Quid de la COVID-19 pour Haiti ?

Depuis une dizaine de jours, les États européens sont en état d’alerte épidémiologique. De par le monde, plus de deux cent cinquante mille personnes ont été dépistées positif au COVID-19 (coronavirus) et près de treize milles en sont décédées. Au vu de l’évolution de l’épidémie sur le plan international, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a sonné l’alerte en la déclarant « pandémie » obligeant ainsi de nombreux États, dont Haïti, à s’en inquiéter. Tous prennent des mesures pour protéger leur population.

Le Docteur Willy Dunbar*, médecin et spécialiste en santé publique, plus particulièrement en politiques et systèmes de santé fait le point avec le Journal Le National.

Le National : Pouvez-vous nous dire ce que nous savons à l’heure actuelle sur la COVID-19 (coronavirus) ?

Willy Dunbar : Selon l’OMS, les coronavirus sont une famille de virus qui provoquent des maladies allant du simple rhume aux syndromes respiratoire aigu sévère (SRAS) ou encore au syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS). Le dernier coronavirus, responsable de la COVID-19, était inconnu avant son apparition à Wuhan (Chine) en décembre 2019.

Les études menées à ce jour semblent indiquer que le virus de la COVID-19 est transmissible par contact avec des gouttelettes respiratoires des personnes porteuses du virus. Ces gouttelettes, qui peuvent aussi se retrouver sur des objets ou des surfaces autour des porteurs en question, peuvent également entrainer la transmission du virus.

Les signes d'infection sont généralement la fièvre, la fatigue et une toux. Dans les cas plus graves, elle peut entraîner une pneumonie, une défaillance d’organes et même la mort. Les patients infectés peuvent également être asymptomatiques. On estime que la période d'incubation varient de un à quatorze jours. La plupart des personnes infectées présentent des symptômes dans les cinq à six jours. Actuellement plusieurs recherches sur des médicaments et le développement de vaccins sont en cours. Mais en attendant, les derniers chiffres dont nous disposons sont alarmants. Ils font état de plus de 230 000 cas confirmés et plus de 13’ 000 décès enregistrés dans le monde.

Le National : Est-ce que nous pouvons faire des parallèles entre la COVID-19 et d’autres virus ?

Willy Dunbar : Au cours des dernières décennies, nous avons pu observer une série d'autres pandémies par les virus du SRAS, du MERS et de la grippe A H1N1 pour ne mentionner que celles-ci. En 2002, selon les Centers for Disease Control (CDC), le SRAS est apparu de manière similaire à la COVID-19. Il est apparu dans une province du sud de la Chine. Le virus s’est diffusé dans 29 pays. 8000 cas ont été confirmés et 800 personne en sont mortes portant le taux de mortalité à 10%. En 2009, la grippe A H1N1, originaire du Mexique, a touchée quant’à elle 125 pays, tuant plus de 284 000 personnes sur un total d’environ 762 millions de personnes infectées, soit un taux de mortalité d'environ 0,02%. Trois ans plus tard, en 2012, le MERS, identifié pour la première fois en Arabie saoudite, s'est propagé à un total de 27 pays; 2 500 cas confirmés et 866 décès selon l’OMS. Le MERS a donc tué 34% des personnes infectées. Le virus de la grippe annuelle, qui infecte généralement près d'un milliard de personnes fait quant’à lui entre 300 000 et 500 000 morts par an. Soit un taux de mortalité nettement plus faible que le MERS par exemple. Seul le temps nous dira comment on pourra comparer la COVID-19 à d'autres pandémies mondiales.

Le National : Quelle est la situation dans la Caraïbe, en particulier en Haïti ?

Willy Dunbar : Depuis le 30 janvier 2020, lorsque l'OMS a annoncé que cette épidémie était une urgence de santé publique de portée internationale, l’Agence Caribéenne de Santé Publique (CARPHA) a relevé son indice de risque de transmission dans la région à « très élevé ». Selon le 24ème rapport de situation de la CARPHA, les Caraïbes ont déjà plus de 120 cas et 3 décès dans 23 pays.

