Cri aux intellectuels haïtiens

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Celui qui influence les décisions de  l’homme au pouvoir est aussi responsable des actes de ce dernier. Cette assertion me fait penser à la situation chaotique d’Haïti depuis plusieurs décennies avec des Dirigeants irresponsables, mais entourés d’hommes et de femmes avec de grands diplômes, qu’arbitrairement certains appellent intellectuels. 

Je voudrais à travers ce texte montrer comment l’entourage de nos dirigeants le plus souvent irresponsables contribue grandement à la descente aux enfers de notre chère Haïti en y pointant du doigt certains corollaires loin d’être négligeables.

Pendant des décennies, tout le monde accuse à tort ou à raison les politiciens haïtiens et les dirigeants qui se sont succédé au pouvoir à différents niveaux pour des faits divers.  On se plaint des Présidents, des Ministres, des Directeurs généraux, des Chefs de la PNH, des Juges et des Magistrats, des Maires, des Sénateurs et Députés, des Membres de l’opposition, etc. On leur reproche de n’être jamais à la hauteur de nos attentes ni des aspirations de la société. Pour nous, ils sont des criminels, des voleurs, des dilapidateurs, des traitres… tout,  sauf de bons dirigeants.

Mais une question me monte à l’esprit: Le Président de la République prend-il tout seul les décisions? Ces hauts dignitaires et hommes politiques, qui nous écœurent, décident-ils seuls, sans l’influence de tierces personnes ? Comme moi, vous avez tous la réponse: non ; ces hauts dignitaires prennent leurs décisions avec l’aide ou sous l’influence de leurs conseillers. Certains me diront: mais ils n’écoutent pas toujours leurs conseillers; le conseiller peut toujours donner de bons conseils mais le chef n’est pas obligé d’en faire usage. Je reviendrai sur l’éthique professionnelle. Un peu de patience…

On peut comprendre à travers ma réflexion que les décideurs politiques, ceux-là qui ont le contrôle du destin du pays et qui détiennent l’autorité quant à l’orientation ou la direction que doit prendre le pays, sont entourés d’hommes et de femmes avec des diplômes, des licences, des maîtrises et des doctorats.

Pourquoi ces hommes de grands papiers (diplômes et grades universitaires) n’arrivent-ils jamais à influencer dans la bonne direction les décisions des autorités. Lors des élections qui avaient mis en face, entre autres, le candidat Michel Joseph Martelly et la candidate Mirlande Manigat, une grande partie de la population ridiculisait le chanteur et beaucoup disaient qu’il est entré dans la course pour y mettre un peu d’animation humoristique, car étant le Président du Compas il peut toujours souffrir d’une forme de folie du pouvoir. Mais la réalité est que le Chanteur a passé plusieurs années au Palais national prenant des décisions qui dictent le mode de vie de toute une population. Et comme dans la majorité du temps ça allait très mal pour le pays, les gens comme moi qui sont détenteurs de diplômes et de grades universitaires n’ont pas hésité à accuser la population d’être en train de payer les conséquences de son ignorance pour avoir choisi un chanteur sans diplômes au détriment d’une professeure d’université de carrière, détentrice d’un doctorat et constitutionaliste.

Néanmoins, le Président Martelly avait-il pris ses décisions de Chef d’État sans être entouré de conseillers détenteurs de maîtrises et de doctorats? Pouvons-nous continuer à critiquer les politiques qui déterminent le sort de notre chère Haïti sans avoir le courage de reconnaitre que les gens avec des diplômes qui entourent nos dirigeants sont aussi responsables qu’eux, et peut-être le sont-ils encore plus au regard de l’éthique? 

Alors, pouvons-nous crucifier les Présidents de la République, les Premiers ministres, pour leur incompétence, alors que conscients de leur limite ils embauchent, aux frais des contribuables, des super conseillers détenteurs de papiers pour les assister dans leur prise de  décisions? L’entourage intellectuel des dirigeants n’a-t-il pas l’obligation morale de démissionner au cas où ces derniers persisteraient à faire fi de ses conseils techniques?

