Du « Rabòday » haïtien en ses trois langages : dissociation ou unité

«La musique comme langue des émotions humaines est un élément qui nous permet d’exprimer nos émotions ». Nous ne saurions limiter la musique qu’aux sons du fait de l’interaction avec le monde environnant et ses stimuli qui interpellent le monde intérieur. La musique folklorique est le meilleur vecteur pour faire animer les récepteurs dans une participation pleine. Le «  Rabòday » comme une expression de la musique populaire haïtienne se situe dans des immersions culturelles plurielles. On a constaté une transversalité du «  Rabòday » à d’autres genres et cette plasticité lui donne une notoriété populaire malgré des réserves qui renvoient aux mots et images qui ont tendance à projeter une dévalorisation de la femme dans son corps,ses pratiques et ses habitudes quotidiennes. En fait, les paroles, les images et les sons constituent les trois langages que nous associons au  «  Rabòday  ».

 

 

Le «  Rabòday  » sert de support aux publicités, à la sensibilisation et l’éducation de la population.Le tube « Lave men nou » de Tony Mix, Sheldon Babas Maestro T Madada Steezy Music Group, a été très prisé comme sensibilisation et prévention au Covid 19. »Metel sou Tèt ou » est un autre tube pot-pouri de TonyMix pour promouvoir des boissons alcoolisées de référence en Haïti. Il y a lieu de noter paradoxalement l’usage du «  Rabòday  » par  MagicFlow dans «Bagay yo rive » dans la prévention de l’abus sexuel  contre les mineur ( e) s , pour une musique réputée pour éloge  de la misogynie .

 

 

La musique est par essence vibration.«  Rabòday  » est à la fois musique et vibration par l’émotion qu’il produit chez les récepteurs et réceptrices.Ce que Jasmin (2020) a décrit dans son mémoire de licence en Communication intitulé « Éléments des chansons “Rabòday” suscitant l’émotion lors de l’écoute des femmes haïtiennes. Cas  des femmes  âgées de 15 à 30 ans  de la communauté de Caridad ». Les sujets interviewées disent sentir une vibration écoutant la musique « Rabòday ».Elles se sont plongées dans leur univers identitaire. Le rythme est entrainant et les emporte. Le tempo est captivant et donne du plaisir. Le rythme est aussi excitant. On ne peut  pas rester sans  bouger le corps. On tourne la hanche tout en éxécutant des grouillades qui frisent l’indécence et la pudeur pour beaucoup qui évoquent l’idée de dépravation associée aux pratiques de  «  Rabòday  ». Les femmes dansent et chantent les chansons même si elles reconnaissent les propos machistes et dénigrants mais le rythme procurent des plaisirs si énormes , a rapporté Jasmin. Ne peut-on évoquer la notion de refoulement pour expliquer la distanciation et le rejet des mots et paroles en support au  «  Rabòday  »?Ce qui submerge à la phase d’éveil de conscience critique du récepteur ou de la réceptrice.

 

 

La musique comme forme de communion fait plonger dans une transe. Bien Aimé ( 2020) a pris «les mots  comme témoins du langage dicible, la musique et l’image pour interpeller l’irreprésenté de nos scènes quotidiennes». Par contre Jasmin prend le parti pris pour une attitude sélective de la part du récepteur. Il s’appuie sur  Terrien à savoir : « lorsqu’un  auditeur écoute   une musique, la verbalisation des sentiments est la première manifestation  de ses éprouvés et de ses connaissances. Il avance en soulignant dans l’écoute de l’œuvre musicale, l’auditeur fait une évaluation des informations liées à son environnement et perçues par ses sens et, en ajustant son comportement à cette écoute, il prépare une série d’action qui va lui permettre de communiquer et de développer sa réflexion».S’agit-il de dédoublement du sujet qui tend dans une autre temporalité à dissocier  paroles,  images et  sons ? «  Rabòday  » saurait se transposer à l’ambiance du carnaval ou de celui du rara et en ce sens nous pourrons évoquer Mirville (1978) pour qui :«le carnaval est un des lieux de simulation des ébats.Tous les masques sont tombés».

 

Le «  Rabòday  »  a envahi  beaucoup de genres : la musique, la publicité, la danse, la poésie, les chants religieux et les cantiques, les chorégraphies. Il se déplace de l’ambiance de « rara » pour animer des activités dans d’autres milieux soient l’école, l’université, l’église,les rues, les discos, le défilé carnavalesque, les festivals de jazz.

Beaucoup de chants de noël s’appuie sur le support rythmique «  Rabòday  ». Nous citons «Matimba Joyeux Noël 2023» , une adaptation de Pè noel ki soti nan syèl«, Noel Rabòday (Nwèl chanjman ) de Pipolove-Alendjy-Mycoloco, “Christmas Ping Pong»-Instrumental de Vladimix Rabòday Noël et Joyeux Noël BY LB2 Beat instrumental Rabòday 2022.

 

 

Hancy PIERRE, professeur à l’Université

 

 

 

 

Repères bibliographiques

 

 

 

  -BIEN AIME Kesler (2020), Jazz-Imaj.Une autre pensivité photographique, Editorial Bukante, Port-au-Prince .

-PIERRE Hancy (2016). « Pratiques de loisirs chez les jeunes dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince après 1986 : entre contrôle social et contestation. » Cahiers du CEPODE. No 6, Avril 2016, Édition du  CEPODE.p 73-109.

-LIZAIRE Jean Evenson (2016), « des jeunes en débandade: la mise en récit d’une société en perdition » in Cahiers du CEPODE. No 6, Avril 2016, Édition du  CEPODE.p 111-144.

-ANDER-EGG Ezequiel (1984), metodologia y practica de animacion sociocultural, Humanitas, Buenos Aires.

-JASMIN Frandy (2020), Musique haïtienne : Éléments des chansons rabòday

Suscitant l’émotion lors de l’écoute des femmes haïtiennes. Cas des femmes âgées de 15 à 30 ans du quartier Caridad,Faculté des Sciences Humaines, Université d’Etat d’Haïti.Non publié.

-PIERRE Hancy (2023), « Les expressions de la musique haïtienne dans le prisme de la culture de masse: dilemmes éthiques et perspectives » in Le National, Port-au-Prince.

-PIERRE Hancy (2023) « Haïti:du Raboday ou de la musique profane à la carte » in le National, 15 decembre 2023.

-PIERRE Hancy (2023) « Haïti:le Rabòday à l’aune de la musique populaire et de la musique savante » in le National, 14 novembre 2023.

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