Contexte
Respectivement dans ses articles 27 et 30, les Dispositions Transitoires (DTs) de 1997 ont statué sur la nécessité de réformer l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) pour entériner l’unification des 11 entités d’enseignement supérieur (EES) sous une forme de gouvernance démocratique. Elles exigent des responsables élus de former «…une commission chargée de préparer le Projet de réforme de l'UEH dans tous ses aspects. Cette Commission élaborera, en particulier, un projet de loi organique de l'UEH…» et que celle-ci devra soumettre ledit projet «…au Conseil de l'Université dans un délai maximum de six mois…» N’étant toujours pas au rendez-vous depuis 1997, ladite réforme demeure impérative considérant la dynamique actuelle des affaires humaines. Elle doit principalement tourner autour de l’enseignement académique, la conduite de la recherche dans le cadre d’une structure ou forme de gouvernance universitaire par le biais d’une loi organique.
Toutefois, il est admis qu’elle ne se résume pas au montage fixe de cette dernière dont la force provient des pratiques devant donner lieu à un construit relativement permanent, mais fondé sur un socle flexible qui facilitera les adaptations appropriées au contexte sur la courbe du temps. Si l’idée initiale visait la modernisation de l’UEH, aujourd’hui, le processus doit mettre le cap sur l’élévation de l’UEH au rang des meilleures universités des régions de la Caraïbe et de l’Amérique latine dans moins d’une génération vers 2050. Pour ce faire, il est nécessaire de repenser le système académique en lui dotant de standards internationaux afin que ses programmes académiques recommencent à jouir de la crédibilité d’antan au même titre que les meilleures universités du monde.
Les réflexions suivantes dressent le diagnostic du système actuel et suggèrent que le Régime Académique Commun (RAC) déjà adopté soit pleinement implémenté. En cours, elles démontrent que la justesse du RAC repose sur quatre piliers dont le premier illustre l’architecture d’un système d’enseignement supérieur à instaurer, le deuxième décrit l’essence d’un programme de bourse de relève enseignant à instituer, le troisième présente l’école de Sciences et Art comme catalyseur de la refonte académique et le quatrième signale l’importance d’un système accompagnateur. Pour conclure, elles avancent que le RAC a le potentiel requis pour repositionner l’UEH sur l’échiquier international dès 2050 comme envisagé.
I : Du système académique actuel
Le système académique de l’UEH, tel qu’il fonctionne actuellement, ne pourra jamais occuper une place prestigieuse dans le monde universitaire au cours du 21ème siècle. Même une multiplication de programmes post-gradués, master ou doctorat, ne peut l’aider à y arriver. Leur quasi-inexistence est loin d’être la faiblesse de l’UEH, comme on le prétend. Les problèmes académiques de l’UEH sont basiques et intimement liés au premier cycle qui prépare l’étudiant pour les niveaux supérieurs, mais le fait maladroitement. En effet, les EES formant l’UEH s’isolent l’une de l’autre. Avec son propre régime académique, chaque EES fonctionne en parfaite autonomie de l’unité administrative centrale (UAC), le rectorat, comme si elle était une université à part entière dans l’UEH.
Leurs genèses et vocations différentes alimentent la tendance à la diversité marquée principalement par la distinction de leurs actes académiques, outils et échelles d’évaluation qui confondent les instances étrangères et rendent difficile leur reconnaissance à l’international. Étant l’épine dorsale d’une université, un système académique inadapté complique la préparation des citoyens cadres appelés à accompagner la société dans sa quête de bien-être collectif. C’est une faille fragilisant le socle de la recherche visant à aider la collectivité à mieux appréhender la complexité du vivre-ensemble. Si l’utilité académique, qui donne un sens à l’existence d’une université, tombe en désuétude, elle cesse d’être le véhicule d’une transmission cohérente de connaissances susceptibles de répondre aux besoins de renouvellement de la société. L’académique étant à la traine, la recherche comme corolaire dans le système universitaire est devenue un électron libre et ne peut répondre adéquatement aux causes collectives.
Cette incohérence fragmente la structure organique inhibant le fonctionnement systémique d’une université. Tombé en panne, le système des vases communicants, qui naturellement existe entre l’académique et la recherche consacre l’échec d’une université dans ses fonctions accompagnatrices. La conséquence immédiate est l’incapacité de mettre au service de la collectivité une promotion suivant un cycle régulier. Les citoyens cadres s’éternisent dans le circuit avec une formation académique au rabais, et convertissent leurs études universitaires en profession pour ne jamais se rendre utiles à la société.