Pouvons-nous crucifier le Premier Ministre Jouthe pour avoir avoué qu’Haïti n’existe ni dans le réel ni dans l’imaginaire, disant que le mode de leadership et de gestion d’Haïti n’a rien à voir à celui d’un pays? Pouvons-nous continuer à critiquer le peuple pour son ignorance d’avoir toujours fait les mauvais choix lors des élections? Ne devrait-on pas poser des questions d’ordre éthique au niveau de la politique et de la fonction publique en Haïti? 

Nous vivons dans un pays où le plus pauvre se bat pour survivre chaque jour au péril de sa personne, où des victimes sont considérées comme les bourreaux, où nos dirigeants n’ont ni la gêne ni la honte d’accepter qu’ils n’ont ni l’autorité, ni la moralité, ni l’intégrité pour diriger, où les médias n’ont pas la capacité de poser les bonnes questions, où des journalistes n’ont pas honte de crier haut et fort dans leurs micros que Ministre X ou  Sénateur Z ou Député F, est leur ami, où les hommes à papiers vendent leur conscience intellectuelle pour préserver des intérêts personnels au détriment de l’intérêt collectif, et la liste est longue, trop longue même. Bref, un pays où il n’y pas de déontologie! Mais l’autre dirait: EST-CE QUE ÇA DÉRANGE?

L’intellectuel haïtien attend qu’un ami accède au pouvoir ou à un poste d’influence pour être appelé comme consultant ou conseiller. En y étant, il perd les cinq sens fondamentaux de l’être humain. Il est devenu aveugle, ne pouvant plus voir la souffrance de la grande majorité ni voir la vraie réalité quotidienne; sourd, ne pouvant plus entendre les cris des plus démunis ni ceux de ses interlocuteurs qui pointent du doigt certains obstacles auxquels ils font face; fade, perdant tout le goût de l’être cultivé et intellectuel avec des discours qui vont à l’opposé de l’esprit scientifique, présentant une forme de syndrome d’évadé intellectuel; insensible, perdant toute la sensibilité humaine qui agit sur nos nerfs le rendant non réactif à tout ce qui frappe le cœur humain, de sorte qu’en le regardant on ne ressent que de la pitié; et enfin, perd le sens olfactif, n’ayant plus la capacité de sentir les odeurs de son environnement politique ambiant immédiat qui, allégoriquement, devrait le porter à imaginer et voir un environnement trop sale et mal odorant. Tout cela fait qu’il est devenu comme muet, perdant toute sa liberté de parole face au chef et aux exploiteurs, donnant ainsi son aval de conseiller aux décisions les plus dévastatrices dont les conséquences ne font qu’enfoncer le pays dans l’abîme.

Cette situation ne diffère pas de celle de l’intellectuel haïtien au sein des Organisations non gouvernementale et des Organisations non gouvernementales internationales. Aussitôt que l’homme haïtien avec les papiers y trouve un petit boulot avec un petit salaire de plafond réservé aux locaux,  il reste dans son petit confort perdant tous ses cinq sens vitaux et est prêt à tout pour conserver son boulot. Parfois on croirait qu’il perde la mémoire tant que ses agissements et ses modes de pensées montrent qu’il est désormais déconnecté avec la réalité haïtienne et oublie vite son passé très proche.

Mais, comment pouvons-nous espérer un lendemain meilleur pour Haïti quand les intellectuels ne s’y impliquent pas? Comment espérer qu’un Président, Ministre, Directeur Général, puisse prendre la bonne décision si l’homme à papiers qui le conseille perd ses cinq sens vitaux? Comment critiquer le peuple ignorant pour ses choix alors que les hommes à papiers qui conseillent les hommes politiques ne sont pas de bons exemples?

