Paru aux Editions Freda, Djoumba pou dlo ble est le nouveau recueil de poèmes de Fouad André. Un véritable travail esthétique qui relance sa poésie dans une quête d’identité et une harmonie avec la nature. Une écriture à la fois neuve et renouvelée, qui garde l’essence de sa plume créole enchantée, parcourant contes traditionnels haïtiens, proverbes, chants de la paysannerie, imaginaire collectif et mystique vodou. C’est du Fouad André pour celui qui connait bien la poésie de ce diseur d’expériences : riche en jeu de mots, intense en images et rythmée, comme s’il s’agissait d’un texte préalablement dit avant d’être écrit.
Mwen niche pye vag yo toupatou…
Gad jan lavi bèl
Lè fanm pran plas lanmè
André Fouad, dans ce recueil tente de définir la poésie, sa poésie plus particulièrement, comme il arrive que la poésie contemporaine haïtienne, comme la langue créole, part souvent en quête d’un discours protégé, mais imposant sur elles-mêmes, devant tant d’appropriations faites par leurs auteurs et créateurs. Dans cette quête, l’auteur, loin de perdre son élan, trouve des comparaisons sur le jeu permanent, presqu’incontournable, effectué dans l’écriture poétique moderne et qui donne cette impression de neuf, car encore qu’est-ce qu’un poème si les vers ne sonnent pas neufs, si les « bouts de phrase » tels que Fouad le mentionne, ne sont que ceux entendus sur le trottoir à longueur de journée ?
Pwezi m sanble ak degi bout fraz
Tandrès koulè yo trase toupiti…
Ki non jwèt vil sila ankò
Lè kè toufe
Kwape lanmou nan kouti ?
Une poésie en communion avec la nature ? Originelle ? Qui sait ? Ce recueil nous emporte tel dans une nature morte ou dans un impressionnisme ancien. Ce n’est pas une poésie saisissable dans ce qu’elle comporte d’expression d’un discours sur la vie, sur la nature, sur la nature de la vie ; c’est une poésie de l’expérience. L’auteur y met son amour de la plume, sa pratique des mots, qui nous laissent entrevoir la maturité de son écriture sans cesse renouvelée.
Une poésie à haute voix sinon lyrique, qui parle du je tout en étalant sa faiblesse devant les choses nouvelles. Le je de Fouad André n’est pas un gain, mais une quête. L’auteur se cherche à travers la magnificence de la nature, ses surprises, ses non-dits. “Kote lòm anfouraye/Mwen fè laplanch /Sou do chòv souri san destinasyon rivyè”(P.19). Le merveilleux partout y est, c’est un poète superstitieux, né de cette terre dit-on réaliste-merveilleuse. Hélas ! Cet imaginaire collectif, faudrait-il en faire l’expérience du dedans pour dire son essence. Le poète ne se déplait pas, il rature sa vulnérabilité qui est d’ailleurs celle de tous les fils de ce pays, vulnérabilité par rapport à l’invisible, au mystique.
Flache mwen
Kote m pa t wè
Ou s on beny zetwal…
Les souvenirs de l’enfance, les émotions pures, la vie et la nature des choses mises en panorama, l’amour comme la tristesse peuvent être considérés comme des thèmes dans ce recueil pourtant sans thèmes, faux-fuyant, tant il y a un va-et-vient sur tout, qui devient en définitive un va-et-vient sur le poète qui marche, « aux pieds poudrés ». Il y a tout un étalage de savoirs, de sentiments, de réflexions sur tout ou presque, sur l’entourage de l’auteur, sur son vécu et/ou sur celui des siens.
Fouad André ou André Fouad, le même personnage, l’un ou l’autre est poète ou citoyen du monde, nous livre un travail consistant, ouvert sur le monde, avec des mots ou des phrases empruntés d’autres langues autochtones - comme par exemple, à la page 7, où il utilise du wolof nigérien-congolais pour dire que la vie est belle -, aussi avec des reprises belles, et même si l’on sent la technique imposer ses lois dans quelques-uns des poèmes à la fin du recueil. Les hommes savent être essoufflés mais ne doivent jamais s’arrêter. La poésie dans Djoumba pou dlo ble est gage de cette plume qui ne s’arrête pas, qui continue à nous emmener dans la densité esthétique et l’aurore toujours infinie de la beauté des mots qui font poèmes sous la plume des génies.