Quêter la lumière
C’est par la mode que Myrielle Pierre Charlier, native d’Ouanaminthe, au Nord-Est de la république d'Haïti, est arrivée à la peinture. Une visite à son atelier de production le lundi 29 juillet 2024 Nous a permis de découvrir, au-delà de son charme et de sa chaleur communicative, une plasticienne au talent multiple. Du design au recyclage en passant par le collage, la maroquinnerie, la bijouterie et l’artisanat d’art, Myrielle semble exceller dans tous les genres et dans toutes les techniques. La présentation de sa collection de sacs en main en Kawotchou à la foire Femme en production, en novembre 2014, lui a d’ailleurs valu le prix Innovation de l’année.
Son credo d’artiste, dit-elle, tient en deux mots : engagement et qualité. « Engagement par ce que je viens d’Haïti, particulièrement du Nord d’Haïti, terre de résistance », nous a-t-elle confié. Pourtant la peinture de Myrielle n’est pas une clameur, ce n’est pas une peinture de dénonciation contrairement à celle d’une Pascale Faublas par exemple, trop souvent enfermée dans ses repères féministes. C’est en effet d’un engagement plus spirituel que politique qu’il s’agit. Une quête de lumière (Source lumineuse, acrylique sur toile 20x24), à travers une métaphysique sous-jacente au vodou présenté comme un espace de sens, un réservoir de forces directionnelles définissant les paramètres à partir desquels l’être haïtien construit son identité.
C’est là justement où ce travail nous paraît d’importance. Partant d’une conception du vodou comme lieu de spiritualité dont elle cherche à marquer le caractère spécifique, Myrielle se place en rupture à une tradition installée depuis l’éclosion du Centre d’art et l’avènement des peintres dits naïfs (Hyppolite, Saint Brice, André Pierre etc.) présentant certaines divinités du vodou comme des êtres de chair et de sang doués de sentiment, capables d’éprouver de la colère et de la jalousie, capables d’aimer ou de haïr. Pour elle, les loas sont des « énergies» donc pas question de leur prêter des formes et des émotions humaines. Et si dans Freda (acrylique sur toile 28x28), on peut déceler une silhouette féminine ce n’est pas tant l’esprit (la maitresse Erzulie traditionnelle) qui est représenté que la servante en communion avec cet esprit. Freda, à qui l’artiste consacre toute une série, est tantôt source lumineuse de l’amour, tantôt source de vie à travers des procédés de composition relevant plus souvent de l’abstraction que de l’art figuratif. Seule compte, l’harmonie des couleurs (le violet, le jaune, le bleu et parfois le rouge) pour traduire l’énergie et la puissance de l’esprit.
De même que dans Danmbala, les formes en spirale qui se déploient sur la toile laisseraient à première vue penser au mouvement de la couleuvre associée généralement à cette divinité. Mais pour l’artiste, ces formes <<arbitraires >> obtenues grâce à un jeu de vert, de jaune et de blanc en dégradé sont en réalité une évocation des trois moments de tout processus social ou biologique : la genèse, la maturation, la fin ou le déclin.
«Quelle est la relation entre la peinture haïtienne et le sacré en général dans la conception, la production et l’interprétation qu’en font les peintres haïtiens eux-mêmes depuis le vodou ? », se demande Laënnec Hurbon dans « La Peinture haïtienne et le sacré ». Pour Myrielle, le vodou n’est pas ce prisme déformant à travers lequel le sacré pourrait être perçu et qui permettrait aux artistes de rendre visible l’invisible. Elle ne cherche pas à rendre visible l’invisible mais plutôt à sortir du visible et de l’apparence pour aller à l’essence. «Le sacré c’est la lumière, source de toute vie», dit-elle, mettant les dernières touches à son projet d’exposition Amoni prévue pour cette fin d’année 2024.
Voltaire JEAN
Critique d’art