Vie, splendeur et solitude : Un seul être vous manque et tout est repeuplé

Après «Tel fils», un récit autobiographique inspirant, le jeune auteur haïtien Samuel Mésène vient de livrer à ses lecteurs son roman : Vie, splendeur et solitude. À l’instar de son premier texte, Mésène continue de malmener les mots, les distordre pour dire enfin le silence et expliquer à travers les mots la passion d'écrire qui le dévore et le déchire comme un ver dans un fruit mûr. Sur le chemin de l'écriture Samuel Mésène s'avance avec assurance et c'est tant mieux pour la littérature laquelle trouve des auteurs qui mettent en avant les obsessions et les passions qui sont si souvent inhérentes à l'âme humaine. Dans Vie, “splendeur et solitude”, un roman de cent vingt pages, paru en avril 2024, le lecteur sera amené à suivre l'itinéraire de Paul Constant aux fins de s'insérer dans les faits marquants de sa vie alors qu'il est mort. Ce contraste saisissant entre la vie et la mort embellit par endroits les pages de ce roman et nous révèle certaines vérités sur la vie des protagonistes que Samuel Mésène a voulu sans dérision révéler au grand jour. Dans cet entretien réalisé avec Le National, le public littéraire aura bien vite envie de lire ce roman écrit avec un mélange d'audace, de démesure et de mysticisme. Entretien.

Le National : Après « Tel fils », un récit autobiographique haletant, lequel revient sur des rapports filiaux et paternels, vous présentez à vos lecteurs  :  "Vie , splendeur et solitude". D'où vous vient cette passion d'écrire ?

Samuel Mésène : Cette passion pour l'écriture m'est venue probablement de ma passion de la lecture, tout écrivain étant en principe un grand lecteur. J’ai appris à aimer les livres de part la fréquentation, enfant, de la bibliothèque de mon père. Il y avait pour la plupart des ouvrages auxquels je ne comprenais pas grand-chose. Peut-être était-ce là l'élément déclencheur de ma passion des mots : c'est toujours fascinant, les choses cachées.

LN : De l'autobiographie et récit intimiste et personnel au récit imaginaire, pourquoi ce revirement ?

SM : Une fiction n'est jamais totalement imaginaire, à mon avis. On s'inspire toujours de quelque chose que l'on a vécu ou dont on a été témoin. Si ce n'est ni l'un ni l’autre cas, il s'agit de toute façon d’une thématique qui nous tient à cœur et dont la fiction est le meilleur chemin de l'aborder. Donc pour moi une fiction est plus ou moins une autofiction. Et,  en effet, comme vous dites, mon récit « Tel fils » est hautement autofictif alors que « Vie, splendeur et solitude » l'est encore moins. Donc, dans ce nouveau texte, j’ai pris beaucoup de recul sur les faits que je me suis proposé  de faire la narration fictive.

LN : Êtes-vous désormais attiré par des personnages de papier qu'au récit autobiographique ?

SM : Tous mes personnages ont un lien plus ou moins personnel avec moi. Ou l'inverse : j’ai toujours un lien plus ou moins personnel avec mes personnages.

LN : Votre dernier roman permet à vos lecteurs de se mettre sur les pas de Paul Constant. Des protagonistes ont invoqué sa mort tout en relatant sa vie. La mort du personnage principal a-t-elle été l'élément déclencheur pour cerner les faits marquants de sa vie ?

SM : Tout à fait. C’est d’ailleurs ce qu'on fait la plupart du temps. Quand on parle d'un mort, ce sont souvent les habitudes de sa vie que l'on évoque : son sourire, son trait d'humour, ses bêtises délirantes, ses péchés mignons... Quand on parle des morts, même quand il est question de personnes que l'on avait fortement détestées, on ne parle que des traces qu’ils laissent par la façon dont ils ont vécu.

LN : Comment avez-vous mis en scène les rapports sociaux dans ce roman ?

SM : Comme dans mon précédent récit, j’ai choisi dans « Vie, splendeur et solitude » la narration à plusieurs voix. D'abord, celles croisées de deux femmes qui ont connu intimement Paul Contant, celui même dont la voix a cessé de se faire entendre ; et enfin, une version impersonnelle ou plutôt à la troisième personne, qui elle-même ne conclut pas, mais dit de préférence la version de la rue, les rumeurs.