Le terrain de l’enseignement supérieur dans le pays devient un marécage où s’enlise l’UEH au moment où le reste du monde s’engage dans un processus de standardisation internationale de leur système académique. Si l’Europe et d’autres régions du monde ont pris le train en marche avec un système de crédit pour faciliter la lisibilité de leurs programmes, la transférabilité et la mobilité académiques entre eux, et d’autres régions du monde ne s’y font pas prier pour se standardiser, l’UEH a intérêt à rejoindre le concert de la modernité académique en adoptant un nouveau régime académique visant à éteindre la diversité surtout que beaucoup de ses étudiants et professeurs sont dans l’obligation de poursuivre leur formation supérieure ailleurs, confrontent à beaucoup de difficultés pour se faire accepter. Pour que l’UEH emboîte le pas, il importe d’instituer un régime académique commun (RAC) adoptant les standards internationaux supportés par un système de gestion centralisé rationnel avec des procédures uniformes imposables à toutes les EES sans discrimination et indépendamment des spécificités des domaines d’étude.
II : Du Régime Académique Commun
L’enseignement académique étant au centre névralgique de tout système universitaire, il importe de mettre en place un système de gestion dynamique et flexible en vue de faciliter l’enseignement et la recherche pour que l’UEH puisse se repositionner sur l’échiquier académique international. La démarche visant à repenser le système académique exige qu’elle s’aligne sur la tendance internationale en termes de gestion du flux régulier des étudiants, de la lisibilité des programmes, de la transférabilité des unités d’évaluation et de mobilité de la population académique sur le plan national et international.
Reconnaissant la capacité du système de crédit à mieux répondre à ces exigences à travers le monde, le Conseil Académique (CA) de l’UEH composé des Vices-doyens aux affaires académiques (VDA) et présidé par le Vice-recteur aux affaires académiques, a résolu de l’adopter comme système académique de l’UEH en vue de l’adapter au contexte du système d’enseignement supérieur Ayitien. Ce faisant, le RAC déjà adopté mérite d’être implémenté pleinement au fil du temps pour atteindre l’objectif de 2050 et préserver l’UEH en conséquence dans son ensemble tant au niveau de la structure administrative, des curricula, que de son mode de fonctionnement. Concrètement, le RAC permettra d’uniformiser les politiques de gestion académique, de personnaliser les activités académiques propres de chaque EES sans perdre les caractéristiques communes de l’UEH, de sécuriser et continuer à standardiser les actes académiques délivrés par l’UEH.
Pilier I : l’architecture du système d’enseignement
Le RAC facilitera le montage d’une architecture universitaire à plusieurs niveaux d’études dans tout domaine enseigné à l’UEH et sera doté de passerelles cohérentes entre les niveaux d’un même domaine et des domaines entre eux. Ainsi, sera évitée l’apparition d’une multitude d’îlots de formations post-graduées dont les niveaux d’études précédents n’existent pas et par usurpation, une appropriation de l’attribution des Départements ou de Laboratoires de Recherche.
Ladite architecture porterait sur deux grandes catégories de cycles d’études :
- La première incorpore les cycles de deux (2) ans et de quatre (4) ou cinq (5) ans.
- La deuxième regroupe les études supérieures/post-graduées avec les cycles de master et de doctorat.
La création de toutes formations universitaires suppose l’existence d’un système superposé ou gradué de niveaux d’études dans un domaine d’enseignement allant d’un cycle de 2 ans à dénommer éventuellement, de 4 ou 5 ans pour le grade de licence, de 2 ans pour celui de Master et de 3, 4, 5 ans ou plus selon le domaine pour le doctorat. Il y serait établi un rapport rectiligne des grades académiques successifs dans la logique d’un parcours rigide à suivre où il y a lieu d’arrêter ou poursuivre.
Simultanément, elle répond de manière hiérarchisée aux cycles de/d’:
- Deux (2) ans, pour une formation technique basique permettant l’intégration rapide sur le marché du travail de ceux qui ne souhaitent pas faire des études de longue durée. Sa dénomination n’est pas standard, mais dépend de ce qui sera décidé à l’UEH.
