PRIX JEAN METELLUS

Le lauréat s’appelle Witensky Lauvince

Le prix Jean Métellus, annoncé tambour battant l’an dernier, a été décerné. Sur près d’une quarantaine de candidats, le jeune Witensky Lauvice, poète léogânien, a raflé la mise. Coup d’œil sur le fonctionnement d’une compétition littéraire qui inaugure une série d’activités autour de l’inoubliable écrivain disparu en 2014.

« Si je ne me raisonnais à certains moments, je crierais à qui voudrait bien l’entendre qu’Haïti est le plus beau et le plus ravissant pays du monde et que les Haïtiens représentent un peuple beau, grand et magnifique. (...) Mon délire ne s’arrêterait pas là. Je soutiendrais que tout homme né sur la terre d’Haïti possède automatiquement le don de l’écriture, le don de la peinture et le don de la musique, la bosse de la science, l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie. (…) Je tenterais même d’expliquer que si Haïti connaît le sort qui est le sien c’est à cause de la jalousie d’un monde qui n’a jamais vu d’un bon œil se développer dans cette partie des Caraïbes un peuple capable de réaliser toutes les grandes œuvres humaines (...). »

C’est par ce passage ô combien suggestif de Jean Métellus, tiré de son ouvrage Haïti, une nation pathétique (1987), que l’Association des amis de Jean Métellus (AAJM) et L’Association franco-haïtienne d’échange et de solidarité (AFHES) ont annoncé les résultats de la première édition du prix Jean Métellus 2023, le 4 mars dernier.

Parrainé par le poète Anthony Phelps, le concours qu’elles ont organisé a braqué les projecteurs sur un jeune Léoganais, Witensky Lauvince pour son recueil À partir du chaos. « J’ai pris un immense plaisir à lui annoncer le prix », confie Olivier Métellus, fils du célèbre écrivain et président de l’AAJM. « J’espère qu’on pourra bien rendre hommage au jeune et brillant jeune homme ! » nous dit-il,  heureux de l’issue de cette initiative. Il tient à noter que le prix est réservé aux Haïtiens vivant en Haïti et n’accepte que des inédits.  

Né le 29 décembre 1996 à Léogâne, Witensky Lauvince, âgé de vingt-six ans, est poète, écrivain, rédacteur et correcteur pour plusieurs médias en ligne : (AyitiEvent, Yogann Magazine et Balistrad). On raconte qu’il est un « boulimique de lecture », lisant tout ce qui lui tombe sous la main. Selon Dany Laferrière dans L’écrivain en pyjama (2013), on ne peut pas écrire si on ne lit pas : lecture et écriture, écriture et lecture ; on comprend dès lors qu’il ait pris le chemin vers l’écriture. L’une ne va point sans l’autre.

Depuis 2014, il s’est essayé à différents genres littéraires : nouvelle, poésie, roman. Il est coordonnateur adjoint de l’Atelier Renastere, une association socioculturelle fondée avec Ange Dany Joseph pour promouvoir la littérature et l’amour de la lecture auprès des jeunes du pays. Étudiante en administration des affaires, cette jeune femme se décrit comme « déterminée, courageuse, tenace, et persévérante ». Comme Lauvince, elle adore écrire, car d’après elle, « tout le monde devrait faire un geste qui compte tant qu’il est encore temps ».

Deux mentions spéciales du jury ont été accordées à Carl Henry Burin pour Ratures et autres poèmes et à Aviventz Médé pour J’ai un cimetière dans la bouche.

 

Lauréat sur trente-huit

Les écrits, au nombre de 38, sont parvenus comme prévu au comité du prix Métellus entre le 1er mai et le 1er novembre 2022. Le recueil primé sera imprimé en France et tiré entre 400 et 500 exemplaires.

« Pour ce prix, intitulé ’’Pour la littérature, pour la poésie, pour Haïti, pour Jean Métellus’’, les écrivains nous ont surpris par des réponses plus que fécondes », se félicitent les deux associations ayant lancé cette distinction.

