Haïti 1994-2024 : trois décennies d’alchimie de catastrophes naturelles, quelles leçons politiques ?

Durant les trois dernières décennies, entre 1994, 2004, 2014 et 2024, souvent fortement animées par des crises politiques majeures, associées à des mouvements populaires, des violences qui justifient parfois certaines interventions militaires étrangères, la nature n’a jamais raté l’occasion pour rappeler aux élites autant qu’aux masses du pays, leur vulnérabilité face aux caprices des éléments qui la composent.

Des catastrophes naturelles qui se suivent et qui complètent plus d’une fois la liste des victimes et des dommages souvent irréparables. On retiendra l’air à travers les vents violents entre les cyclones, tempêtes et ouragans ; l’eau à travers les inondations ou les risques de Tsunami ; les mouvements de déplacement de roches sous la surface de la terre, ou par l’activité volcanique (feu) ou magnétique qui provoquent les nombreux tremblements de terre ne passent pas inaperçus.

Des années avant la campagne électorale entre 2015 et 2016, qui a conduit à l’intronisation du feu président Jovenel Moise, les éléments qui constituaient le fer de lance du discours et des promesses de ce dernier, comme l’eau, le soleil (feu), la terre, le vent (air) et les êtres (la population), s’inscrivaient déjà dans le cocktail politique, populaire et catastrophique de l’agenda du chaos du peuple d’Haïti.

Depuis plus de quatre cent soixante ans, de 1564 à 2024, les années qui se terminent par le chiffre quatre sont souvent visitées par les catastrophes naturelles qui laissent souvent des taches de chair et de sang dans la mémoire collective. Des tremblements de terre en 1564, 1684, 1734, trois tremblements de terre étaient survenus pour l’année 1784, tandis que le 6 juin 1924 un autre séisme allait visiter la capitale haïtienne. L’année du premier centenaire de l’indépendance haïtienne, en 1904, les villes de Port-de-Paix et du Cap haïtien allaient être sévèrement touchées par un tremblement de terre. Cent ans plus tard, en 1924, un autre séisme allait laisser ses traces dans la mémoire collective haïtienne, avant de céder la place trente ans plus tard, en 1954 à l’ouragan Hazel.

Derrière les nombreuses crises sociopolitiques, sécuritaires et sanitaires qui dominent la société haïtienne depuis le lendemain de la chute de la dynastie des Duvalier, entre 1957-1986, si la pilule de la démocratie semble difficile à avaler par les acteurs, nous assistons pourtant huit ans après cette date majeure, à une succession de catastrophes naturelles, à forte dominance de l’eau, notamment des inondations qui reviennent avec force et rage durant l’année cyclonique entre 1994 à 2024.

Dans ces mariages successifs entre les violents et les rivières en crue, des milliers de victimes souvent naïfs et complices de l’irresponsabilité des responsables des collectivités apportent souvent de l’eau dans les moulins des ONG à chaque occasion.

Décompte catastrophique, qui ne laisse pas pour autant la possibilité de compter le nombre des morts, des victimes et des disparus parmi les membres de la population, en dehors des pertes et des destructions au niveau de la flore, de la faune, de la nature, et des infrastructures. Qui se souvient des ouragans qui portent les noms de Gordon en 1994, de Georges en 1998, Yvan et Jeanne en 2004, la tempête tropicale Fay et les ouragans Gustave, Hanna, Ike en 2008, les ouragans Isaac et Sandy en 2012, suivis par les deux autres ouragans Matthew en 2016 et Irma en 2017 ?

Dans la mémoire collective de cette génération, le dernier tremblement de terre remontait au cours des années 1952, 1956 et 1962, en dehors des récits historiques et le drame sismique de janvier 2010. On comprend bien avant les dernières reformes éducatives en date, que l’absence de politique éducative relative à la prévention et la gestion des catastrophes naturelles de toutes sortes provoquées par l’eau, l’air, le feu et la terre entre autres n’a pas permis à la grande majorité de la population haïtienne de se familiariser avec tous ces acteurs violents et imprévisibles, comme le séisme ou le volcan.