Prenons quelques exemples et vous comprendrez mieux. Comment imaginer que dans l’arrêté du Ministre de l’Education Nationale rendant le passage automatique obligatoire en premier cycle de l’école fondamentale, il y a des considérants sur les avis d’Experts et des rapports internationaux? Vous n’avez pas besoin d’être un Spécialiste  pour comprendre que quoi qu’on fasse dans la vie, il faut s’assurer d’avoir bien commencé. Ainsi, l’ingénieur civil sait que pour s’assurer de la solidité d’un édifice ou d’une maison le plus essentiel est de s’assurer de la solidité de la base. Les médecins vous diront qu’il faut bien prendre soin des nourrissons et des bébés pour s’assurer de leur développement intégral. Un Spécialiste en éducation qui ne perd pas ses sens vous dira que si vous voulez un système éducatif solide, il faut investir dans la petite enfance; d’où la nécessité de prendre toutes les mesures nécessaires pour consolider les acquis en premier cycle de l’école fondamentale. Mais chez nous en Haïti, les hommes à papiers de concert avec leurs chefs nous disent qu’il faut laisser les enfants monter en 2e cycle fondamental sans conditions, ensuite nous verrons s’il doit y avoir des correctifs. Avec nos hommes à papiers qui conseillent, le principe de priorisation de la prévention à la guérison ne prévaut plus.

Comment comprendre qu’aujourd'hui des hommes à papiers puissent, sans honte ni gêne, parler de 12 mesures du Ministre Manigat comme un pas positif dans la bonne direction dans le système éducatif haïtien? Mais, je me demande comment lisons-nous en Haïti? Notre cas est grave et même très grave! Pourquoi les hommes politiques arrivent-ils toujours à trouver des hommes à papiers pour appuyer leurs décisions sans fondement scientifique et causant autant de torts au pays? Serait-ce qu’il nous faut une autre classe d’hommes et de femmes à papiers ? Ou serait-ce que les politiciens savent bien choisir leurs marionnettes? A quoi sert le temps passé pour s’approprier d’un grade universitaire si on ne sera qu’un conseiller asservi et sans conscience intellectuelle?

Mon impression est que nous les hommes et femmes à papiers dans ce pays ne prenons jamais la mesure de la situation. Chez nous en Haïti, la vie est banalisée et la jeunesse n’a pas de modèles. Il n’y a pas un système éducatif qui prépare l’Haïtien à être tel type de citoyen après 12,13,14, ou 16 ans d’études. Il n’y a pas un curriculum haïtien de l’école haïtienne. Il n’y a pas d’opportunités. Nous souffrons aussi d’une déficience de personnalité caractérisée par une forme de complexe d’infériorité. Nous signons toutes les conventions irréalistes et inadaptables à notre environnement parce que certains de nos voisins les signent ou tout simplement pour donner quorum aux grands. Mais, paradoxalement nous utilisons les chiffres et les vécus des autres pour justifier nos décisions sans pour autant avoir la décence de faire la bonne comparaison. Par exemple avec Covid-19, la majorité des pays ont vite parlé de confinement et rapidement, nous aussi en Haïti, nous prenons le plaisir de dire que nous sommes en confinement. Mais c’est terrible!  Et comme après le confinement des autres, ils parlent des modalités du déconfinement (langage populaire), nous aussi en Haïti, nous avançons nos mesures de déconfinement. En France, au cours du confinement, on a parlé de télétravail et de d’enseignement en ligne, vite en Haïti, on a commencé à parler de Télétravail et de Télé Enseignement. Mais comme nous sommes laids! Où sont les intellectuels haïtiens? Télétravail: avec quelle énergie électrique (ak ki kouran)? Quelle bande passante (technologie /internet)? Télé Enseignement: avec quelles ressources? Quelle énergie électrique? Quels enseignants? Quels élèves? Quels parents? Quel environnement familial? Mais, ah non on le fait partout, M. Le Président!  Haïti doit s’aligner. D’ailleurs le peuple est ignorant, il ne comprend jamais rien, pas de média avec la force de caractère pour nous rendre la vie difficile! Avec ces genres de remarques frappant le tympan des oreilles des chefs, il en suit qu’en ce jour les portes de l’école sont fermées jusqu’au…. Les bureaux sont fermés jusqu’au… les entreprises sont fermées jusqu’au… mais surtout les intellectuels dorment; ils sont plongés dans leur sommeil……… Bref, le pays n’existe pas…