Les cérémonies de remise du prix doté d’une somme de 500 euros se dérouleront à Paris entre les 7  et 11 juin prochains à la Maison de l’Amérique Latine et au Marché de la Poésie (place Saint-Sulpice). Le comité organisateur offre le voyage Port-au-Prince-Paris et retour au lauréat attendu début juin dans la capitale française, où il séjournera deux semaines. « Nous sommes en train de nous occuper des papiers, je n’ai pas encore les dates de vol précises, nous dit Olivier Métellus. Il doit arriver avant le 7 juin, jour du marché de la poésie ».  

On n’a rien prévu pour les deux seconds par manque de moyens. « Leur nom sera cité le plus largement possible, j’aurais aimé faire plus, mais je ne peux pas pour l’instant ! », se désole Olivier Métellus. Ils ne seront pas invités à venir pour la cérémonie pour les mêmes raisons. « Cela m’attriste, mais je ne peux pas faire plus. », déplore-t-il.  

Dans une prochaine note de presse, les associations organisatrices comptent mettre en avant les qualités et l’investissement du jury composé de Ginette Adamson (professeure de littérature, chercheure et peintre), Sylvestre Clancier (écrivain, poète, essayiste et éditeur), Claude Mouchard (professeur émérite de littérature), James Noël (écrivain, poète, chroniqueur et acteur) et Makenzy Orcel (écrivain, poète et romancier), la plupart déjà connus dans le monde littéraire haïtien et français.

 

« Cette curiosité d’esprit »

L’idée de fonder le prix de poésie Jean Métellus vient de Jonas Jolivert, membre de l’Association franco-haïtienne d’échange et de solidarité (AFHES), indique Olivier Métellus. Les héritiers du poète et romancier disparu en janvier 2014 et les membres de l’association que ceux-ci ont créée ont jugé excellente cette proposition et ont décidé de lui apporter tout leur soutien. Le but était de primer un Haïtien vivant en Haïti.

En même temps qu’était lancé à Paris le prix Jean Métellus le 30 avril dernier, on rendait hommage au poète à Jacmel avec la création officielle des ateliers Jean Métellus (AJM), à l’Alliance française de sa ville natale.

L’initiateur de cet atelier est un jeune Jacmélien de vingt-sept ans, Alix Olivier, comédien et poète. « Les ateliers Jean Métellus, a-t-expliqué lors de la cérémonie, c’est une structure évoluant dans le domaine des arts de la scène. Elle a pour objectif principal la découverte de soi-même à travers la création et l’art. Elle permettra aussi à chaque jeune d’obtenir une réussite personnelle, de nourrir sa confiance. » Jean Métellus, l'auteur de Jacmel au crépuscule, est pour ce jeune artiste une source dont pourront s’inspirer les jeunes d’Haïti. « Jean Métellus est un modèle de réussite, estime ce poète en herbe. Il est arrivé en France avec 75 dollars en poche et est devenu une icône. Une grande figure de la littérature francophone. » 

Jean Métellus aurait été certainement content et fier de cette postérité artistique qu’il a construite, lui qui aimait profondément Haïti, cette terre à laquelle il est resté fidèle jusqu’à la fin.

« Si l’on vous demandait ce que vous voudriez que les gens retiennent de vous et de votre parcours, que diriez-vous ? » lui a-t-on demandé un jour. « Je voudrais qu’on retienne cette curiosité d’esprit qui m’a fait parcourir plusieurs sentiers de l’activité littéraire et scientifique, cette tension perpétuelle entre la création, la compréhension, l’observation, l’exercice de la profession médicale, l’enseignement de la linguistique normale et de la pathologie du langage, bref mon engagement dans la vie intellectuelle à plusieurs niveaux. » (Des maux du langage à l’art des mots, Liber, Montréal, 2004).  

C’est désormais chose faite. Au-delà de ce qu’il pouvait imaginer, car il est devenu immortel : sa passion de l’écriture et son engagement humaniste continuent de fasciner et de susciter des émules et l’attribution de ce prix en est le vibrant témoignage.

 

Huguette Hérard

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