Dans son dernier rapport en date du 24 avril 2025, le Centre d’analyse et de recherche en droit de l’homme (CARDH) a salué la création de deux Pôles Judiciaires Spécialisés en Haïti, considérée comme un pas important vers la modernisation de la justice pénale haïtienne.
Institués par décret en date du 16 avril 2025 dans le journal officiel Le Moniteur, ces deux pôles ont pour mission de lutter respectivement contre les crimes et délits financiers complexes, et les crimes de masse ainsi que les violences sexuelles.
Proches des modèles européens, ces juridictions spécialisées témoignent d’une volonté manifeste de doter le pays de mécanismes adaptés pour traiter des infractions graves et complexes. Cependant, le CARDH souligne qu’elles ne pourront atteindre leurs objectifs sans une série d’actions complémentaires. Parmi les principales recommandations du rapport : Certains actes comme les massacres ou l’utilisation d’enfants à des fins criminelles ne sont pas encore clairement incriminés par le droit haïtien. Si des conventions internationales peuvent servir de base juridique, le respect du principe nul crime sans loi exige une adaptation du droit interne pour éviter des problèmes de qualification.
« La procédure pénale haïtienne est jugée archaïque, même pour des infractions dites classiques. Face à des crimes transnationaux complexes, une réforme procédurale s’impose. Comment, par exemple, un juge pourrait-il instruire efficacement un tel dossier dans le délai de trois mois prévu par la loi de 1979 ? Le rapport plaide ainsi pour l’adoption d’une procédure spécifique aux pôles spécialisés. »
Le CARDH recommande également d’accorder à ces pôles une compétence nationale, afin de leur permettre d’enquêter sur l’ensemble du territoire, en évitant les limites imposées par la délégation de pouvoir actuelle. Les magistrats affectés à ces juridictions devraient par ailleurs bénéficier d’une formation spécialisée, dispensée à l’École de la Magistrature. Pour garantir leur efficacité, les membres de ces pôles, notamment les commissaires du gouvernement, devraient bénéficier d’un mandat fixe et de conditions sécuritaires adéquates. Le rapport souligne la nécessité de mener un vetting rigoureux des juges, en collaboration avec le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) et les organisations de la société civile.
Le CARDH appelle également à repenser l’immunité et le privilège de juridiction dont jouissent certaines catégories de personnes, freinant l’action judiciaire. À titre d’exemple, les hauts fonctionnaires ou parlementaires ne peuvent être poursuivis sans autorisation, même en cas de flagrant délit.
À Port-au-Prince, plusieurs greffes et tribunaux ont été la cible de cambriolages, compromettant des dossiers sensibles. Le CARDH insiste sur la nécessité d’abriter ces juridictions dans des bâtiments hautement sécurisés, propices à un fonctionnement serein.
Pour le CARDH, ces pôles peuvent représenter une avancée décisive, à condition d’être accompagnés de réformes concrètes, adaptées aux réalités du terrain. Moderniser la justice pénale haïtienne, c’est aussi rétablir la confiance des citoyens dans les institutions et lutter efficacement contre l’impunité, au bénéfice des plus vulnérables.
Vladimir Predvil