26 avril 1963 – 26 avril 2023, 60 ans après l’attentat contre les enfants de Duvalier

Retour historique sur les faits

L’année 1963 a été particulièrement dévastatrice pour l’armée ou ce qui en restait, ainsi que pour les anciens militaires retraité ou réformés. Sous l’accusation d’un complot dirige par le colonel Lionel Honorat et qui aurait été dénoncé à l’avance à l’attention du gouvernement, les forces gouvernementales réagirent avec une violence inouïe : cinq des complices ont eu le temps de se réfugier avec leurs familles à l’ambassade du Brésil ; d’autres  furent pris et enfermés à Fort-Dimanche. Le colonel Charles Turnier, mise aux arrêts, mourut sur la torture aux casernes Dessalines. Son cadavre, transporté dans la zone des tribunes du Champs-de-Mars, fut laissé sur la chaussée durant plusieurs jours, en putréfaction au grand air. Dans les jours qui suivirent ces malheureux évènements, Duvalier décida de chasser de l’armée plusieurs officiers qui avaient reçu une formation militaire d’instructeurs américains. Ainsi, près du tiers du corps des officiers licencié. Ceux qui n’ont pas réussi à s’enfuir furent jetés en prison, y compris les militaires retraités et leurs familles. Après cette monstrueuse victoire de Duvalier contre les supposés comploteurs si on peut l’appeler ainsi, le mois d’avril fut décrété  ‘’mois de gratitude’’, et le 22 avril fête nationale pour célébrer les bienfaits du président Duvalier envers son peuple.

Toutefois, le 26 du « mois de gratitude », alors que les sphères gouvernementales étaient en liesse, se produisit l’attentat contre les enfants de Duvalier, Jean-Claude, 11 ans, et Simone 14 ans, devant leur école, le collège Bird de l’Église Méthodiste. Il était 8h du matin environs lorsque cette attaque fut orchestrée sur la route contre le cortège composé respectivement d’un véhicule de Palais National piloté par le sergent Moril Mirvil avec, à ses côtés le sergent-major Paulin Mont-Louis, garde du corps des enfants qui conduit la famille du président François Duvalier dit PAPA DOC, par un commando de quatre (4) hommes habillés en vert olive pendant qu’ils étaient en route pour se rendre en classe. À l’arrivée du véhicule devant l’école, il fut pris sous une grêle de balles tirées par des assaillants qui, avec une rapidité foudroyante, liquidèrent le chauffeur et le sergent. Les victimes de cet attentat furent le chauffeur du véhicule qui les conduisait à l’école et les deux gardes de corps tués à bout portant ainsi que le sergent Luc Azor, le caporal Ricenord Poteau et un milicien qui montaient la garde. À noter quant au garde du corps major Paulin Mont-Louis, il fut tué au cours d’une prise de corps avec l’un des assaillants qui s’était approché du véhicule et tentait de s’emparer de la jeune Simone qui n’avait pas encore bougé de son fauteuil. Les deux enfants du président ont été épargnés et s’en sont tirés indemnes. L’attentat était perçu comme un avertissement à François Duvalier et non comme une attaque dirigée contre ses enfants. La rage qui envahit Duvalier à la suite cet attentat frisa la folie démentielle à ce titre disait-il : «Si on continuait à ramener mes enfants, la nuit sera rouge». L’indignation était à son comble au Palais national. La nouvelle l’avait terrifié. Pour eux, c’était l’équivalent du crime de lèse-majesté et ceux-là qui étaient tenus pour responsables de ce forfait devaient être châtiés avec la dernière rigueur. Peu importe s’ils étaient, en fait, coupables ou non. Donc les qualificatifs sont pratiquement insuffisants pour le pouvoir en place d’alors. Militaires, Tonton macoute, VSN envahirent en hordes féroces les rues de la capitale, arrêtant les passants sans discriminations, faisant feu à l’aveugle sur les citoyens et les maisons. L’ordre était passé d’abattre tous les anciens officiers de l’armée. L’ancien commandant des garde-côtes, Albert Poitevien, l’ancien colonel Antoine Multidor et l’ancien commandant du corps d’aviation, Edouard Roy, furent victimes de cette furie dévastatrice pour ne citer que ces noms-là de la F.A.D.H. Des automobilistes qui se trouvaient au volant de leur voiture, ignorant les évènements qui venaient de se produire, furent abattus sans pitié. Il est à noter que pourtant aucune voiture d’escorte n’accompagnait le véhicule qui transportait les enfants comme cela avait l’habitude. Et que la distance d’alors entre le Palais National et l’établissement est estimée à environs 5 minutes pour paraphraser Prosper Avril dans son ouvrage.