Dans d’autres pays, quand il y a un cas de séquestration ou d’enlèvement, la Police, de concert avec ses partenaires, essaie de contacter le ravisseur pour le ramener à la raison à travers la négociation. Pour y arriver, parfois on tente de lui faire comprendre que la vie n’est pas finie, qu’il a d’autres options dans la vie, qu’il peut encore se donner une autre chance. Mais avec quel discours aujourd’hui pouvons-nous vraiment faire croire à un jeune haïtien qu’il peut toujours espérer que l’Haïti de demain sera meilleure que celle d’aujourd’hui? Comment lui faire comprendre qu’il doit aimer ce pays et contribuer à sa grandeur? Comment faire comprendre à un jeune haïtien d’aujourd’hui qu’il doit travailler dur s’il veut réussir sa vie et réussir dans la vie? Comment dire à une fillette qu’elle doit travailler durement à l’école si elle veut trouver un bon emploi demain quand nous savons comment les jeunes filles sont utilisées et harcelées juste pour un poste d’un mois ou deux?

Les hommes politiques salissent tellement l’environnement national haïtien qu’aujourd’hui chez nous le concept politicien est perçu comme synonyme de voleur, personne incompétente et sans moralité, magouilleur, raketè, esclave servile. Cela crée un malaise tel que des gens de bien  ont peur de se lancer dans la gestion de la chose publique. Et comme il est de constat que les politiciens utilisent le discours convaincant, vu le niveau d’éducation très bas de la population, de certains hommes de papiers pour défendre tout ce qui serait indéfendable ailleurs, les jeunes, perplexes, se demandent, à quoi sert l’école, à quoi sert l’éducation?

À ce stade, je voudrais m’adresser à mes frères et sœurs intellectuels haïtiens. Ne restons pas dans notre petite zone de confort pourtant inconfortable à garder le silence et perdre nos cinq sens fondamentaux car la perte des sens vitaux implique automatiquement l’inexistence du 6e sens qui est une capacité transversale d’aller au-delà de ce que les autres peuvent voir, toucher, goûter, entendre, et sentir. Savez-vous que nous sommes tous complices des atrocités de nos dirigeants à travers notre silence et/ou notre aval intéressé aux décisions qui font tort au pays?

Je ne vous appelle pas à la révolte, mais à l’action transformatrice et à la conscience. Je ne vous demande pas de prendre les rues, mais d’unir nos esprits car rien n’est aussi fort et puissant que des esprits unis. C’est par la concertation des esprits que l’humanité a toujours su vaincre les pandémies, les fléaux, les catastrophes naturelles et les menaces les plus dangereuses. Haïti a besoin de ses intellectuels; elle a besoin de vous.

Comprenez que nous pouvons encore écrire l’histoire. Je dis ANMWEYYY ! ANMWEYYY pour ce pays qui n’a pas de repères. Je dis ANMWEYYYYY et j’espère que chaque intellectuel haïtien puisse entendre ce cri et penser aux moyens d’unir nos compétences, nos savoirs, nos esprits, pour aider Haïti à se relever. Par nos actions concertées et la confrontation de nos esprits, nous pouvons éviter que des politiciens induisent le peuple en erreur et le mettent dans les rues à leur propre fin mesquine. Si nous acceptons de nous comporter en intellectuels avisés nous serons capables d’éviter que nos jeunes se brouillent ou vendent leur conscience pour 1000 gourdes lors des élections, nous saurons aider les hommes politiques à prendre les meilleures décisions quand ils nous sollicitent plutôt que de leur dire ce qui leur fera plaisir juste pour conserver nos petits intérêts mesquins au prix de notre conscience et à l’encontre de l’intérêt collectif. Si nous nous comportons en bons intellectuels nous saurons parler en une voix éclairée, et l’impact sera autant explosif que productif. Je sonne l’alarme, je crie et j’attends que certains parmi vous prennent l’initiative de cette unité sans ego et sans rancune.

L’élite intellectuelle d’un pays se doit être le porte flambeau et  le gardien de l’intégrité totale de ce pays. Cessons d’être  coupables par notre silence et soyons des intellectuels dignes de nos rangs. Puissiez-vous entendre au plus profond de votre conscience cet ultime ANMWEYYYYYY !!!!

 

Prof. Josué DELEON

Expert en renforcement organisationnel

Expert en recherche qualitative / quantitative

Spécialiste en dév. de curriculum et en Éducation

E-mail: coursprofdeleon@gmail.com

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