- Quatre (4) ou cinq (5) ans, pour l’obtention du grade de licence (bachelor) avec une formation universitaire de base permettant l’acquisition de connaissance introduisant aux différents domaines d’études parmi lesquels l’intéressé peut choisir celui de concentration. Lequel niveau facilite une porte d’entrée sur le marché du travail à un niveau plus technique que le précédent. Aussi, il ouvre la voie vers des études supérieures/post graduées.
- Un (1) ou deux (2) ans pour l’obtention du grade de master avec une formation plus approfondie dans différents domaines connexes autour d’une spécialisation technique très avancée. Ce qui conduit directement soit vers le doctorat pour se consacrer à la recherche et/ou à l’enseignement soit vers le marché du travail à un niveau hautement qualifié.
- Trois (3) à cinq (5) ans ou plus dépendant du domaine pour l’obtention du grade de docteur avec une pratique de recherche pour devenir expert dans un domaine spécifique choisi.

Ainsi charpenté, le système faciliterait l’intégration et le flux d’un plus large groupe d’étudiants annuellement dans les deux grandes catégories. Le renforcement et l’adaptation des programmes du premier cycle, par la création d’une diversité de cycle courts pour élever le niveau d’employabilité des universitaires et davantage ceux qui souhaitent tôt intégrer le marché du travail, et la conception et le renforcement des programmes post-gradués dans le moyen terme et le long terme.
Pilier II : Programme de Relève Enseignant
L’implémentation du nouveau système académique porterait l’UEH à créer un programme de bourses de relève enseignant susceptible de permettre le recrutement de jeunes licenciés comme moniteurs ou assistants et des enseignants déjà détenteurs de master/maitrise pour travailler à temps plein dans l’un des départements de l’UEH. Avec ce programme intitulé Bourses Relève Enseignant UEH (BREUEH), l’UEH pourra recruter chaque année sur une période de 10 ans, une cohorte d’enseignants composée de licenciés et d’enseignants avec master/maîtrise. Chaque année pour la première période de 5 ans seront recrutés 22 licenciés et de 11 enseignants titulaires de master/maitrise et pour la deuxième seulement 11 licenciés. L’objectif est d’accompagner ces nouveaux cadres académiques à obtenir leur grade de doctorat dans les domaines cibles à renforcer selon les politiques de développement académique et de la recherche définies par les autorités compétentes de l’UEH. La durée du programme de recrutement s’étalera sur 15 ans afin de doter l’UEH de plus de 150 professeurs à temps plein attachés à des départements avant 2050 pour enseigner, faire de la recherche et assurer les services d’expertise que l’UEH aura à offrir à la communauté.
Vu que les formations ne sont pas disponibles sur place, les universités étrangères recevront ces boursiers que l’UEH prendra pleinement en charge. L’UEH entend retrouver l’appui financier de l’Etat pour financer ce programme via son budget d’investissement. Les institutions d’enseignement supérieur partenaires localisées dans les pays du Nord, seront ciblées prioritairement pour accueillir lesdits boursiers.
Pilier III : L’école de Science et Art
Le RAC visera l’harmonisation des programmes académiques des 11 entités de l’ouest et de celles des provinces. Elle permettra d’évaluer le contenu étudié dans les différentes EES par rapport aux besoins du pays et du reste du monde. Il en sortira une conception appropriée des curricula à cheval sur les connaissances devant servir la société et sur celles partagées de manière universelle avec le reste du monde. Le processus permettra d’unifier les différentes connaissances prodiguées dans les entités sans doublons. Cette stratégie donnera naissance à l’école de Science et Art où les mêmes cours enseignés par deux ou trois facultés formeront un seul offert par la faculté du domaine en question et peut être enseigné par plusieurs professeurs suivant le même contenu. Dans le monde moderne, il ne s’agit pas de faire d’un licencié un expert dans un domaine. Les exigences du vivre-ensemble font appel à des citoyens-universitaires bien moulus capables de recevoir ou de faire usage de tout type de connaissances.
En effet, les sociétés ont besoin d’individus bien imbus des affaires de leur communauté, du monde ou de l’univers. Aujourd’hui, ce qui est primordial pour la licence est une introduction substantielle aux domaines variés selon le choix académique de l’étudiant. Dans ce cas, indifféremment de son champ de concentration, l’étudiant à l’UEH aura à suivre des cours dans des domaines différents de celui de concentration afin d’élargir la base de son intellect. L’école de Sciences et Art permettra de répondre à cette attente, parce qu’elle comporte une pléiade de domaines de concentration comme la philosophie, l’économie, la politique, la sociologie, l’histoire, et autres qui vont constituer les nouveaux départements. A la fin du cycle, l’étudiant optant pour l’école de Science et Art y obtiendra une licence avec une option dans l’un des domaines qu’elle comporte. L’objectif est de permettre à l’étudiant d’acquérir des connaissances variées pour qu’il soit avisé des problèmes du monde actuel, mais aussi apte à analyser les phénomènes de sa société et du monde afin de mieux les comprendre.
Pilier IV : Le système accompagnateur
Cette démarche nécessite une structure capable d’accompagner la communauté universitaire dans cette entreprise ambitieuse. Deux outils fondamentaux se révèlent nécessaires à la survie des idées proposées : une bibliothèque moderne physique et/ou numérique bien garnie et un système de gestion d’informations. Aucune institution d’enseignement, peu importe le niveau, ne peut survivre sans une bibliothèque bien équipée. C’est le système nerveux même de la formation académique qu’aucune bibliothèque numérique ne saurait remplacer. Les professeurs, chercheurs, étudiants et personnel administratif en dépendent pour davantage élargir leurs connaissances d’un domaine. Comment exiger des activités de recherche d’un professeur, de l’excellence académique d’un étudiant sans leur donner les moyens adéquats ? La bibliothèque est le berceau de la connaissance à l’université. Sans une bibliothèque, l’enseignement et la recherche ne restent que des vœux pieux. Étant un capital à ne pas négliger, monter une bibliothèque universitaire centrale suppléée par des bibliothèques spécialisées de chaque faculté, doit être compté parmi les premières initiatives.
Quand il s’agit de gestion d’une multitude de projets ou de documents qui évoluent et varient dans le temps, et dans le cadre d’un service à fournir à une population, un système rationnel de gestion d’informations est indispensable. Aujourd’hui, en avoir un assez moderne doit être un souci majeur, parce que l’université évolue dans une ère de production d’informations avec vitesse et exactitude. Avec un programme académique aussi moderne et pratique, toute quête d’informations doit produire des résultats à partir d’un clic. Par exemple, questionner des banques de données numériques, gérer les notes et en produire un relevé, planifier la programmation des cours et des examens ou aménager l’horaire académique de plusieurs années d’avance, observer l’évolution des sessions académiques, et suivre le parcours d’un étudiant partout à l’UEH devraient constituer un jeu d’enfant.
Conclusion
Le rapport de la formation universitaire avec les besoins de fonctionnement, de production ou de bien-être collectif doit être la toile de fond de toute initiative de création ou de réforme d’un système universitaire. Toutefois, il faut tenir compte de la nature universelle des connaissances à transmettre relativement aux problèmes des hommes comme une condition sine qua non dans ladite démarche, à l’instar des dispositions adoptées pour réformer l’UEH. Dans cette perspective, la forme à lui attribuer et les curricula à concevoir doivent divorcer des pratiques surannées pour suivre le cours évolutif des principes de l’international, et l’adapter à la nouvelle réalité sociale et technologique qui germine dans la société. Imputant la décadence de la société Ayitienne à son retard dans les pratiques d’acquisition, de création et d’accumulation de connaissances, initier en 1997 la réforme de l’UEH, le moteur du système de l’enseignement supérieur Ayitien, était conforme.
Cependant, si l’objectif fixé peine encore à être au rendez-vous aujourd’hui et que toute réforme est une démarche continue, repenser l’axe académique de l’UEH est une condition incontournable, surtout que la vision est de la repositionner sur l’échiquier international comme l’une des meilleures des régions de la Caraïbe et de l’Amérique Latine dès 2050. Pour ce faire, la réforme académique préconisée à travers le RAC, déjà adopté en Conseil Académique de l’UEH, mérite une pleine implémentation pour non seulement la rendre compétitive vis-à-vis de n’importe quelle université au rythme de l’international, mais aussi pour mieux assister la société dans sa quête de bien-être collectif et de progrès.
Jean POINCY
Vice-recteur aux affaires académiques
Université d’Etat d’Haïti