 

Quand, au sein du gouvernement, on sut que le ou les auteurs de l’attentat étaient des tireurs des élites, qui ont visé avec une grande précision et dextérité pour ne pas atteindre les enfants de Duvalier, du coup la chasse fut dirigée contre des militaires, surtout le Sharp shooter  dont le lieutenant François Benoit, un des champions de tireurs d’élite de l’armée revenait, auréolée de gloire, d’une compétition internationale de tir au fusil tenue à Panama canal zone. Le pays était classé deuxième après les États-Unis et avait raflé cinq des douze médailles d’or attribuées aux meilleurs tireurs de la compétition. Ce qui nous a placés automatiquement parmi les douze meilleurs tireurs de l’Amérique à cette époque. Donc c’est comme si déjà les soldats sont entre autres victimes de leurs succès, exploits. Conduit par le major Franck Romain, des éléments de la Garde présidentielle et les miliciens du Palais attaquèrent au Bois-Verna la maison du père de l’officier Benoit, un juge retraité : tous ceux qui s’y trouvaient, l’ancien juge Joseph Benoit et sa femme Louise Neptune Benoit, un ami en visite, le personnel de service, sa servante Mathilde Remarais et les chiens, furent criblés de balle. Puis la maison fut incendiée après avoir été arrosée d’essence. L’enfant de François Benoit répond au nom de Gerard, couché dans son berceau n’avait que sept mois, vraisemblablement péri dans les flemmes. L’attaque fut menée ensuite contre la maison des beaux-parents de Benoit, la famille Edeline, où tous ceux qui étaient présents furent abattus ; puis la maison fut livrée au pillage. Le jardin d’enfants où travaillait l’épouse de François Benoît, Jacqueline  Edeline, fut la cible de tirs d’armes d’automatique. Mais madame Benoit se trouvait déjà à l’ambassade d’Equateur au moment de l’attaque. Et l’un des péchés mortels qu’on ait pu en être coupable c’est d’avoir eu même un prénom BENOIT ; à titre d’exemple Benoit ARMAND coupable de son prénom a été liquidé. Alors qu’il s’agissait d’un avocat de grand âge. Donc, Me Benoit Armand fut tué à Martissant parce qu’il portait le prénom sous lequel on le désigne habituellement. Pourtant, l’officier François Benoit qui avait pris refuge à l’ambassade dominicaine bien avant ces évènements soit depuis 24 avril 1963, n’avait pris aucune part à cet attentat.  Après, Maurice Duchatelier et son épouse Gladys Edeline ainsi que leur fils de dix-huit mois, Philipe Maurice, furent exécutés en leur résidence. Ce n’est que bien tard le Président Duvalier s’est finalement rendu compte que le lieutenant François Benoit n’était point et ne pouvait être l’auteur de l’attentat. Les officiers de l’armée étaient bouleversés, consternés, désemparés, si on se réfère à l’ouvrage de Prosper Avril titré : L’armée d’Haïti, Bourreau ou victime?. Et la liste des officiers victimes est grande selon l’historien Georges Michel dans son livre Debout les morts ; un été meurtrier. 

La chancellerie de l’ambassade dominicaine fut mise à sac par des soldats de la garde présidentielle à la recherche de Benoit et de trente-deux autres asilés qui se trouvaient plus tôt au siège de l’ambassade qui fut également la cible d’assaillants dépêchés par le gouvernement. En réponse à ces attaques contre sa légation à  Port-au-Prince, le président Bosch ordonna de mettre l’armée dominicaine sur pied de  guerre. Des troupes furent massées dans les villes frontalières de Dajabòn, Elias Piña et Jimani,  après qu’un ultimatum fut envoyé au président Duvalier pour retirer ses troupes qui menaçaient l’ambassade. Duvalier obtempéra, mais décida le 28 avril, soit deux jours après l’attentat de couper les liens diplomatiques entre Haïti et la République dominicaine pour exprimer ses mécontentements.

 

Le différend entre les deux pays fut porté par-devant l’OEA qui décida d’envoyer une mission d’investigation à Port-au-Prince. Le jour de l’arrivée de cette commission dans la capitale haïtienne, Duvalier organisa un grand rassemblement populaire : des paysans et des gens de toutes catégories sociales furent amenés de gré ou de force, en toute célérité, de tous les points du pays en nombre imposant. Ils furent massés en face du Palais national où le président devait recevoir les ambassadeurs composant la commission pour démontrer sa force et faire fort  impression sur eux. Les menaces d’invasion par les forces armées dominicaine ont pu être contenues grâce à l’intervention des États-Unis et de l’OEA. Mais insatisfait des décisions de l’OEA, Duvalier décida de porter les instances de l’ONU. Le ministre haïtien des Relations extérieures, René Charlmers, s’est présenté à la tribune de l’ONU affublé de l’uniforme des VSN. Il y délivra un discours à connotation raciste dans lequel il déclara que tous les problèmes d’Haïti sont liés au fait que le président Duvalier avait pris la défense de tous les peuples noirs du monde.