Depuis le douzième jour de janvier 2010, la terre a fait son retour en force dans l’histoire d’Haïti, en imposant désormais le concept de « Goudougoudou », qui est synonyme de séisme, dans le vocabulaire populaire et l’imaginaire collectif désormais. Avec son cortège de plus de 200 000 morts, les impacts de la magnitude 7.3 du séisme du 12 janvier 2010, ont fait beaucoup de tort à la population haïtienne, tant en termes de pertes en vies humaines et des infrastructures. Rares sont les familles évoluant dans la capitale haïtienne et dans les autres régions, qui ne disposent pas au moins d’un proche de victimes ou disparus.

Deux autres séismes avec des magnitudes moins violentes se sont ajoutés dans la liste. Le tremblement de terre de magnitude de 5.9, survenu le 6 octobre 2018, a fait 17 morts en dehors des blessés. Tandis que celui du 14 aout 2021, avec une magnitude de 7.2, a laissé le pays avec un bilan de plus de 2207 morts.

Dans le vocabulaire populaire et la mémoire collective des Haïtiens autour des catastrophes naturelles, les familles haïtiennes évoluant autant dans les grandes villes et dans les coins les plus éloignés du pays, le cycle annuel de saison cyclonique qui s’étend entre le mois de juin et la fin du mois de novembre se renouvelle souvent autour des cyclones, tempêtes tropicales, ouragans, pluies torrentielles ou fortes pluies, éboulement de terrain, souvent suivi par les inondations.

Des villes inondées, des familles affectées, des maisons effondrées ou détruites, des structures endommagées, des sinistrés, des morts, des blesses, et des disparus par dizaine, par centaine, par millier ou par centaine de milliers comme dans le cas du séisme du 12 janvier 2010, sont parmi les mots qui complètent le vocabulaire des catastrophes naturelles en Haïti. Plusieurs autres concepts pour définir les maux de toute une population qui se partage les risques entre l’ignorance, l’inconscience, l’incrédulité, l’incompétence, l’irresponsabilité et les intérêts économiques, politiques et logistiques qui découlent de l’industrie humanitaire.

Des leçons sont à tirer, par les différents acteurs de la société durant ces trente dernières années dans l’histoire contemporaine d’Haïti. A chacun sa part de responsabilité, de complicité ou de complémentarité dans la gouvernance de l’espace physique haïtienne, qui persiste à conforter sa vulnérabilité dans le temps.

Dans la foulée des crises multidimensionnelles qui dominent l’actualité sociopolitique, sécuritaire et économique du pays, jusqu’à imposer de nouvelles catastrophes humaines dans l’agenda national, tous les dirigeants et les futurs décideurs qui veulent gérer la cité, sont invités à se rappeler, avant, pendant et après la saison cyclonique, de la présence constante de cet acteur violent et invisible qui continuent de jongler avec la terre, l’air, le feu et les eaux !

Durant l’année 2004, ces catastrophes humaines sur fond d’instabilité politique et sécuritaire, sont souvent suivies par des catastrophes naturelles. Qui ne se souvient de ces mouvements populaires qui ont conduit au renversement de l’administration du président Jean Bertrand Aristide, qui, dans les mois qui suivaient, d’autres régions du pays allaient subir des pertes importantes en termes de destructions des villes et en vies humaines par milliers, à la suite des inondations de Mapou, Fonds-Verretes, l’ouragan Ivan, et l’ouragan Jeanne à l’époque ?

Des rappels importants qui interpellent au cours de cette année, pour tenter d’anticiper le pire que la nature pourrait imposer dans l’actualité nationale. Pendant que la majorité des villes de provinces et des régions semblent rester indifférentes envers le sort de la capitale haïtienne en cette année 2024, soumis aux violences de groupes de terroristes qui tuent et détruisent des quartiers et des villes, la vulnérabilité des autres départements du pays vient souvent rappeler que nous sommes un seul et même pays.

 

Dominique Domerçant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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