Dans les coulisses du prix Goncourt des détenus

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L'annonce du lauréat de la deuxième édition du prix Goncourt des détenus sera faite ce jeudi 14 décembre. Nous avons suivi un atelier de lecture au sein de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, où l'organisation est forcément un peu particulière.

Dans une des spacieuses bibliothèques du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis (Essonne), assis sur des chaises disposées en cercle, une quinzaine d'hommes trépignent d'impatience. «Nous allons commencer avec un peu de retard», avertit Lena Sarrut, directrice de Lire c'est vivre, l'association phare de la maison d'arrêt, chargée de développer la lecture en milieu carcéral. Comme tous les jeudis après-midi depuis deux mois, l'enthousiaste bibliothécaire anime avec ses acolytes un atelier de littérature dans le cadre de la deuxième édition du prix Goncourt des détenus.

Créée l'année dernière, cette version insolite du prestigieux bandeau rouge permet à 600 personnes incarcérées de récompenser le roman qu'ils préfèrent parmi les seize de la sélection officielle. Né de la mobilisation conjointe de l'Académie Goncourt, de la Direction de l'administration pénitentiaire (DAP) et du Centre national du livre (CNL), ce prix littéraire favorise la lecture et l'éloquence en prison. «Des atouts précieux à valoriser en parcours de réinsertion», insiste Margaux Velten, référente nationale de la politique culturelle auprès de la DAP et du ministère de la Justice.

Mais cette initiative, aussi pertinente soit-elle, recèle d'innombrables défis d'organisation. À commencer par la sélection des quarante établissements pénitentiaires participants (trente-et-un lors de la première édition, qui avait récompensé Sarah Jollien-Fardel pour son roman Sa préférée). «Il y a eu beaucoup de candidatures, mais nous avons privilégié les prisons qui avaient de vrais programmes d'accompagnement des lecteurs, en associant des encadrants complémentaires tels que des libraires, des enseignants, des coordinateurs culturels et des bénévoles d'associations», poursuit Margaux Velten.

Transfert des détenues et adaptation aux contraintes

À Fleury-Mérogis –la plus grande prison d'Europe–, l'équipe porteuse du projet s'est même complexifié la tâche en composant des ateliers mixtes. «C'est plus enrichissant pour les détenus quand ils sont mélangés», indique Lena Sarrut. Il faut donc accepter de patienter à chaque début de séance, le temps que les femmes soient transférées jusqu'au quartier de la maison d'arrêt pour hommes.

«Un camion et une surveillante leur sont affectées exclusivement, donc parfois ça prend du temps, explique la directrice de Lire c'est vivre. Nous sommes rodés aux retards, c'est pour ça que nous prévoyons toujours une plage horaire de trois heures pour avoir deux heures au moins de lecture effective.» Avant de préciser, dans un sourire: «Quand on travaille en prison, c'est une toute autre logistique, on s'adapte aux contraintes carcérales.»

Après une heure d'attente, et le groupe enfin au complet, l'atelier peut commencer. «Aujourd'hui, nous allons vous dévoiler le résultat de vos votes», annonce solennellement Dominique Pipard-Thavez, présidente de l'association Lire c'est vivre. La vingtaine de détenus tressaillent. «Alors, arrive à la première place Les Conditions idéales de Mokhtar Amoudi, Les Amants du Lutetia d'Emilie Frèche en deuxième position, puis le livre de Jean-Baptiste Andrea, Veiller sur elle, en troisième [récompensé par le prix Goncourt le 7 novembre, ndlr]», révèle la doyenne de l'association, dont la voix est immédiatement recouverte par un tumulte d'exclamations.

Cette cacophonie soudaine est à la hauteur de l'importance du moment. Chaque membre de ce jury original s'est particulièrement investi, certains ayant lu tous les romans, comme Mariem. «Une performance car peu de gens sont capables de lire seize livres en à peine deux mois», souligne avec fierté Dominique Pipard-Thavez.

«Il a fallu du cardio pour tout lire», renchérit Mehdi, hilare. «Faut pas croire, lire en prison, c'est un challenge en soi», complète le jeune homme qui s'était organisé pour bouquiner le soir en négociant avec son codétenu des heures de silence sans télévision. Mariem, de son côté, s'est privée de promenade lors de huit week-ends consécutifs, «afin de finir à temps».

Faire venir des auteurs en milieu carcéral

Même si certains n'avaient pas voté pour Les Conditions idéales, tous les membres du jury de lecteurs incarcérés de Fleury-Mérogis s'accordent sur le mérite indéniable de Mokhtar Amoudi. Il faut dire que l'écrivain de 35 ans s'était déplacé quelques semaines plus tôt pour les rencontrer. «Il était important d'inclure dans ce projet des temps d'échange entre les auteurs et les détenus», justifie Margaux Velten. Même si là encore, cela implique en coulisse une organisation méticuleuse.

