Le 10 mai dernier, des boursiers haïtiens ont reçu leur diplôme de fin d’études en Italie. En marge de la cérémonie officielle qui s’est déroulée à leur université Unicamillus, à Rome, nous avons interrogé Emmanuel Charles (1), cheville ouvrière de cette coopération haïtiano-italienne. Rencontre avec le chef de mission à l’Ambassade d’Haïti près le gouvernement italien.
Le National : Dix étudiants haïtiens en radiologie, quatre en obstétrique et quatre en infirmerie ; soit dix-huit nouveaux professionnels de la santé, qui ont reçu le 10 mai dernier leur diplôme. C’est grâce à vous, tout ça ?
Emmanuel Charles : Cela s’est réalisé en effet dans le cadre des accords signés par l’Ambassade d’Haïti en Italie, dont j’assure la gestion en tant que Chargé d’affaires, avec les universités italiennes, dont ici l’université Unicamilus.
Le National : Comment s’est déroulée la cérémonie de graduation ?
Emmanuel Charles : Très bien. Elle s’est déroulée comme à l’accoutumée dans la grande salle de conférence réservée à cet effet, à l’intérieur même de l’université Unicamilus. Étaient présents des autorités italiennes, des professeurs de l’université, des Ambassadeurs d’autres pays, des fonctionnaires de l’Ambassade d’Haïti en Italie ainsi que des amis (es). Il y avait même les étudiants (es) en première et deuxième années des deux autres promotions en cours. C’est devenu une tradition : toujours à cette période a lieu la cérémonie de remise des diplômes qui récompense les efforts des jeunes Haïtiens. Ils sont fiers parce qu’ils se sentent reconnus à leur juste valeur. La graduation a duré environ deux heures, de 15 heures à 17 heures avec un programme bien planifié.
Le National : Qu’a dit le recteur de l’université Dr Profita qui est votre vis-à-vis à cette occasion ?
Emmanuel Charles : À tout Seigneur tout honneur ! Le Recteur Dr Profita a présenté ses remerciements à l’assistance pour sa présence à cette cérémonie. Il considère cela comme un soutien aux étudiants des différents pays bénéficiant de cette coopération, dont le Niger et l’Inde. Il a particulièrement salué l’Ambassade d’Haïti en Italie, cheville ouvrière de cette coopération universitaire, qui se bat toujours pour trouver des bourses d’études en faveur des étudiants haïtiens. Dans son intervention, Dr. Profita a fait savoir que nos démarches méritent d’être applaudies de manière particulière.
Le National : Vous avez dû aussi prendre la parole ?
Emmanuel Charles : Oui ! J’ai exprimé ma fierté pour les prouesses de ces jeunes qui recevaient leurs diplômes. J’ai émis le vœu que la coopération entre UniCamillus et la République d'Haïti se poursuive en s’élargissant encore plus, car notre objectif est d'améliorer, à notre niveau, les soins de santé en Haïti.
Le National : Racontez-nous l’histoire de notre pays avec l’université Unicamillus !
Emmanuel Charles : L’histoire même de la création de l’Unicamillus est fondée sur l’humanisme. C’est à l’occasion du tremblement de terre du 12 janvier 2010, lorsque l’Italie a voulu apporter de l’aide à Haïti, que notre ami, le Recteur Profita, a eu cette excellente idée. Après la création de Unicamilus, grâce à ms démarches, les étudiants haïtiens ont pu vraiment bénéficier de ces bourses d’études dans le domaine sanitaire. Le Recteur a voulu par la suite continuer à aider Haïti dans le domaine universitaire.
Je suis toujours disposé à m’asseoir avec le Recteur pour trouver les meilleures façons de poser d’autres jalons dans le domaine de la santé dont notre pays a tant besoin.
Le National : Qu’ont dit les étudiants à l’occasion de leur graduation ?
Emmanuel Charles : Les représentants des étudiants de trois pays - Haïti, le Niger et l’Inde - ont pris la parole pour mettre l’accent sur les retombées positives des études pour leur pays tout en remerciant les gouvernements de leur pays d’avoir, via leur Ambassade, donné à leurs ressortissants respectifs les moyens efficaces de contribuer à l’émergence d’un avenir meilleur pour leurs compatriotes.
Le National : Comment vous avez fait pour trouver depuis des années des bourses d’études ?
Emmanuel Charles : Comment ai-je fait pour leur trouver ces bourses ? (Il sourit).
Le National : Pourquoi souriez-vous ?
Emmanuel Charles : Par amertume, car cela n’a pas été facile. Je vous épargne les détails. Tout ce que je peux dire en guise de réponse. C’est que j’ai entrepris toutes sortes de démarches - diplomatiques, administratives et même amicales – pour forcer les portes, allant parfois de l’espoir de Manuel jusqu’au découragement d’Anaïse dans « Gouverneurs de la Rosée » de Jacques Roumain.
