CÉLÉBRATION

« Il s’agit de donner à Toussaint Louverture et à la révolution haïtienne leur place », déclare le ministre français de l’Éducation nationale Pap Ndiaye

Le 7 avril 2023, à l’occasion du 220e anniversaire de la mort de Toussaint Louverture, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, la Région Île-de-France et le Centre des monuments nationaux ont organisé, au Panthéon, une cérémonie d’hommage au général en chef de l’armée française et gouverneur de Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti.

Plus de deux cents personnes (1) ont répondu à l’invitation. Parmi lesquelles Pap Ndiaye, ministre français de l’Éducation nationale, Jean-Marc Ayrault, ancien premier ministre et président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME), Jean Josué Pierre Dahomey, ambassadeur d’Haïti en France ainsi qu’un grand nombre d’élus locaux franco-haïtiens, de représentants d’associations et d’artistes.

La voix de la diva nationale, Emeline Michel, retentit la première pour entonner « La Dessalinienne ». À laquelle répondit le célèbre baryton James Germain avec « La Marseillaise ».

L’administratrice du Panthéon, Centre des monuments historiques, Barbara Wolffer, dans son mot d’ouverture, a rappelé qu’une plaque gravée a été posée dans la crypte du Panthéon, en avril 1998, en hommage à Toussaint Louverture. On peut y lire ces mots : « À la mémoire de Toussaint Louverture, combattant de la liberté, artisan de l’abolition de l’esclavage, héros haïtien, mort déporté au Fort de Joux en 1803

« Nous sommes tous des héritiers de Toussaint Louverture », a rappelé dans son discours, l’ambassadeur d’Haïti en France, Jean Josué Pierre Dahomey. C’est sous son impulsion que les droits de l’homme ont atteint leur dimension concrète au-delà des frontières de couleur, de race et de condition sociale ». Le représentant haïtien saisit l’occasion pour lancer un appel au regard de la crise sans précédent dans son histoire que traverse Haïti : « La cause haïtienne ne doit pas être laissée aux aléas des conjonctures dévastatrices. Voilà pourquoi, je prends à témoin la mémoire de Toussaint Louverture pour enjoindre la France républicaine à une solidarité plus agissante en faveur de la cause haïtienne. (…) La cause haïtienne est celle de la protection et de la sécurité d’un peuple digne. Mais en proie à la violence aveugle du grand banditisme (…).

Jean-Marc Ayrault a voulu, au nom de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage qu’il préside,  « rendre cet hommage à Toussaint Louverture, mort, il y a 220 ans, au fort de Joux, loin de sa terre natale ». (…), Considérant que c’est une « réparation due par la République française à un homme qui crut en elle, qui la défendit et qui fut trahi, déporté sans procès ». De sa mort Victor Schœlcher écrira plus tard que sa disparition « fut un assassinat plus hideux encore que celui du duc d'Enghien, par le froid et la misère », a ajouté l’ancien maire de Nantes. Il a ensuite déclaré que cet hommage « est aussi une réparation due par la France à l’Histoire. Celle de la révolution haïtienne, qui, en poussant les révolutionnaires français à abolir l’esclavage en 1794, les a aidés à accomplir enfin la grande promesse universaliste qu’ils avaient lancée en 1789 en adoptant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »

 

« Toussaint Louverture imaginait l’avenir »

Prenant à témoin le ministre de l’Éducation nationale, celui qui fut le premier chef de gouvernement de François Hollande déplore que la révolution haïtienne ne figure pas dans les programmes officiels d’histoire dédiés aux élèves de l’enseignement général de l’Hexagone. Cet hommage, selon lui, « est enfin une réparation due au peuple haïtien, qui après la mort de Toussaint Louverture s’arracha à la colonisation, et auquel la France de la Restauration fit payer un prix exorbitant, qui l’enchaîna de nouveau, non plus à l’esclavage, mais à la dette, que ce pays dut rembourser jusque dans les années 1950. Cette dette crée une responsabilité à la France (…) celle de ne jamais oublier Haïti, ni ce lien spécial que l’Histoire a noué entre nos deux pays. Un lien de fraternité qu’il est plus que jamais nécessaire de faire vivre.», a poursuivi Jean-Marc Ayrault.

Le président de la FME exhorte à avoir « une pensée particulière pour le peuple haïtien. Pour son courage, pour sa résilience, pour cette force qu’il a d’être lui-même en toutes circonstances ». Et il formule le vœu pour que Haïti ne reste pas seul face aux épreuves terribles auxquelles ce pays est soumis depuis trop longtemps. Cette force, dit-il, continue de parler au monde, comme elle le faisait par la bouche de Toussaint Louverture, dans la déclaration de l’indépendance d’Haïti et comme elle continue de le faire depuis plus de 200 ans dans l’inspiration de tous ses artistes qui portent ce message de liberté et d’égalité, depuis Haïti et dans la diaspora.

