant la provenance des ressources devant permettre de concrétiser ledit redressement. L’observation critique porte sur la deuxième partie pour évaluer la faisabilité des propositions d’actions en vertu de la durée du mandat du CPT. Elle repose sur trois piliers dont : la reconstruction du capital physique et autres réaménagements, la reconstitution du capital humain et les programmes de protection et de promotions sociales adaptés.

 

Des objectifs trop ambitieux

Au délai imparti à ce gouvernement spécial de transition, le cadrage du redressement économique est trop ambitieux considérant les actions premières envisagées qui vont nécessiter des débours considérables face l’assèchement du trésor public résultant du dysfonctionnement économique provoqué par l’insécurité généralisée. En effet, la paralysie du transport public mettant en agonie échanges commerciaux entre les zones ou régions géographiques, la fermeture des ports neutralisant les activités d’importation et d’exportation et celle des entreprises privées dont la compression du personnel constituent un manque à gagner de l’État en termes d’impôts directs et indirects comme sources primaires de revenus publics, lesquels pourraient être utilisés pour lancer le redressement prévu par le cadrage.

 

Du premier pilier

La reconstitution du capital physique via la réhabilitation des voies terrestres : routes nationales 3 1, 2 ou 3 devant favoriser les échanges, qui initialement dépend du rétablissement de la sécurité nécessiterait une alimentation soutenue de ressources financières pour remettre à point les conditions susceptibles de favoriser la reprise normale des activités économiques. Si à côté de l’assainissement des quartiers de Port-au-Prince, le cadrage considère la réhabilitation des infrastructures routières comme des activités à haute intensité de main-d’œuvre ; et donc une source sûre de création d’emplois, en termes d’investissements publics et privés, l’incapacité du trésor public ou du marché financier de répondre aux besoins du démarrage ne rend pas justice à ces actions. Aussi correctes qu’elles puissent être, stratégiquement, elles ne sont pas pratiques comme premières actions à entreprendre par le gouvernement. Peut-être dans un deuxième temps elles pourraient être entamées une fois la sécurité rétablie en tout premier lieu puis des activités de production génératrices de revenus rapides stimulés.

Cela dit, le cadrage devrait plutôt mettre l’accent sur une stratégie de développement économique encourageant des activités capables de créer le plus d’emplois que possible en un temps record. L’avantage serait double avec la création ou l’élargissement du pouvoir d’achat de la population qui devient la source sine qua non de revenu public de l’État via le prélèvement des impôts sur le revenu et des taxes à la consommation. Ce faisant, l’assiette fiscale de l’État serait assez bien garnie pour entamer le processus de reconstitution du capital physique tel qu’envisagé. Ce qui projette tout dans une période au-delà du temps de vie du CPT.

 

Du deuxième pilier

Il en est de même pour le volet de reconstitution du capital humain prescrit par le cadrage en termes de bourses d’études, de prêts étudiants et de subventions à attribuer aux entités universitaires. Cette politique commanderait des ressources financières considérables qui n’existent pas comme déjà explicitées plus haut. En outre, cette politique inappropriée à la réalité vue qu’il s’agit d’attribuer des fonds de répartition aux institutions d’enseignement supérieur victimes de saccage et de pillage. Elle ne saurait non plus permettre de combler le vide enregistré par le départ des jeunes cadres. L’approche la plus pratique serait de définir des politiques publiques pouvant retenir les jeunes en qui un investissement considérable a déjà été consenti.

Ce serait une politique d’ouverture pouvant intégrer au sein de l’administration publique les cadres formés par les institutions publiques sous formes de stages à y effectuer dès leur deuxième année universitaire et d’embauche automatique en fin de cycle d’études, moyennant une évaluation permettant d’identifier et de retenir les meilleurs. Sachant que cette opportunité existe comme une garantie d’emploi après leurs études universitaires, il n’y a aucune raison pour eux de partir vers d’autres cieux pour se réaliser sur le plan économique. S’il faut qu’ils partent pour parfaire leurs études, ce serait fait dans le cadre de cette politique publique de rétention de nos diplômés où leurs formations avancées seraient prises en charge par l’Etat et avec la garantie de promotion dans la fonction publique après leur retour au pays.

 

Du troisième pilier

Le troisième pilier du redressement économique traitant des programmes de protection et promotion sociales adaptés n’est pas non plus exempt de la faiblesse financière du gouvernement qui doit y faire face, aussi noble qu’il soit, parce qu’il est davantage budgétivore sur une très longue période et nécessite de fortes subventions directes aux victimes pour améliorer leurs conditions de vie en attendant que soit changée leur situation économique où ils peuvent subvenir à leurs besoins sans assistance publique. Les piliers du redressement économique par leurs justes valeurs socio-économiques dans le redressement économique s’avèrent très ambitieux et ne tiennent que dans un programme de gouvernement axé fondamentalement sur un mandat électoral sans souci d’un trésor public mis à sec.

 

Des sources potentielles de financement

La troisième partie identifiant les potentielles sources de financement du redressement est bien envisagée, parce qu’il s’agit de secteurs privilégiés de financement de tout ordre public et privé dans une économie. Moyennant des politiques monétaires appropriées capables d’accompagner le gouvernement dans sa stratégie de développement économique, il est une question de temps pour stimuler l’investissement dans l’économie en succédant le rétablissement de la sécurité afin de favoriser la reprise des activités économiques pour assurer une entrée sûre de revenu public à l’État. Si la durée de vie de ce gouvernement spécial ne va pas permettre un redressement économique comme prescrit le cadrage, il est certain que l’approche pragmatique proposée partant impérativement de la reprise des activités économiques avant d’entamer la reconstitution du capital physique, de celui humain et de l’accompagnement social puisse favoriser un terrain fertile aux chantiers de refonte constitutionnelle et de retour à un gouvernement constitutionnel et d’effectivité des prescrits dudit cadrage.

 

Jean POINCY

Vice-recteur aux affaires académiques

Université d’Etat d’Haïti

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