Le National : Comment se sont déroulées leurs études ?
Emmanuel Charles : D’une manière générale, les études ne sont pas toujours faciles même lorsqu’on est boursier : il y a toujours des hauts et des bas. Par exemple, je me souviens que lorsque j’étais boursier en France, je quittais souvent l’université vers les 21 heures sans savoir où j’allais dormir ; je ferme la parenthèse. C’est pour vous dire que cela n’a pas été facile pour eux à cent pour cent. Je connais même des étudiants (es) qui aidaient leurs parents en Haïti avec le peu de moyens financiers dont ils disposaient. En plus, les étudiants, en juillet et en août, ils doivent laisser le campus pour y revenir en septembre. De ce fait, pour trouver les moyens de vivre pendant ces deux à trois mois, c’est la mer à boire. Cela dit, chaque année l’Ambassade s’attend à des dépenses non prévues, mais nécessaires, à part les autres difficultés rencontrées au courant de l’année académique par les étudiants boursiers auxquelles nous devons faire face. Cependant il y a des étudiants non boursiers qui viennent étudier à l’Unicamillus dans le cadre du même accord avec l’université. Pour ces cas de figure, les parents haïtiens ont des possibilités financières pour envoyer leurs enfants étudier à l’Unicamillus, ce qui crée une sorte d’amalgame entre ces deux catégories de compatriotes.
Le National : C’est-à-dire ?
Emmanuel Charles : Même ceux qui ne sont pas boursiers, arrivés sur le territoire italien, l’Ambassade leur fournit tous les documents administratifs et autres. Le problème qui se pose, c’est que l’ambassade, en maintes occasions, a été sollicitée par ces étudiants alors qu’elle n’était même pas informée de leur venue. Ils y viennent seulement pour solliciter des aides économiques, alors qu’ils ne font pas partie de ceux reconnus officiellement par le ministère haïtien des Affaires étrangères et des Cultes. Cela vient compliquer notre tâche déjà difficile pour faire face aux boursiers légalement passés par le biais du MAE et l’Ambassade. En résumé, nous essayons d’aider tout le monde quand le besoin s’en est fait sentir. Mais tout est bien qui finit bien.
Le National : Comptent-ils retourner en Haïti ?
Emmanuel Charles : Ils doivent retourner en Haïti parce que leurs parents ont signé un accord avec le ministère des Affaires étrangères dans lequel ils acceptent de revenir en Haïti afin de mettre leurs connaissances au service du pays, au moins pendant 2 années. Dans le cas contraire, le montant des études doit être remboursé dans sa totalité. J’ai toujours constaté qu’ils manifestaient leur désir d’y retourner même quand beaucoup d’entre eux ont trouvé un emploi dans certains hôpitaux italiens.
Le National : Le retour est prévu pour quand ?
Emmanuel Charles : C’est difficile de parler à leur place. Ce sont des adultes qui ont pris l’engagement - par le biais de leurs parents bien sûr - de retourner chez eux.
Le National : Je comprends. Je crois que c'est le 3e contingent d'étudiants à avoir fait des études grâce à vous ?
Emmanuel Charles : Disons que c’est le troisième groupe d’étudiants à avoir fait des études grâce à l’État haïtien, car même si j’entreprends les démarches, je dois avoir l’autorisation du ministère des Affaires étrangères sur le plan administratif pour que tout le processus se mette en place.
Le National : Quelle est la prochaine étape maintenant avec d'autres groupes ? Avez-vous d’autres possibilités de bourses en vue ? Si oui, dans quelles matières ?
Emmanuel Charles : Pas une étape, mais des étapes : il faut mettre le terme au pluriel, car il s’agit de continuer à aider les jeunes à trouver des opportunités. Nombreux sont les jeunes qui attendent de pouvoir faire des études dans des universités de renom. Selon l’accord signé entre l’État haïtien et l’université UNICAS, d’autres bourses sont déjà en vue dans beaucoup de domaines. Je note qu’UNICAS m’a accordé pour cette seule année cent cinq bourses.
Propos recueillis par :
Huguette Hérard
N.D.L.R. :
(1) Docteur en droit public (Université Paris I), Emmanuel Charles a aussi publié Conflits fonciers et sécurisation des acteurs en Haïti, essai sur les problèmes cadastraux et la nécessité d'une réforme du droit foncier en vue d'un authentique développement rural. En 2020, il a fait paraître un livre intitulé « Haiti: le droit et la réalité électorale » sur le décalage aussi persistant que délétère entre le droit et la réalité électorale.