Haïti, membre de la CARPHA, a confirmé ses premiers cas de coronavirus et s'efforce de limiter la propagation en déclarant l'état d'urgence sanitaire. Par le biais de la mise en place de nouvelles mesures, renforçant celles déjà prises depuis quelques jours, des campagnes d'information à l'échelle nationale, des messages d'intérêt public à la radio et à la télévision sont diffusés. Des points de presse sont organisés régulièrement. Les médias ont soulevé le fait que la majorité des haïtiens sont d’abord préoccupés à « joindre les deux bouts » et n'ont aucune connaissance ou que des informations erronées sur le virus. Plusieurs mesures ont été prises pour contenir la contagion et limiter ses conséquences. Pour l’heure, la CARPHA est en train d’appeler tous les États membres à accroître leur vigilance nationale et et d’étendre leurs recherches de contacts associés aux premiers cas importés.

Le National : Quels enseignements pouvons-nous retirer de l’expérience chinoise et européenne ?

Willy Dunbar : Avec plus d’un tiers des cas signalés dans le monde l'Europe est devenue l'épicentre de l'épidémie. L'Italie a enregistré le plus grand nombre de personnes infectées par la COVID-19 avec près de 60’000 infections confirmées et près de 5’000 décès. Depuis quelques jours l'OMS a exhorté l'Europe à intensifier ses efforts dans la lutte contre la pandémie soulignant qu’une baisse du taux de nouveaux cas en Chine, comme preuve qu'une action audacieuse, peut contribuer à réduire la propagation du virus. La majorités des dirigeants européens ont donc imposé des mesures drastiques de confinement visant à ralentir la propagation. La distance sociale à elle seule ne suffit pas. Une combinaison d'interventions basée sur une analyse de la situation et du contexte local, avec l'endiguement comme pilier majeur, doit être menée, à l’instar de l’expérience chinoise, et cela notamment en réduisant la liberté de mouvement de la population. L’objectif est le même : arrêter la transmission et empêcher la propagation du virus pour sauver des vies humaines.

Le National : Dans un pays comme Haïti, comment faire pour que la population puisse se protéger sachant que l’accès à l’eau courante, pour se laver régulièrement les mains, est difficile et que les mesures de distanciation sociales extrêmement compliquées à mettre en œuvre et à être respectées ?

Willy Dunbar : En Haïti, les faiblesses du système de santé, les difficultés d’accès à l’eau, les mauvaises installations sanitaires, le « développement » de l'économie informelle ainsi que la surpopulation urbaine posent des défis énormes dans les efforts de lutte contre les maladies infectieuses existantes. Dire aux gens de se laver les mains, mais qu'en est-il de ceux qui n'ont pas accès à l'eau ? Comment pratiquer la distance sociale dans la promiscuité ? De plus, c’est sans compter sur le fait que les haïtiens vivent au jour le jour et doivent souvent aller travailler indépendamment des symptômes qu'ils peuvent manifester.

Comme dans chaque crise de santé publique, il n'y a jamais de pénurie d'idées, mais de stratégies et de moyens. En plus des mesures adoptées et des dispositions déjà prises, les dirigeants doivent intensifier la communication avec les citoyens. L’éducation et la sensibilisation auprès des publics sont vitaux. Des mesures de distance sociale et de limitation de mouvement doivent être imposées et surveillées. Enfin, la solidarité et l’altruisme doivent être recommandés en mettant un accent sur la protection des plus vulnérables.

* Willy Dunbar est médecin et spécialiste en santé publique, plus particulièrement en politiques et systèmes de santé. Il a fait ses études à l’Université Quisqueya à Port-au-Prince (Haiti) et à l’Université Libre de Bruxelles (Belgique). Il exerce actuellement comme chercheur doctoral en Belgique et consultant auprès d’Institutions de recherches médicales dans les Amériques et la Caraïbe.

De Bruxelles (Belgique)

Propos recueillis par
David B. Gardon

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