Je décris dans ce texte des rapports sociaux de sexes. Que dit une femme d'un homme qu'il a aimé, surtout quand celui-ci est mort, et quand même s'agirait-il d'un « vagabond » de la pire espèce ? Mieux encore, que se disent deux femmes à propos d’un homme qu'elles ont partagé, malgré elles ? Ou encore qu’est-ce qu'elles ne se disent pas ? Je me suis efforcé de répondre à ces questions, tout en sachant que mon œuvre n'est pas un échantillon représentatif et peut même paraitre comme une utopie.

LN : En brossant le portrait moral de Paul Constant, avez-vous l'intention de caricaturer certains archétypes de  la société haïtienne d'aujourd'hui ?

SM : Je me suis rendu compte que Paul Constant, tout en étant unique, ressemble en bien des points aux « hommes », c’est-à-dire aux mâles de ce monde « viriarcal », comme le décrit bien la philosophe Olivia Gazalé dans son essai intitulé Le mythe de la virilité, en reprenant un terme proposé par la sociologue Nicole-Claude Mathieu. Justement, j’aurais pu dire « patriarcal », mais Paul Constant n'a pas pu vivre la paternité. Et le concept « viriarcat » est bien plus englobant à mon sens.

LN : Ces modèles présentés dans votre récit sont-ils des exemples à suivre ou des modèles à méditer?

SM : Ce sont des personnages dont on peut s'inspirer pour faire ou ne pas faire des choses.

 LN : Donnez-nous un extrait de ce roman.

SM : « Les deux femmes étaient accoudées au bar, chacune perdue dans sa tasse de thé au gingembre, indifférentes toutes les deux à leurs voisins de comptoir. Leur aurait-on dit quelques mois plus tôt qu’elles se retrouveraient là, ensemble, à frictionner leur chagrin dans ce café fréquenté par des étudiants en mal d’aventures, en cet après-midi nostalgique, elles n’y auraient pas cru une seconde. On dit même que naguère elles ne pouvaient point se blairer, antagonisées par le partage d’un homme, leur pomme de discorde, dont elles disputaient le monopole, la fidélité exclusive. Cette rumeur, de source inconnue, s’infiltrait chaque jour davantage dans les coins et recoins des Gonaïves, depuis la disparition du nœud gordien qu’elles auraient alors longtemps cherché à dénouer. Cet enfoiré — paix à son âme — qu’elles auraient partagé malgré elles, et qui aurait tout fait pour les tenir éloignées l’une de l’autre dans les soirées dansantes auxquelles, en vrai, elles n’avaient jamais pris part, dans les clubs où elles ne s’étaient jamais pointées ; cet homme dont elles n’auraient maintenant en partage que le souvenir, certainement pas le même pour toutes les deux, cette espèce ne laissant guère les mêmes empreintes partout.

Les deux femmes étaient là, ensemble, côte à côte, mais chacune dans sa tasse de thé, au propre comme au figuré. Elles pensaient à demain, ou sans doute à ce matin sans nuage par lequel elles avaient rendu un dernier hommage à leur regretté poulain, leur premier grand amour, car marqué de rebondissements. C’est exactement pour cela qu’elles s’étaient donné rendez-vous. Pour en parler dans ce bar, parce qu’elles savaient que Kay’Anm ne serait pas bondé de fêtards à cette heure-là. Elles s’étaient donné rendez-vous pour se dire les choses. Revoir l’itinéraire qui les avait conduites vers un garçon qui, comme une anguille, leur avait échappé en fin de compte. Mais comment en avoir le cœur net si on ne se livre pas ? Comment se guérir ou se pardonner si chacun garde pour soi son mal-être ? C’est Fleur Beauchemin qui, enfin, entreprit de rompre la glace, de dissiper ce brouillard épais pour Cœur Excellent, son ex-rivale. »

LN : Que représente le roman pour vous ?

S M : Le mien est le deuxième pas d'une longue carrière d'écrivain, j’espère.

Le roman ou la fiction en général est l’outil le plus efficace pour comprendre et décrire l'âme humaine.

Le National : Quelles sont les dates retenues pour les ventes signatures ?

Samuel Mésène : Des dates seront communiquées sous peu. Sans doute pour la fin du mois de mai. En attendant, les lecteurs et lectrices pourront trouver le livre sur les étagères de C3 Éditions, au 31, Delmas 31. Ils/elles peuvent me contacter également au (+509) 3918-5030.

 

Propos recueillis par :  Schultz Laurent Junior

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