En rappelant que Toussaint Louverture est un « homme de son temps », le Premier ministre a tenu à préciser que son temps était « celui de la Révolution, de l’abolition de l’esclavage, de la tentative de construire une République égalitaire jusque dans les Caraïbes, sans distinction de couleur entre ses citoyens ». Alors que le Premier consul, Napoléon, pensait à rétablir l’esclavage, « Toussaint Louverture, lui, imaginait l’avenir, et c’est ce qui fait que c’est à lui que nous rendons hommage aujourd’hui ».

L’acteur Jimmy Jean-Louis, qui a incarné le rôle de Toussaint Louverture dans un film, sorti en 2012, a lu avec un peu d’émotion dans la voix, une lettre qu’il entendait remettre aux ministres présents, à l’intention du président de la République française, lui demandant, notamment, en sa qualité de membre du Core Group, regroupement des cinq pays appelés « les amis d’Haïti », et au nom des liens historiques reliant la France et Haïti de bien vouloir « appuyer toutes les initiatives locales et internationales visant une résolution de la crise que traverse le pays tant au niveau sécuritaire qu’institutionnel ».

Le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye a rappelé que Toussaint Louverture fut « un général de la République, défenseur des valeurs fondatrices et universelles de la République, que la République rend hommage aujourd’hui ». Se référant au transfert au Panthéon, en 1998, des cendres du combattant pour la liberté des Noirs, et de la plaque gravée en son honneur, le représentant du gouvernement français a ensuite souligné qu’il a fallu presque deux siècles (1803-1998) pour que la France rende un hommage officiel à Toussaint Louverture « que sa destinée exceptionnelle justifiait depuis si longtemps ». 

Rappelant qu’un hommage avait été déjà rendu par Alphonse de Lamartine, Victor Schœlcher, Aimé Césaire, Édouard Glissant, qui y ont chacun consacré une œuvre, le ministre se dit « heureux de pouvoir le faire au nom du gouvernement français. Parce que le combat de Toussaint Louverture, « pour que la liberté et l’égalité règnent », pour reprendre ses propres termes, est plus que jamais actuel. Il est plus que jamais le nôtre et celui de la jeunesse ».

 

Au cœur du combat quotidien contre le racisme

Selon lui, l’histoire de la révolution haïtienne si centrale dans l’histoire des révolutions atlantiques et donc dans l’histoire du monde, tant son retentissement fut planétaire, doit être connue de toutes et tous. C’est pour cela qu’il annonce, répondant à Jean-Marc Ayrault, que « le ministère de l’Éducation nationale doit y travailler et travaille, pour cela, avec la Fondation pour la mémoire de l’esclavage dans le cadre de la convention qui les réunit depuis 2021. La connaissance de l’histoire de l’esclavage, dans l’empire colonial français et les combats pour son abolition, repose en premier lieu sur l’enseignement éclairé par la recherche ». « Il s’agit, a-t-il poursuivi, de donner à Toussaint Louverture et à la révolution haïtienne leur place. »

Le ministre croit que la transmission de l’histoire de l’esclavage et de ses abolitions est aussi au cœur du combat quotidien contre le racisme et les discriminations. Le ministère de l’Éducation nationale veut proposer aux élèves pendant leur scolarité la visite d’un lieu de mémoire et notamment des lieux en France évoquant Toussaint Louverture.

La Fondation pour la mémoire de l’esclavage et le Centre des monuments nationaux vont consacrer cet automne une exposition exceptionnelle sur les héroïnes et les héros de la liberté. Le ministre de l’Éducation nationale « forme le vœu que les visiteurs scolaires soient nombreux » à la visiter.

« Ce que cette cérémonie s’emploie à réparer ce soir, c’est l’oubli, c’est l’effacement de Toussaint Louverture, a martelé le ministre. Ce, alors qu’il est partie intégrante de notre histoire, de l’histoire des empires, et de celle de la décolonisation, mais aussi l’histoire intellectuelle du monde des humains. Afin que, comme l’écrit Michel Rolf Trouillot, il y a plus de trente ans, ce passé ne soit plus passé sous silence ». Il a conclu ses propos avec les mots célèbres que Toussaint Louverture a prononcés en quittant Saint-Domingue, lors de son arrestation par les hommes de premier consul Bonaparte: « En me renversant, on n’a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l’arbre de la liberté des noirs. Il repoussera par les racines parce qu’elles sont profondes et nombreuses ». Et d’ajouter sur la même lancée : « Puisse cet arbre de la liberté fleurir et refleurir chaque année. Puissent ses racines courir de la terre chaude d’Haïti à celle froide de l’Ukraine martyrisée. Car cet arbre-là, celui de Toussaint Louverture, est l’arbre universel et immortel de l’aspiration intransigeante de tous les opprimés et de tous les aliénés à affirmer leurs libertés ».

 

Chantal Guerrier

(1) Autres personnalités de marque présentes: Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances ; Roger Karoutchi, vice-président du Sénat ; Anne-Louise Mesadieu, conseillère régionale de l’Île-de-France.

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