Prise sur la rivière Massacre: véritable pomme de discorde

La construction d'un canal sur la rivière Massacre par les riverains de Ouanaminthe est devenue une véritable pomme de discorde entre les deux Républiques voisines. Alors que les paysans de Ouanaminthe ne jurent que par l'achèvement des travaux, les autorités dominicaines font monter la pression d'un cran en adoptant des dispositions au niveau de ligne frontalière de Dajabon, limitrophe de Ouanaminthe. Visiblement vexées, elles ont même lancé un ultimatum aux autorités haïtiennes en vue de contraindre les Ouanaminthais à surseoir aux travaux de construction de ce canal d'irrigation qui devra servir à arroser les terres dans la plaine Maribahoux.

De jour en jour, le dossier gagne en ampleur. Si les autorités haïtiennes se retranchent encore dans leur mutisme, de l'autre côté de l'ile, c'est tout le contraire. Au terme d'une réunion du Conseil national de sécurité présidée par le président Abinader, le lundi 11 septembre, un train de mesures a été annoncé en vue de contraindre les autorités haïtiennes à agir pour suspendre la construction de ce canal. Tout d'abord, les autorités dominicaines ont annoncé avoir suspendu définitivement l’entrée de toutes les personnes impliquées dans le conflit et  la délivrance de visas aux citoyens haïtiens jusqu’à nouvel ordre. Elles maintiennent la fermeture
totale de la frontière à  Dajabón et si le conflit n’est pas résolu avant jeudi, elles entendent fermer complètement la frontière pour le commerce terrestre, maritime et aérien.

Les pressions des autorités dominicaines semblent pourtant être loin d'ébranler les paysans. Déterminés, ces travailleurs qui maçonnent jour et nuit les travaux débutés sous le gouvernement de Jovenel Moïse veulent conduire l'eau sur le territoire haïtien afin de mieux exploiter la plaine Maribahoux qui représente un fort potentiel agricole pour le département du Nord-Est.

Ce dossier a défrayé la chronique depuis des jours. En République dominicaine ou en Haïti, les réactions pleuvent. Des experts en droit en international et autres spécialistes intervenant sur la question sont unanimes à reconnaitre le droit des Haïtiens de disposer d'une prise sur la rivière Massacre comme eau transfrontalière partagée. La République dominicaine, à elle seule, en dispose déjà pas moins de onze.

Réagissant à ce sujet, Edwin Paraison, président de la fondation Zile, soutient que les autorités dominicaines ont toujours montré leurs inquiétudes face à l'évolution des travaux déjà réalisés pour conduire l'eau de la rivière Massacre vers Haïti. «C'est une histoire répartie en deux épisodes. En 2021, lorsque les travaux du canal ont débuté, le gouvernement dominicain avait exprimé son désaccord et a fait savoir que ce canal vers Haïti serait une déviation des eaux de la rivière Massacre et celle-ci provoquerait une violation du traité de 1929 et une telle initiative est à l'encontre de leurs intérêts.  En mai 2021, une rencontre a été organisée au niveau de la Chancellerie dominicaine entre des experts et dirigeants des deux États, ils ont démontré que ce canal n'est pas une déviation. Sur cette base, ils ont signé une déclaration conjointe où les deux parties avaient supposé qu'il n'y avait aucun tort dans les travaux du côté haïtien. En ce sens, ils ont prévu la création d'une table hydrique binationale, l'arbitrage international ou l'assistance technique internationale dans des cas où il existerait des différends entre les deux pays en question», a-t-il fait savoir.

 Parallèlement, Edwin Paraison a informé que les travaux mis en place par les paysans pour la finalisation de ce canal étaient réalisés dans des conditions de travail archaïques qui ne répondent pas aux normes de la construction moderne. «Il y a une nécessité réelle pour que les paysans de la région trouvent assez d'eau pour irriguer leurs terres. L'État haïtien n'a jamais donné une réponse par rapport aux problèmes de sécheresse malgré qu'il y a les ressources naturelles disponibles. En outre, il est évident que la partie haïtienne prenne en compte les soucis techniques émis par les autorités dominicaines concernant cette initiative» a-t-il ajouté, tout en soulignant l'importance pour que la connexion avec la rivière soit faite en quiétude et au respect des normes environnementales.

Comme bien d'autres spécialistes des questions dominicaines,  M. Paraison dit croire que les Haïtiens ont le plein droit de jouir d'une telle prise puisque la rivière se trouve sur le territoire des deux pays.

Pour sa part, Wideline Pierre, ancienne directrice départementale du ministère de l'Environnement dans le Nord-Est, confie à la rédaction du journal Le National, qu'elle a embrassé cette initiative paysanne qui vise à achever le canal de la rivière Massacre vers Haïti.  «Nous préférons la fermeture de la frontière binationale que de continuer à prendre les humiliations en terre voisine. Les paysans ainsi que les commerçants à Ouanaminthe sont déterminés à poursuivre les travaux. Nous devons nous efforcer, nous dépasser, prendre notre indépendance alimentaire vis-à-vis de la République dominicaine. Le président Abinader doit prendre note de cette décision de la communauté haïtienne», a-t-elle lancé.

Il faut souligner qu'enfin journée, de ce mercredi 13 septembre le ministère haïtien des Affaires étrangères a informé qu'une réunion avait été tenue entre les représentants des gouvernements haïtien et dominicain, à travers la Table sectorielle hydrique binationale de la Commission mixte bilatérale autour du problème de la rivière Massacre sans donner aucun détail sur l'issue de cette rencontre.


 

Oberde Charles

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

2 COMMENTAIRES