 

L’affaire Barbot

 

À la suite de toutes ces violences qui avaient  embrasé la capitale ce 26 avril 1963 à cause de l’attentat perpétré  contre les enfants de Duvalier devant le collège Bird, on sut que l’acte était l’œuvre de l’ancien homme fort de Duvalier, Clément Barbot. Celui-ci, après avoir tombé en disgrâce et  incarcéré, était sorti de prison depuis 1962 et avait gagné le maquis. Après avoir assuré un refuge à l’ambassade d’Argentine  à  sa femme Rhéa et ses quatre enfants, il se prépara à passer à l’action contre Duvalier.  On lui a attribué un raid mené contre Fort-Dimanche avec ses hommes pour s’emparer des armes et des munitions. On mit sur son compte plusieurs autres actes terroristes qui se sont produits dans la capitale : explosion de bombes contre le Lycée Pétion, contre le collège Saint-Pierre et contre les dépôts  de combustible l’usine sucrière Hasco, ainsi que des harcèlements des VSN et des tontons macoutes. Clément Barbot et ses hommes menaient la lutte conte  Duvalier au nom du comité des forces démocratiques haïtiennes, appellation sous laquelle ils étaient regroupés. Le capitaine Jean Tassy, qui avait pris la relève de Barbot comme un des chefs les plus craints au service de Duvalier, fut découvert dans sa cachette à Martissant  dans la zone où avait été localisée antérieurement une fabrique de bombes explosives. Barbot réussit  toutefois à s’échapper à ses poursuivants. Il trouva un nouveau sanctuaire dans la région de Cazeau, à quelques kilomètres au nord de la capitale, dans une maisonnette située au milieu des cannaies. Un résident de la zone qui avait identifié Clément Barbot révéla sa cachette.

Les  forces duvaliéristes conduites par les chefs militaires Jean Tassy, Gratia  Jacques et Claude Raymond et des Tontons macoutes Luc Désire et Eloïs Maître, mirent le feu aux cannes forçant les deux frères Barbot et leurs compagnons de sortir de leur cachette. Avec la croyance que les frères Barbot étaient à l’abri des balles, la troupe hésita à faire feu sur eux. Tassy s’empara d’une mitrailleuse et ouvrit le feu qui fut suivi de rafales tirées par tous les poursuivants, criblant de balles les Barbot et les leurs compagnons.  Ainsi prit fin l’aventure de Clément Barbot  qui, au début du gouvernement de Duvalier, avait organisé les cagoulards, les premiers fers de lance de la terreur  et de la répression du système sanguinaire de Duvalier.

Le 26 avril 1986, soit deux mois après la chute de ce régime qualifié de sanguinaire, une marche pacifique fut organisée en l’honneur des victimes du 26 avril 1963 et aussi pour fêter la défaite de ce régime avec l’idée aussi de rendre un premier hommage à leurs martyrs en se présentant sur les lieux des crimes sordides. En arrivant face à la prison de Fort Dimanche aux environs de 1h PM, les militaires de Namphy ont ouvert le feu sur la foule, les pèlerins désarmés (Le Nouvelliste du Samedi 23 au dimanche 24 avril 2016) les manifestants sont dispersés et le bilan en ce jour était de 10 morts environ. Grâce au comité de commémoration du 26 avril 1963 de 2013, une liste non exhaustive contient environ 73 noms, dont plusieurs militaires hauts-gradés et leur famille s’y retrouvent, a été exposée sur les murs de la FOKAL lors d’une réflexion commémorative. 

Ces événements ont forcé des centaines d’Haïtiens à prendre l’exil pour sauver leur peau. C’est le début d’une fuite de cerveau sans précédent dans l’histoire du pays que d’ailleurs l’historien Jimmy JEAN en a fait un travail intéressant.

Depuis lors, où en sommes-nous? Ces victimes directes ou par ricochet n’ont-elles pas droit à une réparation, à une justice? Faut-il continuer avec cette tendance que les morts ont toujours tort ? Sachant que l’impunité débouche toujours sur un cycle de violence, faut-il continuer avec cette impunité ? Soixante ans (60) ans après, les criminels ne sont-ils pas toujours dans la rue? À quand la jouissance des droits de victimes cités dans la déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir  adoptée 29 novembre 1985 par l’ONU ?  Si pour beaucoup cette date marque le vrai visage de cette dictature, pour d’autres elle constitue une marque indélébile. Que justice leur soit rendue.                                                       

Port-au-Prince, le 26 avril 2023.

James Louis Historien, Juriste et Théologien

Références Bibliographiques : Radiographie d’une dictature de Gérard Pierre Charles, Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti de Claude Moïse, Fort Dimanche de Bernard Diederich, 26 Avril1986 tragédie devant le fort Dimanche de Prosper Avril,  La chute de la Maison Duvalier de M.L Bonnardo et G. Danroc, Cinq siècles d’histoire politique d’Haïti de Dr Raymond Bernadin,  Le Nouvelliste du Samedi 23 au dimanche 24 avril 2016).

 

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES