Il y a seulement une trentaine d’années, les publications haïtiennes sur internet étaient rares, voire inexistantes. Les journaux haïtiens se présentaient toujours sous le format du papier et les éditions électroniques sur internet n’étaient pas encore de grande circulation. Ajouté à tout cela, il y a eu le problème de l’instabilité politique avec des acteurs politiques irrationnels et des menaces continuelles de « Coup d’Etat permanent », s’il faut reprendre ici une expression chère au Président François Mitterrand. Durant cette période, il fallait relever l’action courageuse et constante du Groupe Croissance et de son Président-Directeur-Général (PDG), l’économiste M. Kesner Pharel dans la promotion des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) en Haïti avec l’organisation successive des foires INFOTEL pendant plus d’une dizaine d’années. De grands changements étaient certes à l’horizon, changements qui allaient bouleverser pour de bon les supports de l’information et de la connaissance que l’on croyait immuables depuis la mise en place de l’imprimerie par M. Johan Gutenberg dans la ville de Mayence, en Allemagne, en 1450. Cependant, de grands changements étaient ainsi à l’œuvre au niveau de l’évolution de la pensée humaine depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en 1945. M. Vannevar Bush, aux Etats-Unis d’Amérique (USA), en avait présenté les traits caractéristiques dans un article célèbre paru dans la revue Atlantic Monthly[1]. Les premières machines rendant possibles le fonctionnement d’une « intelligence artificielle » étaient déjà conçues et fonctionnelles avec l’ENIAC[2] et l’UNIVAC[3]. Mais, les apports du britannique Alain Thuring et surtout la mise en place du microprocesseur par l’ingénieur américain Marcian Ted Hoff pour la firme Intel allaient précipiter la révolution technologique que nous vivons encore. L’ordinateur, avec des algorithmes les plus perfectionnés lui permettant de procéder à des calculs de plus en plus sophistiqués et des tâches les plus diverses, devenait disponible sous sa forme portative. Une véritable révolution scientifique au sens ou l’entendait l’épistémologue Thomas Samuel Kuhn[4], allait bousculer le champ de la communication par exemple et remettre sérieusement en question le monopole du papier comme support de l’information et de la connaissance. Désormais, les autoroutes de l’information et de la communication étaient une réalité. Ce qu’avait auparavant prévu un auteur comme Frederick Wilfrid Lancaster dans un ouvrage publié en 1978 [5] annonçant péremptoirement que le papier avait définitivement fait son temps avec l’avènement du support électronique et de la généralisation des bases de données, les fameux DBSM (Data Base System Management). Des logiciels de plus en plus puissants et efficaces allaient assurer l’exploitation et la gestion de l’information en dévoilant chaque jour de nouvelles perspectives d’échanges et de communication devant culminer au début des années 1990 avec le fonctionnement, au niveau mondial, du réseau Internet. Des entreprises, des médias, des agences, des universités, des organisations diverses sont désormais présents sur ce « réseau des réseaux » qui est promu à un avenir aussi radieux qu’incertain[6].
En Haïti, l’utilisation des ordinateurs était effective depuis le début des années 1970 dans le secteur bancaire et certaines administrations publiques. Au début des années 1980, des Centres universitaires et des Ecoles de commerce commencèrent à enseigner l’informatique sur une grande échelle. En 1985, la chanteuse Jacqueline Denis chantait les vertus de l’ordinateur avec la chanson Ordinacoeur sur un texte de M. Herby Widmaier. Dans le domaine de la presse, les hebdomadaires édités en diaspora, particulièrement aux Etats-Unis d’Amérique (USA) comme Haïti en Marche, Haïti-Progrès, Haïti-Observateur furent les premiers à affirmer leur présence sur internet en présentant au public des éditions électroniques, à côté de leur édition en papier. Des stations de radio comme Radio Métropole, Radio Signal FM, commencèrent à exploiter les possibilités du World Wide Web (WWW) en créant une page contenant l’essentiel des bulletins de nouvelles. Le mouvement sera suivi et actuellement, toutes les stations de radio haïtiennes sont disponibles sur internet.
C’est dans ce contexte difficile et particulièrement troublé du milieu des années1990 qu’un groupe de jeunes journalistes et de professionnels avait choisi de miser sur l’avenir avec une publication diffusée exclusivement sur internet et de consultation libre et totalement gratuite. Une initiative osée, très osée, une démarche communicationnelle jusque-là inconnue en Haïti où les journaux étaient toujours en format papier et surtout payants. Le concept était vraiment nouveau à l’époque en Haïti. Il s’agissait de la publication en ligne Alterpresse se caractérisant, dès le départ, par la profondeur de ses analyses et son traitement professionnel de l’information selon les exigences éthiques et déontologiques du journalisme. Le site d’Alterpresse, formaté en quatre langues : Créole, Français, anglais et Espagnol, comporte des dépêches donnant des nouvelles sur l’actualité nationale et internationale, une rubrique Perspectives, des articles d’actualité, des analyses politiques et économiques, des Vidéos, des dossiers, des études en profondeur, des reportages, et une section d’archives permettant au lecteur de retrouver les articles ou dossiers déjà publiés. Des thématiques comme les Droits humains, les droits de la femme, la santé, les politiques sociales, le Développement durable, l’économie, les relations Haïtiano-dominicaines, l’Université, sont l’objet de publications continues. Bref, un grand choix de lectures sur des sujets d’actualité et d’intérêt public pouvant valablement augmenter les capacités du lecteur. De plus, des échanges sont possibles entre le lecteur et l’auteur de l’article. La formule du journal en ligne d’Alterpresse a eu du succès, beaucoup de succès. Elle sera reprise, d’ailleurs avec des fortunes diverses, par plusieurs journalistes et le concept de médias en ligne fait partie aujourd’hui de notre environnement immédiat. Le site d’Alterpresse est très visité et consulté par des lecteurs tant en Haïti qu’à l’étranger et les travaux et articles publiés sur sa page sont cités dans des travaux de recherche universitaires et des publications de référence sur Haïti aussi bien dans le pays qu’à l’étranger. Je connais personnellement des étudiants réalisant leur mémoire de sortie sur la thématique des Relations Haïtiano-Dominicaines qui ont pu rédiger une bonne partie de leur cadre théorique à partir des articles d’Alterpresse sur la question. En plus des informations et analyses sur l’actualité nationale et internationale, le Groupe Médialternatif fournit un ensemble de servies comme par exemple des productions audiovisuelles pour la radio et la télévision, la conception et la construction des sites internet, des campagnes de sensibilisation, de formation en communication et multimédia. Mais, ce qui nous avait le plus intéressé dans le paquet des activités du Groupe Médialternatif est le Télécentre des jeunes en ce sens qu’il s’agit d’une expérience de promotion de la lecture par la technologie de l’information et de la communication. Comment cela fonctionne ? D’après la publication Nouvelles images d’Haïti « Un Télécentre (aussi appelé Télécentre Communautaire Informatique) est très différent d'un cybercafé. C'est un lieu où les personnes d'une communauté apprennent, de manière collective, l'usage des nouvelles technologies. Ils payent un prix inférieur au prix du marché. (20 gourdes / heure). A Port-au-Prince, le Télécentre des Jeunes, animé par le Groupe Médialternatif accueille des jeunes filles et des jeunes garçons afin qu’ils cherchent et produisent des connaissances utiles pour améliorer la qualité de vie de leur communauté, afin qu'ils entretiennent des relations avec d'autres communautés, qu'ils publient leurs opinions et relatent la vie de leur région (sur le site du Télécentre) et qu’ils essaient ainsi d’échapper à l'exclusion digitale à laquelle ils sont soumis. Tout se passe dans une atmosphère de collaboration mutuelle et de participation citoyenne. Le Télécentre est intégré au tissu social de proximité et propose, par le biais des TIC, des réponses à différents besoins »[7]. Il s’agit bien d’un service communautaire permettant aux jeunes de se familiariser avec la technologie de la communication en devenant des consommateurs avisés et intelligents de l’information. Après plus de vingt années de fonctionnement dans un contexte de plus en plus difficile, le Groupe Médialternatif a pu tenir. Il s’installe maintenant, comme nous l’avons mentionné, comme une source documentaire incontournable par la qualité de ses informations et son mode de traitement des dossiers. Alter Radio, le dernier né du groupe s’inscrit dans la même tradition. Une tradition de qualité et de professionnalisme avec un site attrayant pour la lecture en ligne et des programmes de radio bien élaborés dans le cadre de la promotion du droit à l’information. Dès son départ, le Groupe Médialternatif avait misé sur la technologie. Un pari risqué, très risqué quand on connait les problèmes d’énergie électrique et de fiabilité des réseaux de connexion d’internet. Mais l’équipe dirigeante constituée de M. Ronald Colbert, de M. Vario Sérant autour du Coordonnateur M. Gotson Pierre a su tenir. Le résultat est aujourd’hui évident. AlterPresse, c’est un choix de lectures très variées et très diversifiées dans quatre langues différentes. Quant à AlterRadio, elle est présente sur internet et sur le cadran de la bande FM au 106. 1 et sur toutes les plateformes de communication numérique avec une programmation de choix. En dépit de toutes les difficultés, le pari se tient. Il s’agit bien de « Promouvoir et défendre le droit à la communication » en misant sur la technologie. N’est-ce-pas M. Gotson Pierre ?
Jérôme Paul Eddy Lacoste
Documentaliste, Responsable académique de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH).
babuzi2001@yahoo.fr
Septembre 2024
NOTES
[1] Voir sous ce rapport le célèbre article de M. Vannevar Bush « As we may think », publié dans la revue Atlantic Monthly, de juillet 1945.
2 Electronic Numeral Integrator and Computer
3 Universal Automatic Computer
4 Thomas Samuel Kuhn a publié en 1962 Structure des révolutions scientifiques. Il s’agit d’un ouvrage classique dans le domaine de l’épistémologie, traduit dans presque toutes les langues du monde et étudiant de manière approfondie la notion de paradigme.
5 Frederick Wilfrid Lancaster (1978). Toward a paperless Information System. Academic inc.
6 Sous ce rapport, on consultera avec profit le Supplément spécial du Monde diplomatique. Internet, l’extase et l’effroi. Octobre 1996, avec des articles de grande portée d’Ignacio Ramonet, de Philippe Qeau, d’Armand Mattelart, de Francis Pisani, d’Ingrid Carlander, d’Asdrad Torrès, de Dan Schiller et de Richard Falk.
7 Cindy Drogue, « Le Télécentre des Jeunes à Port-au-Prince : un effort pour atténuer la fracture numérique en Haïti ». Nouvelles images d’Haïti. mai 2008 – n°66. www.chf-ressourceshaiti.com. Accédé le 12 mai 2022.
[1] Voir sous ce rapport le célèbre article de M. Vannevar Bush « As we may think », publié dans la revue Atlantic Monthly, de juillet 1945.
[2] Electronic Numeral Integrator and Computer
[3] Universal Automatic Compute
[4] Thomas Samuel Kuhn a publié en 1962 Structure des révolutions scientifiques. Il s’agit d’un ouvrage classique dans le domaine de l’épistémologie, traduit dans presque toutes les langues du monde et étudiant de manière approfondie la notion de paradigme.
[5] Frederick Wilfrid Lancaster (1978). Toward a paperless Information System. Academic inc.
[6] Sous ce rapport, on consultera avec profit le Supplément spécial du Monde diplomatique. Internet, l’extase et l’effroi. Octobre 1996, avec des articles de grande portée d’Ignacio Ramonet, de Philippe Qeau, d’Armand Mattelart, de Francis Pisani, d’Ingrid Carlander, d’Asdrad Torrès, de Dan Schiller et de Richard Falk.
[7] Cindy Drogue, « Le Télécentre des Jeunes à Port-au-Prince : un effort pour atténuer la fracture numérique en Haïti ». Nouvelles images d’Haïti. mai 2008 – n°66. www.chf-ressourceshaiti.com. Accédé le 12 mai 2022.