Est-ce du racisme quand l’antiracisme exclut ? Pour certains oui et d’autres, non. En tout cas, beaucoup condamnent cette tendance à l’exclusion « raciale » dans le mouvement contre les préjugés et les discriminations à l’égard des minorités en Europe et aux États-Unis.
« Les Blancs ne doivent pas postuler », pouvait-on lire dans une offre d'emploi de conseiller en matière de lutte contre la discrimination à l'université Humboldt de Berlin (36.000 étudiants). C’était en juillet dernier. Il est indiqué clairement qu’on préférerait un non-Blanc, car justifiait l’annonce, « dans le travail de conseil, il a été démontré que cela fonctionne mieux lorsque le conseiller est Noir ou est une personne de couleur. En conséquence, les personnes de race blanche doivent s’abstenir de postuler à ce poste. » D’autant plus que les consultations doivent se dérouler dans une perspective « partisane ». « Partisan signifie ici un conseil orienté vers les besoins de la personne qui demande conseil, afin de créer un espace dans lequel les personnes touchées par la discrimination raciste puissent se sentir à l'aise et partager leurs expériences », expliquent les rédacteurs du texte.
Le quotidien « Die Welt » (209.000 exemplaires) a réalisé une capture d’écran du document puis un reportage sur cette offre basée sur la préférence ethnique. Plusieurs médias ont rapporté l'affaire. Le document a été partagé sur les réseaux sociaux. Les réactions n’avaient pas tardé à pleuvoir. Des voix critiques venaient aussi du secteur politique. Adrian Grasse, responsable de l'enseignement supérieur au sein du groupe parlementaire chrétien-démocrate (CDU) de Berlin, a déclaré que cette publicité était illégale et manifestement discriminatoire : « Le racisme ne doit pas être combattu par le racisme. »
Le Conseil des étudiants de cette université a été vertement critiqué pour cette formulation. L'accusation porte sur le caractère discriminatoire de la publication même. L'administration de l'Université Humboldt a déclaré qu'il n'était pas dans son esprit de discriminer les gens.
Suite à ces critiques, les représentants des étudiants ont modifié le texte. La nouvelle formulation est ainsi libellée : « Dans le travail de conseil, il a été démontré que le meilleur moyen de réussir est de faire appel à des personnes pouvant donner des conseils en se plaçant dans la perspective de celles susceptibles d’être touchées par la discrimination raciste. C'est pourquoi nous encourageons tout particulièrement les personnes qui ont été victimes de discrimination raciste à postuler pour ce poste. » Ce qui finalement revient au même vu que les Blancs, majoritaires, ne connaissent pas de discrimination. Mais au moins on sauve les apparences et on ménage la susceptibilité de la majorité qui s’est sentie rejetée, exclue et frustrée.
Ce n’est pas la première fois que cet incident arrive. En mars dernier, on a vécu l’histoire d’Amanda Gorman (22 ans), la jeune poétesse afro-américaine qui avait captivé l’Amérique avec son poème très saisissant déclamé à l’occasion de l’investiture du président élu, Joe Biden, le 20 janvier dernier. Deux mois plus tard, elle s’était retrouvée au milieu d’une tempête identitaire internationale à propos de la traduction de son œuvre. Les antiracistes disaient qu’étant donné qu’Amanda Gorman est une femme et une Noire, il n’y aurait qu’une personne de couleur noire qui serait à même de traduire le poème « The Hill We Climb » (vingt-deux ans), qu’elle a récité à l’investiture du président démocrate Joe Biden et qui a séduit le monde entier. « Une femme, une militante, de préférence noire », réclamait la mouvance identitaire. Pas de Blancs.
C’est ainsi qu’aux Pays-Bas, Marieke Lucas Rijneveld (vingt-neuf ans) a dû renoncer à la commande de traduction du poème de Gorman. Et en Espagne, le traducteur catalan blanc Victor Obiols, également musicien et professeur d’université à Barcelone, a vu son contrat de traduction rompu parce qu'il avait « le mauvais profil ». Dans une interview accordée à « Der Spiegel », le 13 mars 2021, Obiols (soixante ans) a déclaré qu’on a choisi à sa place la poétesse Maria Cabrera (trente-huit ans) « parce qu’elle est Noire, femme et jeune ». Pour le mouvement identitaire, « les vieux hommes blancs », placés au sommet de la hiérarchie mondiale, représentent l’incarnation de la domination, du machisme et du racisme.