L'agenda des auteurs est en effet géré par le Centre national du livre qui transmet à l'administration pénitentiaire les disponibilités de chaque lauréat. Cette dernière relaie ensuite les informations à chaque prison. «C'est un véritable Tetris, voire un casse-tête», glisse-t-on à la DAP. Cette année d'ailleurs, certains établissements n'ont reçu personne, la faute à des contretemps de dernière minute.

À Fleury-Mérogis, cette mission d'accueil des écrivains a été déléguée à l'association Lire c'est vivre, qui s'est occupée du moindre détail comme «donner les informations pratiques pour se rendre à la maison d'arrêt, ce qu'il est autorisé d'avoir comme affaires personnelles pendant l'événement, enfin bref les règles classiques en détention», explique Lena Sarrut.

Pour «préserver une ambiance sereine», aucun dispositif de sécurité particulier n'a en revanche été déployé, si ce n'est la présence d'un surveillant comme pour n'importe quel événement. «Même au lancement du prix, à Rennes, alors qu'il y avait le directeur adjoint de l'administration pénitentiaire, des auteurs, des journalistes, bref du beau monde, une seule surveillante était présente dans la salle», raconte-t-on à la DAP.

Fin novembre, de même qu'à Fleury-Mérogis, des votes ont été organisés dans les quarante prisons participantes pour élire les favoris. «Aucune consigne n'avait été donnée» concernant le déroulé. «Certaines prisons ont procédé par bulletin secret, d'autres à main levée, il y en a eu où c'était même au fil de la discussion», retrace Margaux Velten.

Puis ont eu lieu les délibérations régionales du 27 novembre au 5 décembre, c'est-à-dire entre les établissements de chacune des dix zones retenues. Toutes les prisons ont élu leurs représentants qui ont ensuite défendu leur choix face aux autres. Pour la région francilienne, les débats se sont passés dans la salle Ovale de la Bibliothèque nationale de France, dans le IIe arrondissement de Paris.

Mariem aurait rêvé participer aux délibérations régionales, mais elle n'était pas «permissionnable», comprendre: éligible à l'octroi d'une permission de sortir. Mehdi non plus. L'association Lire c'est vivre a donc présenté d'autres candidats à la commission d'application des peines qui a statué en faveur de Marcel et Noé. «Pour obtenir une permission de sortir, il faut avoir le statut de condamné, être à mi-peine et que le temps de détention restant soit inférieur à trois ans», énumère Renaud Lassince, directeur adjoint du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis.

Le choix de recourir à des permissions de sortir, plutôt qu'à des autorisations de sortie sous escorte (où le détenu est encadré par des forces de l'ordre ou des surveillants pénitentiaires), se justifie par une organisation bien plus simple. «Il n'y a pas besoin de surveiller le condamné. D'ailleurs, les surveillants présents viennent pour accompagner, mais ne sont en aucun cas là pour garantir la sécurité. En donnant une permission de sortir, le juge prend la responsabilité de laisser sortir le condamné», ajoute Renaud Lassince.

D'autres établissements ont préféré passer par la visioconférence, comme la maison d'arrêt de Seine-Saint-Denis située à Villepinte. «Nous utilisons aussi cette méthode pour les lecteurs détenus d'Outre-mer, parce que ce serait un peu trop compliqué de les faire venir en avion», confirme Margaux Velten.

À la suite des débats régionaux, dix détenus –un par région– ont été retenus pour assister à la grande délibération finale et nationale du jeudi 14 décembre au Centre national du livre. «Tout se passera à huis clos, puis il y aura un temps avec la presse, les auteurs, nos partenaires et enfin la cérémonie du soir», étaye Margaux Velten.

À quelques jours du verdict, le suspense est palpable. «J'ai vraiment hâte de savoir si nos choix seront ceux des autres», s'impatiente Mariem. Une chose est sûre, tous espèrent que le succès de cette édition sera reproduit. «Rien ne serait possible sans la mobilisation du CNL, du personnel de l'administration pénitentiaire et surtout le travail de fond que réalisent les acteurs comme Lire c'est vivre», conclut Margaux Velten. En effet, cette association ne se contente pas seulement d'animer les ateliers du prix Goncourt des détenus, elle propose toute l'année des cercles de lecture aux personnes incarcérées, parfaitement préparées pour la rentrée littéraire.

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