Antonio Vieux, tout comme Jacques Roumain, était un diplomate exceptionnel, animé par un patriotisme profond et une grande sagesse politique. Leur passage dans la diplomatie, bien que bref, a laissé une empreinte durable dans l’histoire haïtienne. Ces deux hommes, intellectuels communistes, ont su utiliser leur vision novatrice pour créer des liens stratégiques marquants, dont l’influence dépasse les simples enjeux politiques de leur époque.
Vieux a dignement servi sa patrie, remplissant avec maestria toutes les exigences d’une telle fonction. Il incarnait un protocole diplomatique de haut rang, façonnant son travail avec l’empreinte de l’histoire et la richesse culturelle d’Haïti. Il comprenait que la diplomatie ne pouvait se limiter aux négociations politiques et économiques : elle devait également être le reflet d’un héritage historique glorieux.
Témoin du naufrage européen avec l’effondrement du fascisme, Antonio Vieux savait qu’Haïti était directement concernée. Après tout, c’est en Haïti qu’avait eu lieu la seule révolution ayant combattu et vaincu l’une des racines mêmes du fascisme : l’asservissement d’un peuple. Lorsqu’en 1945, pour tourner définitivement la page des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, ce qui allait devenir la « communauté internationale » se réunit à San Francisco, Haïti ne pouvait rester en marge. L’objectif était clair : établir un nouvel ordre diplomatique et enterrer la logique de guerre qui avait jusqu’alors prévalu dans les relations internationales.
Antonio Vieux fit partie de la délégation haïtienne à cette conférence historique, et quel honneur ce fut pour Haïti ! Notre pays, fort de son héritage révolutionnaire, y était représenté par une équipe exceptionnelle comptant pas moins de trois poètes-diplomates : l’ambassadeur plénipotentiaire André Liautaud, le poète humaniste Roussan Camille et l’intellectuel de grande envergure, patriote ardent attaché aux idéaux de 1803.
Antonio Vieux, membre d’un des partis communistes haïtiens, était un progressiste dans toutes les acceptions du terme. Poète engagé, diplomate de haut rang, journaliste perspicace, critique littéraire avisé, il portait en lui la soif insatiable de comprendre et de transformer son pays. Se sentant concerné par le sort des paysans haïtiens, il s’intéressait avec ferveur aux injustices sociales, dénonçant l’exploitation et l’abandon dont souffraient les masses rurales. Son amour pour l’histoire d’Haïti ne se limitait pas à une érudition stérile : il en faisait une arme, un levier pour éclairer les consciences et nourrir la lutte pour une société plus équitable.Fondateur des revues intellectuelles, il explorait son pays avec une témérité sans faille, refusant le silence et l’indifférence. Chaque texte, chaque discours, chaque prise de position était une pierre jetée contre les murailles de l’oppression. Antonio Vieux buvait aux sources de la pensée critique et progressiste, naviguant avec aisance entre les eaux de la poésie, de l’analyse politique et de l’engagement diplomatique. Son héritage, bien que brisé par la barbarie d’un régime impitoyable, demeure une flamme vive dans la mémoire des luttes haïtiennes.
Antonio Vieux fait partie de ces quarante poètes, écrivains et journalistes fauchés par la barbarie du régime des tontons macoutes. Arrêté, torturé, puis fusillé, il partage le destin tragique de ces intellectuels dont la plume dérangeait les despotes. Certains furent exécutés à l’aube, face à la mer si bleue de Fort Dimanche, comme si l’immensité de l’océan pouvait absorber l’écho de leurs derniers souffles. D’autres disparurent à jamais, engloutis par les ténèbres d’un régime qui voulait effacer jusqu’à leur souvenir. Mais leurs mots, eux, n’ont pas péri. Ils flottent encore, portés par le vent de l’histoire, résonnant dans les consciences et les cœurs de ceux qui refusent l’oubli.
Antonio Vieux, diplomate et patriote, fut, après Massillon Coicou, l’un des plus ardents défenseurs de la diplomatie culturelle haïtienne, notamment en France. Il rêvait d’une diplomatie culturelle audacieuse, où Haïti occuperait la place qui lui revient dans le concert des nations, non seulement par son histoire, mais aussi par son rayonnement intellectuel et artistique.
Chaque fois que l’on évoque le rôle d’Haïti dans la préservation de la langue française à San Francisco, il faut se souvenir d’Antonio Vieux. Il fut l’un de ceux qui menèrent la fronde contre les forces qui cherchaient à priver la France d’un siège à la nouvelle organisation internationale qui allait devenir l’ONU. C’est en partie grâce à lui que la langue française a été maintenue dans cette instance mondiale, affirmant ainsi le poids diplomatique et culturel d’Haïti.
Depuis Massillon Coicou et Antonio Vieux, une vérité demeure : l’efficacité d’un diplomate ne repose pas seulement sur ses fonctions actuelles, mais avant tout sur ce qu’il a été dans une vie antérieure—un homme de lettres, un penseur, un patriote engagé. Car c’est de cette profondeur intellectuelle et de cet attachement à son pays que naît la véritable force d’un représentant de la nation.
Maguet Delva

 
                                                         
                                                         
                                                         
                                                         
                                         
                                                                 
                                                                 
                                                                 
                                                                 
                                                                 
                                                         
                       
                                     
                                     
                                    