Trump s’en est plaint
L’an dernier, un débat à peu près similaire a eu lieu aux États-Unis. C’était sous la présidence de Donald Trump. En août 2020, le gouvernement américain avait accusé l'Université d'élite Yale de discrimination envers les Blancs.
Alors que les manifestations Black Lives Matter se poursuivent aux États-Unis et que les Noirs dénoncent de plus en plus les discriminations dont les non-Blancs sont l’objet, l'administration Trump dépeint les Blancs comme défavorisés, par exemple à Yale. Le ministère américain de la Justice accuse cette université d'élite de discriminer les étudiants blancs et asiatiques-américains dans l'attribution de ses places universitaires.
Il y a deux ans, une étude a montré qu'ils avaient moins de chances d'obtenir une place à l'université que les candidats noirs ayant les mêmes résultats, avait déclaré le ministère. Il voulait que cette discrimination positive cesse.
L'université s'est rapidement défendue. Selon le Washington Post, elle a qualifié le rapport « d'accusation infondée et prématurée ». Ses procédures de sélection répondaient à toutes les exigences d'une jurisprudence de la Cour Suprême établie il y a plusieurs décennies. Elle a souligné qu'elle s'en tiendrait à son processus d'admission malgré les allégations et aussi une menace de procès.
Pour décider qui est autorisé à étudier à Yale, on prend en compte la « personne dans son ensemble », c'est-à-dire non seulement ses résultats scolaires, mais aussi, par exemple, ses intérêts et le fait qu'elle ait quelque chose à apporter à la communauté de Yale et au monde. Un communiqué de l'université, cité par le New York Times, a déclaré qu’« en ce moment unique de notre histoire, alors que la question du racisme fait l'objet de tant d'attention, Yale ne vacillera pas, mais continuera à plaider pour un corps étudiant diversifié et, pour cette raison même, excellent », C’est ce qu’aurait déclaré le président de Yale, Peter Salovey, dans le rapport. L'université affirmait qu'elle examine environ 35 000 demandes par an. Plusieurs centaines de critères de sélection sont pris en compte, et l'origine ethnique n'est que l'un d'entre eux.
L'administration Trump, en revanche, s'inquiétait depuis longtemps du fait que les universités d'élite comme Yale et Harvard mettent délibérément l'accent sur la diversité lors de la sélection de leurs étudiants. Elle a soutenu déjà une action en justice contre Harvard. Là, l'audience d'appel devant un tribunal fédéral devait avoir lieu. Un tribunal inférieur avait explicitement autorisé l'université à appliquer sa procédure de sélection.
Ces dernières années, les Noirs ont été gravement sous-représentés dans les universités d'élite américaines et, bien que les universités adoptent de plus en plus la diversité, ils restent une petite minorité.
Comme le rapporte le New York Times, Harvard a fait valoir devant le tribunal que, bien qu'elle ne fixe pas de quotas, si elle veut parvenir à une véritable diversité, elle doit accorder une certaine attention au nombre d'étudiants qu'elle admet et à leurs origines ethniques. Ne pas le faire compromettrait « l'excellence » d'une éducation à Harvard.
On retrouve le même discours chez l’extrême droite française. Chaque fois que ses membres en trouvent l’occasion, ils s’insurgent contre ce qu’ils considèrent comme du racisme anti-Blanc dans la société française. Il existe des insultes genre « sale Blanc » et même des agressions physiques dans les quartiers des banlieues à forte population non blanche mais est-ce du racisme au sens historique du terme ? Vu que les personnes qui l’exercent n’ont pas le pouvoir, ce « racisme » est plutôt une réaction de frustration ou même de haine. Car le vrai racisme est en partie lié avec le pouvoir d’un groupe sur un autre, comme il a été le cas sous le régime esclavagiste, l’apartheid en Afrique du Sud ou encore en Amérique.
Huguette Hérard
